Je suis face à La Porte au chiendent peinte par Jean Dubuffet.
Tout est clos: les deux pans de murs qui encadrent la porte,
le socle de la porte, la porte.
À l'encontre du caractère haptique de la vieille porte encastrée dans les murs, heurtant le regard avec une violence certaine (on voudrait se ruer contre elle afin de l'ouvrir et d'apercevoir ce qu'elle cache), la masse végétale constitue une sorte de bas-relief qui nous touche.
Haillonneuse, débridée, elle étoile la haute masse dure formée par les murs et par cette porte de bois qui y est encastrée.
C'est par l'intermédiaire de cette méchante végétation que le tableau nous forcène.
Tel Orion aveugle frayant passage vers on ne sait quelle merveille, on voit à la fois le peintre, son portrait, et celui qui contemple sa peinture : nous ?
Comme dans le paysage peint par Poussin transparaît le stellaire.
Le chiendent resplendit dans l'assombrissement quelconque de sa masse, telles les étoiles du ciel...
La toile n'est pas la fenêtre ouverte, matissienne, mais bien le mur où sera édifiée l'image qui aujourd'hui réitère ce dont nous n'avons peut-être même plus idée : cette ruée contemplative, ce retournement qui forcène la merveille.
Grande est notre ignorance, plus grande encore notre inconscience. Mais c'est lá propos de philosophe: il est temps d'aller à la recherche de la connaissance poétique et raisonnée des herbes.
Viviane & Morgane ou les portes du poétique, selon Denise Le Dantec (France Culture, 1984)
Une émission de Jean-Pierre Le Dantec diffusée le 2 juin 1984 sur France Culture. Présence : Denise Le Dantec.