Pour mon deux centième billet, j'ai décidé de critiquer un album jeunesse pour lequel j'ai eu un vrai coup de coeur il y a maintenant de nombreuses années, et qui ne comptabilise, étonnamment, que cinq critiques.
Relu cette semaine, cette lecture offerte a été un beau moment de partage avec mes élèves de CE2 qui ont pu s'émouvoir de l'histoire, apprécier la beauté du texte, ressentir la douceur de
s illustrations et sai
sir le joli message sur l'amitié, l'empathie, la généro
sité qui n'attend pas de retour.
C'est également pour les enfants l'occa
sion de comprendre qu'à travers l'histoire de l'épouvantail, c'est aus
si notre histoire qui nous est racontée. Notre destin n'est pas tracé d'avance, le rêve peut devenir réalité, l'espoir peut l'emporter et rendre pos
sible ce qui jusque là était impensable.
J'ai également trouvé pour les plus grands une réflexion trè
s intéressante sur la vieillesse et le temps qui passe.
*
Un vieil épouvantail tout dépenaillé pleure, seul, dans un champ qu'il a défendu pendant de nombreuses années contre les attaques des oiseaux. Les mauvaises herbes ont envahi les anciennes cultures et lui se sent misérable, abandonné et bien inutile, maintenant que le champ a été mis en jachère et que, depuis bien longtemps, les oiseaux ne le craignent plus.
« de vraies larmes !
Des salées, des rondes, qui coulent sur son visage rouillé,
qui évitent ses dents en as
siettes ébréchées.
Ce sont les larmes d'un humain,
ni celles d'un épouvantail, ni celles d'un gros pantin.
Et ses lamentations sont celles d'un malheureux :
— Je suis
si vieux,
si vieux… »
Le choix du cadrage et des couleurs créent une ambiance de solitude, d'isolement, d'abandon accentuée par le ciel orageux, sombre et l'immen
sité du champ, l'épouvantail apparaissant abandonné de tous.
« Éloigner les oiseaux, les faire déguerpir, je n'ai jamais rien fait de mieux.
Mais à jouer les sentinelles,
A défendre cette parcelle
je n'ai pas réus
si à me faire un ami !
Un inutile, voilà ce que je suis.
Je me sens
si seul et j'ai
si peur de n'avoir rien de ma vie. »
Son dé
sir le plus cher est de quitter son champ, découvrir le monde derrière la colline et se faire des amis.
« Emmenez-moi !
Pas pour voir la mer ou la muraille de Chine,
pas vi
siter l'Afrique,
simplement de l'autre côté de ces collines,
ce serait magnifique!
Emmenez-moi ! »
La magie des albums pour enfants rend cet homme fait de tissus, de métal et de paille tout de suite humain et sympathique. La peine se lit dans le regard des enfants qui aimeraient l'aider à réaliser son rêve.
Et puis, d'autres émotions vont tout à tour se succéder : l'attendrissement, l'envie que tout s'arrange, l'étonnement, la ten
sion qui se relâche, le ravissement, et la joie que tout finisse bien pour cet épouvantail bien sympathique.
*
Ce magnifique album est le résultat d'une symbiose parfaite entre le texte, poétique, émouvant, et de
s illustrations qui se déploient sur toutes les doubles-pages, laissant fleurir de belles émotions. Les pages se tournent et dévoilent, à chaque fois, des scènes tout aus
si surprenantes que magiques.
Il se dégage beaucoup de poé
sie et de douceur grâce à l'utilisation de la peinture à l'huile.
Le choix des couleurs met en lumière le changement d'atmosphère tout au long de l'histoire. Plutôt sombres et froides, le
s illustrations se colorent au fil de la lecture, de nuances lumineuses et chaudes.
*
Pour conclure, «
L'épouvantail qui voulait voyager » est une merveilleuse invitation au voyage, à l'amitié, à la solidarité et à l'amour.
Hubert Ben Kemoun et
Hervé le Goff ont mis tout leur talent pour nous offrir un album de très grande qualité, pour un vrai plai
sir de lecture. La justesse et la beauté de l'écriture s'allient à de magnifiques tableaux, nous faisant voyager et rêver.
Je vous recommande ce bel album, un très beau moment de poé
sie et de sérénité.
« Un « toujours » qui mesure plus que l'éternité. »