Citations sur La parenthèse (8)
– Je m’en vais écrire à Suzie. « Poilu qui écrit, poilu qui vit. Poilu qui chante, poilu qui rentr’. Poilu qui pleure, poilu qui... » chantonna Rossignol en s’éloignant.
Finalement ce n'était que la deuxième fois qu'il se retrouvait à faire feu contre l'ennemi. Tuer pour ne pas être tué. C'est ainsi qu'ôter la vie d'un autre devenait acceptable. Mais que valait-il mieux ? En quoi sa propre vie était plus importante que celle de l'homme qui se trouvait en face ? Tenir la vie d'un homme au bout de son fusil... Honnêtement n'y prenait-il pas un certain plaisir ?
En fait il ne savait pas, il ne se souvenait même pas avoir ressenti quelque chose, comme lors de l'assaut au cours duquel il avait été blessé. Il avait l'impression que cet après-midi là, son cerveau s'était débranché. Ce n'était pas lui qui appuyait sur la gâchette. Quelqu'un d'autre l'habitait, quelqu'un qu'il ne connaissait pas, un automate, une machine à tuer.
- Ce qui lui arrive s'appelle Helke, répondit-il. Leur fille Leni vient juste d'avoir six mois.
Médusé, le petit groupe regarda Cariou disparaître dans les ruelles du village qui bordait le camp.
P'tit Louis sourit enfin. Ainsi il pouvait naître des fleurs sur ces ruines. Le poids sur son coeur lui sembla soudain moins lourd. Le Bleuet aurait été content de cette histoire. Pensez donc, une petite vie née de cette barbarie, une petite vie plus forte que la mort. Et il y en avait combien d'autres ?
- Cette guerre, on ne peut tellement pas faire pire que forcément c'est la dernière.
- Ouais, la Der des Ders, rétorqua quelqu'un en arrière.
- Quand même quand je pense qu'on a aidé les Boches à réparer les canons qui sont en train de refroidir les copains, murmura le Bleuet, Ca me rend malade.
Le mois qu'ils avaient passé dans la fonderie avait laissé des traces au moral comme dans les corps. Un travail éprouvant, dans une chaleur intense, sans aucun colis pour améliorer un ordinaire pour le moins frugal. Beaucoup d'entre eux y avaient laissé leur peau.
Il sentit la brûlure intense dévorer ses boyaux. « Tu n’es pas un homme si tu ne supportes pas l’eau-de-vie ». L’eau-de-vie, qui de l’avis de P’tit Louis portait bien mal son nom. C’était un sujet fréquent de moquerie quand il aidait son père au bois. P’tit Louis n’aimait ni l’alcool, ni le goût âcre de la piquette. Mais ici, il faisait contre mauvaise fortune bon cœur. Le pinard était la seule boisson dont on disposait abondamment. Il regrettait la bière des Belges et plus encore le bon cidre pressé à la ferme.
– La tactique ici, c’est d’faire exploser plusieurs mines sous la ligne ennemie et d’partir à l’assaut, expliqua Monnier. Un coup c’est nous, un coup c’est eux. Celle-là, c’était une mine à nous, ajouta-t-il en embrassant du geste l’entonnoir qu’ils occupaient. C’te fois-là, on leur a bien grignoté 50 mètres.
- Il faut rêver P’tit Louis. Il faut penser à demain, à après-demain et au jour d’après encore. Ici P’tit Louis ce n’est pas la vie. C’est une parenthèse. Il ne faut juste pas la laisser se refermer.
Une parenthèse... P’tit Louis haussa les épaules. Ça pouvait bien être une très longue parenthèse, oui.
Une violente canonnade se déclencha à l'est dans la direction de Soissons. Chacun se raidit, aux aguets, surveillant les signaux des sentinelles qui observaient les mouvements de l'autre côté du canal. P'tit Louis avait une grenade dans la main, prêt à dégoupiller. La nuit s'écoulait, rien ne venait.