Tocqueville l'avait prédit : la démocratie et le désir d'égalité comporte en lui un risque de perversion du système politique vers l'autoritarisme du fait de la trop grande responsabilisation des individus à devoir décider de tout et être totalement maître de leur vie. Cette angoisse enjoint à trouver chez les autres de quoi se rassurer et à adopter, paradoxalement, des comportements grégaires. Plus tard, la mort de Dieu a placé la réalité exclusivement sur terre et réduit l'imaginaire de l'humain à l'espace matériel où il vit. Puis advint l'art de Duchamp, représentatif de la mise en valeur d'un ordinaire élevé au rang d'extraordinaire. La télévision a suivi le même chemin : présentant d'abord des événements extraordinaires (tels le mariage d'Elisabeth II et les premiers pas d'Armstrong sur la Lune), elle a perdu sa vocation pédagogique au cours des années 80 pour s'intéresser à la psychologie et aux histoires des particuliers (malgré tout pour leur défense, comme celles qui permettent de retrouver des personnes disparues). Début des années 2000, le troisième âge de la télévision écrase encore la distance entre les émissions et le réel en prétendant montrer ce dernier dans sa vérité toute nue. En réalité, il n'y a rien de plus artificiel que la télé-réalité qui sélectionne des candidats, bien que présentés comme ordinaire, divertis par des autorités extérieures qui les mettent en situation de concurrence et favorisent les relations conflictuelles. Ainsi la téléréalité prétend montrer que la quête agressive de domination, le cynisme et les situations conflictuelles sont inhérents à l'être humain quand il n'est pas "canalisé" par cette autorité extérieure. Loin d'être inoffensive, la téléréalité est donc un véritable projet politique qui vise à instaurer l'idée de la nécessité d'un pouvoir puissant pour remédier à la situation hobbesienne où l'homme est un loup pour l'homme. Banalisant les opinions primaires, le "bon sens", la spontanéité stupide, la quête illimitée d'une certaine transparence, elle favorise en outre l'énonciation d'opinions plutôt que celle de réflexions, de points de vue plutôt que de recherche intellectuelle. Enfin, en accord parfait avec les déclarations de Patrick le Lay qui prétend en 2004 que "ce que nous [TF1] vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau disponible", la téléréalité montre que la télévision a définitivement abandonné toute velléité de pédagogie pour la promotion du second degré, qui décrédibilise le premier, et le divertissement permanent pour amollir les cerveaux. La réalité se dissout dans le flux continu du brouhaha de la télévision métamorphosée en outil promotionnel permanent et principal acteur de la perversion de la démocratie.
Le livre présente une analyse très nuancée et approfondie du phénomène de la télé-réalité, allant jusqu'à détailler les émissions les unes après les autres. Les références philosophiques présentent en outre un intérêt supplémentaire de mise en perspective du phénomène dans son ensemble même si, à mon goût, le discours se dilue un peu dans une recherche du sens de la démocratie aujourd'hui qui m'a paru déborder du cadre du sujet initial. Reste que l'analyse de l'utilisation de l'outil télévisuel par le biais de la téléréalité fournit de bons élément de compréhension de l'affaiblissement de la qualité des émissions et, en un sens, de l'omniprésence actuelle de la tendance à vouloir résoudre, dans les transmissions télévisées, tout problème par une énonciation forte, voire arrogante, de catalogue de réponses de "bon sens", qui fasse appel au "sens commun" et qu'il faudrait "enfin comprendre".
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Le "lieu" de la télévision est de plus en plus familier. Le premier âge de la télévision était celui des fonctionnaires-professeurs et le lieu idéal, celui d'une classe d'école. Le deuxième âge était celui des témoins convoqués et le lieu d'élection celui du cabinet - cabinet du psychologue, du juge, du médecin. Le troisième âge est celui de l'homme ordinaire et son lieu d'élection, le salon de M. Tout-le-Monde. Classe d'école, cabinet du psychologue, salon : les lieux changent.
[Dans les émissions de téléréalité, ] il faut absolument se lâcher, rigoler comme des gamins, se laisser aller, s'exprimer, se dire, affirmer son talent, défendre son ego et laisser ses émotions prendre le dessus.
Quand il faut évoquer la mort, nous savons que? nous ne savons rien. Quand il nous faut parler des morts de notre vie ? qui vivent encore en nous, habitent notre c?ur ?, les mots nous manquent. de cette perte, de la mort même, nous préférons ne pas parler. Et pourtant, les absents n?en finissent pas d?être présents. Nous en sommes les gardiens fidèles.
À travers les entretiens qu?elles ont accordés à Damien le Guay et Jean-Philippe de Tonnac, sept personnalités acceptent ici de témoigner. Juliette Binoche, Christian Bobin, Catherine Clément, Philippe Labro, Daniel Mesguich, Edgar Morin et Amélie Nothomb nous livrent avec profondeur et générosité leurs sentiments intimes, leurs croyances ou leur incroyance, leur philosophie de la vie. Au-delà des chagrins, des douleurs, ils disent tous le lien vital qui les relie à leurs morts ? les morts de leur vie. L?extraordinaire diversité de ces paroles nous invite au partage pour être plus vivants.
http://www.albin-michel.fr/Les-Morts-de-notre-vie-EAN=9782226319203
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