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Critique de Rodin_Marcel


Le Guillou Philippe, – "Géographie de la mémoire" – Gallimard/NRF, février 2016 (ISBN 978-2-07-014883-7) 272 p.

Il s'agit d'une sorte d'autobiographie composée autour de lieux que l'auteur a vécu comme emblématiques et qui l'ont marqué. de facto cependant, ces lieux sont indissolublement liés à des personnes.

Le premier chapitre intitulé "Confins" est centré sur la Bretagne rurale natale, et plus spécifiquement le Finistère, des années mille neuf cent soixante (l'auteur est né en 1959) tout en rendant un bel hommage aux deux grands-pères. le grand-père du côté maternel tient la plus grande place (pp. 30-34 puis 43-55), lui qui a démissionné de la Marine pour ne pas mourir, lui qui portait dès la naissance un signe distinctif impitoyable dans ces années-là (pp.44-45 – voir citation).

Le deuxième chapitre "Prison maritime" se déroule à Morlaix : on y découvre le premier accès aux livres, par le biais de la bibliothèque municipale, sa bibliothécaire – objet d'une évocation pleine de tendresse –, les premières lectures (pp. 69-71). C'est également la ville de la Vierge ouvrante, l'époque de Malraux (dont il n'était jamais question dans les écoles "faut-il y deviner la marque de l'antigaullisme farouche des enseignants de cette époque ?"), de la brusque mise à l'écart de De Gaulle, de cette image inoubliable du couple se promenant en Irlande (monarque devenant "simple promeneur entre les bruyères et les vagues, éternel exilé..." p.77-78), de la découverte des Gide, Montherlant, Kafka, Proust, mais surtout d'un certain Michel Mohrt.

Le troisième chapitre s'intitule "Royaume intérieur" : il commence par un hommage à Reverdy, pour ensuite s'attarder sur la Loire (pp. 107-110) : commence alors un magnifique hommage à Julien Gracq. Sans oublier la deuxième étape du parcours initiatique de lecteur assidu : vibrant hommage rendu à la librairie "Les nourritures terrestres" tenue par les sœurs Yvette et Jeannette Denieul (pp. 112-114 puis 118) "mon sanctuaire, ma bouée, ce creuset de liberté et de vraie vie où je renaissais...".

Le quatrième chapitre "Villa des loughs" est tout entier dédié à la culture celtique, au cycle arthurien, à la découverte de l'Irlande (ponctué d'une anecdote hilarante, en présence de Michel Déon) : de belles formules poétiques, dénuées de mièvrerie, pour chanter ces paysages.

Le cinquième chapitre – "Horizons" – revient à Rennes, à l'automne 1984. C'est la découverte de la cathédrale, et surtout de Monseigneur Julien, archevêque "postconciliaire" de Rennes de 1985 à 1998, breton d'origine et de formation. C'est aussi celle des écrivains Dominique Fernandez et de Patrick Grainville.

Le sizième et dernier chapitre porte le titre "Quand Paris disparaîtra" : en effet, l'auteur y revient longuement sur le véritable massacre du quartier des Halles, au centre de Paris, thème déjà traité dans son autre ouvrage "Les années insulaires" qui rappellera à toute une génération ce que fut le "trou des Halles", que l'on venait voir du monde entier. Au bord de cet abyme veillait l'église Saint Eustache, et son organiste Jean Guillou, titulaire du grand-orgue de l'église Saint-Eustache à partir de 1963 jusqu'en 2015, concertiste virtuose mais aussi maître de l'improvisation : l'auteur nous offre alors de ces pages si rares dans lesquelles un écrivain, artiste des mots, rend hommage à un musicien, artiste des sons.

Ce témoignage comporte bien d'autres aspects : l'un des fils conducteurs est constitué par les évocations sporadiques de la place du catholicisme dans la vie de l'auteur, à travers ses églises et cathédrales (comme par exemple p. 57-63, pp. 72-76, pp. 193-195).
Rendons grâce également à Philippe le Guillou de savoir évoquer brièvement, avec tact et discernement, son homosexualité sans la brandir comme un étendard ni comme un costume de foire (cf par exemple p. 214).

L'une des caractéristiques qui me rend cet auteur intéressant (à mes yeux d'ex-gauchiste qui s'agitait de l'autre côté), réside dans le fait qu'il a en quelque sorte "contourné" la pensée unique qui s'est imposée dans les cercles intellectuels et cultureux à partir de mai-68 et qui domine encore aujourd'hui. A plusieurs reprises (cf p. 114, p. 207), il dénonce par exemple ces analyses structuralistes auxquelles nul ne pouvait échapper, ou encore ces omissions délibérées de la part des enseignants, qui engendrèrent une génération gavée des écrits d'un Sartre mais ne sachant rien ni de Chateaubriant, ni De Montherlant, ni bien sûr du Malraux gaulliste...

Pour conclure, il reste à souligner la qualité de l'écriture, qui fait de cette lecture un véritable plaisir.
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