Une très joli panel de personnages à diverses époques . L'auteure nous décrit des personnages solitaires en quête de grandeur, qui vont au fil des pages modifier ou pas un avenir qui leur était prévisible.
Ce recueil de petites nouvelles est vraiment a picorer pour notre plus grand plaisir. Moi ,qui ne suis pas trop fan des nouvelles j'ai franchement adoré et les histoires, le style et l'écriture.
C'est aussi une très belle façon, même si menée a travers le fanstatique de revisiter l'histoire . Et puis le côté humaniste de l'auteure n'est pas non plus pour me déplaire.
Il me semble que ces chroniques ne sont pas les plus connues de l'auteure mais franchement ça vaut le détour de s'y arreter, pour se divertir soit même , mais surtout pour les faire connaitre autour de nous.
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Ils plaisantèrent et bavardèrent, la petite fille brune hurla de rire, les cheveux blonds de Kasimir retombèrent sur ses yeux, les deux garçons de onze ans se disputèrent, l’homme maigre et souriant s’assit, une guitare à la main, et se mit aussitôt à jouer, penchant sur son instrument son visage au nez en bec de corbeau. Sa main droite avec laquelle il pinçait les cordes était légèrement estropiée ou déformée. Tout le monde se mit à chanter, sauf Stefan qui, la gorge douloureuse, ne connaissant pas leur répertoire et n’ayant pas envie de chanter, garda un silence morose. Le Dr Augeskar entra. Il serra la main à Kasimir et d’un seul coup l’éclipsa, comme un roi de haute stature à côté d’un héritier improbable et fluet. « Où est ton ami ? Je suis désolé de ne pas avoir pu vous attendre à la gare, j’avais une urgence là-haut sur la colline. J’ai dû faire une appendicectomie sur la table de la salle à manger. C’était comme découper une oie de Noël. Va te coucher, Antony. Bendika, donne-moi un verre. Je te sers, Joachim ? Et vous, Fabbre ? Il servit le vin rouge et s’assit avec eux à la grande table ronde. Ils se mirent à chanter. Augeskar proposait les chansons et conduisait les autres de la voix ; il remplissait la pièce. Celle de ses filles qui était blonde coqueta avec lui, la plus jeune, une brune, éclata d’un rire aigu, Bendika taquina Kasimir, Bret chanta une chanson d’amour en suédois ; il était seulement onze heures du soir. Le Dr Augeskar avait, sous ses sourcils blonds, des yeux gris et clairs. Stefan croisa leur regard. « Vous avez pris froid ? » (« Une semaine à la campagne »)
Pendant sa convalescence, je passai le voir chaque jour. Il m’attirait. La dernière nuit avait été une de ces nuits dont seule la jeunesse peut avoir l’intuition – une nuit entière, d’un crépuscule à l’autre, à côtoyer la vie et la mort avec, au-delà des fenêtres, l’hiver, la forêt, et la nuit.
Je dis moi-même « forêt », tout comme le faisait Minna, pour parler de cette garde de quelques centaines d’arbres. Il y avait eu là une forêt autrefois. Elle avait couvert tout Valone Alte, comme les propriétés des Ileskar. Pendant un siècle et demi le déclin avait été continu. Il ne restait plus rien que le bosquet, la maison et une part dans la société betteravière Kravay, assez pour permettre de vivre à un Ileskar. Restait aussi Martin, le garçon au visage en lame de couteau, son serviteur en principe, quoiqu’ils partageassent le travail et la table. Martin était un drôle de corps, dévoué à Ileskar et jaloux. Je percevais dans cette dévotion une véritable pulsion, non pas sexuelle mais possessive. Cela ne me troublait guère. Il y avait quelque chose chez Galven Ileskar qui faisait paraître cela tout naturel. Il était naturel de l’admirer et de vouloir le protéger. (« La forêt d’Ile »)
Ils savaient – ils n’y étaient pas pour rien – que le Dr Kereth pourrait tenter d’obtenir l’asile politique à Paris. Aussi, dans l’avion volant vers l’Occident, à l’hôtel, dans les rues, pendant les assemblées et même pendant qu’il lut sa communication devant la section de cytologie, il fut discrètement accompagné par des personnages obscurs et assidus, pouvant faire figure d’étudiants avancés ou de microbiologistes croates, mais n’ayant ni nom ni visage. Non seulement sa participation donnait un certain éclat à la délégation de son pays, mais son gouvernement en retirait quelque bénéfice : « Nous l’avons même laissé partir ! » Ils avaient donc tenu à sa présence là-bas. Mais ils le gardaient à l’œil. Il en avait l’habitude. Dans son pays exigu on ne pouvait échapper aux regards qu’en restant tout à fait immobile, en tenant au repos corps, langue et esprit. Il avait toujours été remuant et bien en vue. Aussi quand, tout d’un coup, le sixième jour, il se retrouva seul en pleine lumière, il resta interdit un moment. Suffisait-il d’enfiler une allée pour réussir à disparaître ? (« Les fontaines »)
La nuit descendue des montagnes s’avançait sur la route neigeuse. L’ombre avala le village, la tour de pierre du Donjon de Vermare, le galgal au bord de la route. L’ombre tenait les encoignures des pièces du Donjon, siégeait sous la grande table comme au-dessus des poutres et attendait derrière l’épaule de chacun des hommes assis au foyer. (« Le galgal »)
La réédition toute récente au Bélial' du recueil “Les Quatre Vents du désir” est l'occasion de revenir sur l'oeuvre d'Ursula K. Le Guin, grande dame des littératures de l'imaginaire. Pour en parler : Hélène Escudié, autrice d'une thèse sur Le Guin et dont une ample interview-carrière avec celle-ci, menée en 2002, vient enrichir “Les Quatre Vents du désir”, et David Meulemans, fondateur de la maison d'édition Aux Forges de Vulcain et spécialiste de le Guin.
https://www.belial.fr/ursula-k-le-guin/les-quatre-vents-du-desir
Animation : Erwann Perchoc
Illustration : Aurélien Police