Le soleil griffait les tuiles...
Le soleil
Griffait les tuiles
Nous dormions
Entre deux cils de lumière
Et tes mots
Avaient la douceur des mains
Ton rêve est le mien
N’étaient qu’un seul fruit
Sur nos lèvres
L’après-midi
S’ouvrait jusqu’à la mer
Trop tard déjà
Pour arrêter le temps
Quand j’ouvris les yeux
Je la vis
Une voile passa
Pour te dérober
Mon regard.
//Hélène Cadou (1922 – 2014)
Je t’écris sans papier sans crayon…
Extrait 6
Où c’que tu vas comme çà p’tite fille
toute seule dans l’ froid Je ne sais pas si
je souris ou bien si mon rire ricoche de
glace en glace Tu peux venir chez nous
je suis toute seule Lorsque nous nous
sommes croisées elle m’avait déjà tout
donné
La pièce est au sous-sol Un chat attend
Jeanne blanc avec un œil bleu un œil
vert Une tempête de neige va venir
Jeanne a prévu la graisse pour le pain et
des cuisses de poulet Elle me fait une
place dans son lit comme ma grand -
mère On écoute le vent préparer les
choses Nous dormons tôt
Au matin la neige monte derrière les
fenêtres par des spirales et nous
nous descendons avec des paroles À
l’écart de la tempête Jeanne et moi
avons le même âge Douze enfants sont
lourds à porter pour un seul visage
J’avais les cheveux bleus comme une
indienne elle regarde la photo Je
parle peu mes yeux brillent pendant
une journée une nuit une matinée
la dérive immobile
(Le Bord des Péninsules)
…
//Laure Morali (1972 -)
Je t’écris sans papier sans crayon…
Extrait 2
Je vais m’imprégner de tout Fille et je
te raconterai L’itinéraire est un chiffre
que je ne peux plus évoquer sans te
regarder de face
Je pars chercher les mots les mots de la
bouche des gens qui habitent au bord de la
péninsule Ils me parlerons de l’eau
devant la porte de la montagne et des
forêts derrière les fenêtres et je verrai
leur respiration leur regard leur nom
j’aime marcher au bord de l’eau Je ne
risque pas de me perdre sur la carte il
n’y a qu’une seule route la 132 Il
suffit de suivre les glaces qui bougent Je
vais longer le fleuve et un jour sans que
je m’en sois aperçue ce sera déjà la mer
Peu importent les dates Je ne veux pas
figer le temps de ce voyage plutôt le
laisser libre de dériver quand bon lui
semble me survenir je n’aime pas les
souvenirs
…
//Laure Morali (1972 -)
Si je pouvais...
I.M. Per Jakez Helias
Si je pouvais
Être autre chose
Que le vieil homme que je suis,
Si je pouvais être arbre,
Je choisirais surtout le chêne.
Pour ne pas devoir
Couler comme le fleuve.
Je n’aurais pas à bouger,
Je recevrais le soleil, la nuit,
Le vent, la pluie, l’oiseau
Et d’abord le silence.
J’espère que je pourrais
Habiter le silence
Pour m’y lover,
Me vivre,
Pour finir peut-être
Par me connaître,
Et, qui sait, me plaire,
Devenir un univers.
// Eugène Guillevic (1907 -1997)
Je t’écris sans papier sans crayon…
Extrait 1
Je t’écris sans papier sans crayon Tu
recevras mes lettres des quatre coins du
vent car j’ai la certitude que tu m’attends
au bout de mes voyages Fille sans nom
Tout a commencé lorsqu’un nom roche
et glace a ouvert le désir Gaspésie
le nom d’une péninsule
J’ai fait mes bagages avec la désinvolture
qu’il faut une juste mesure de crainte et
de désir J’y ai mis ma latitude 48, 5
degré nord Au vol la marge océane a
créé l’écart où mettre l’oubli D’où je
viens l’hiver existe peu
où je suis il y a un printemps un été
un automne et un hiver Tout ce qu’il faut
pour nuancer les couleurs Plier le regard
déplier le regard par le jour et la nuit
les grandes lumières et les grandes ombres
par les temps et pousser chaque année
un peu plus
…
//Laure Morali (1972 -)
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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