Le mouvement anarchiste japonais nous est surtout connu grâce à des sources anglo-saxonnes, aussi, une publication, même modeste – une cinquantaine de pages – sur le sujet est toujours fraternellement reçu.
Existent toutefois les travaux de
Christine Lévy, de Philippe Pelletier, et on peut également regarder du côté des « mal rasés » de
Jean-Manuel Traimond.
Ce nouvel apport dans la collection Graine d'ananar, sur Sugako Kanno, vient enrichir une collection de portrait de figures anarchistes et rappeler que le Japon n'était pas, fin XIX°-début XX°, en dehors du monde et des luttes pour l'émancipation et la révolution sociale.
Sugako Kanno, née en 1881 et condamnée à mort en 1911, fut une militante et journaliste, pacifiste, féministe : « Insurgez-vous, femmes ! Réveillez-vous ! Tout comme la lutte dans laquelle les travailleurs s'engagent contre les capitalistes pour détruire le système de classe, nos revendications de liberté et d'égalité avec les hommes ne seront pas facilement gagnées, simplement parce que nous le voulons ; elles ne seront pas gagnées si nous n'élevons pas nos voix ; elles ne seront pas gagnées si aucun sang n'est versé. »
Radical l'anarcho-féminisme de Sugako Kanno ! dans cet article de 1906, et pour qui l'action directe va s'imposer, comme chez beaucoup à cette époque.
Aurélien Roulland nous rappelle ces éléments dans son avant-propos biographique.
Sugako Kanno, victime d'un viol à son adolescence, rencontre les idées socialistes, devient vite journaliste, combat l'institutionnalisation de la prostitution, s'insurge contre la guerre russo-japonaise (1904-1905), vit librement ses amours. Activiste forcenée, elle crée une revue Sekai Fujin (femmes du monde), un journal Jiyu shiso (Pensée libre) avec son compagnon, Kôtoku Shûsui, et fera pour ses activités ou ses écrits des séjours en prison. Kanno est gagnée à l'idée qu'un geste violent contre l'empereur, détenant et symbolisant le pouvoir d'état, sera l'étincelle dont a besoin le mouvement. le projet ne se fera pas et le groupe sera arrêté.
Le petit volume est ensuite composé d'extraits du journal de Kanno, écrits lors de son incarcération dans la prison pour femmes de Tokyo jusqu'à son exécution en janvier 1911.
Textes extrêmement touchants puisque ce sont les dernières pensées (« La nuit dernière j'ai pensé à ce qui devrait être fait de mon corps après ma mort »), les dernières rencontres au parloir (« Je me souviens à quoi
Sakai et Osugi ressemblaient lorsque nous étions ensemble durant le procès de l'incident du drapeau rouge dans la salle trois de la cour d'appel. Aujourd'hui ils n'avaient pas l'air différent. Tous deux sont vigoureux et en bonne santé »), les derniers mots qu'écrit une femme condamnée à la pendaison pour haute trahison (soit le projet d'assassiner rien de moins que l'empereur) : « Depuis le début je craignais que ce ne soit le cas, mais le procès fut conduit d'une façon si inattendue et méticuleuse que j'ai commencé à espérer que ce soit relativement juste. Les verdicts sont tombés comme un choc. J'étais si furieuse et bouleversée que j'ai ressenti comme si mon corps tout entier prenait feu ».
Procès expéditif, mené à huis clos. Vingt-quatre anarchistes seront condamnés à mort ; la sentence sera exécutée pour douze d'entre eux.
Petit bémol pour le manque de précision sur l'origine du texte. Ce journal de prison, intitulé Shide no michikusa - herbes sur la route de la mort - a été publié en 1950 (cf notice du dictionnaire de
Louis Frédéric, Robert Laffont, 1996). Mais, de quelle édition viennent les textes reproduits ? Édition japonaise ? Anglaise ? Traduction faite par ? C'est un détail, mais...