AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,76

sur 17 notes
5
2 avis
4
3 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
0 avis
Encore un cinq étoiles, pour ce livre aussi, car, comme c'est écrit, « en inconditionnelle de Sorel, elle les aimait tous et se refusait à les départager » (p. 330). Rendre hommage, c'est au fond lire et relire, faire lire, même pour de mauvaises raisons, de sorte que perdure une oeuvre qui déroute. Réédition plutôt que reddition du journaliste admiratif devant l'écran de son ordinateur. Traduire un « inclassable » c'est parfois aussi faire oeuvre de pénitence pour partager des passions communes. On a souvent laissé entendre que Linda Lê était « si peu de son époque ». Pourtant, ici, non sans un humour discret, elle qui a toujours « tir[é] des outsiders de l'oubli », nous montre qu'elle observe nos « gagnants du steeple-chase social ». On peut « sniffer des poppers, achetés dans des sex-shops, et qui nous rend[ent] hilaire, totalement high », et « s'enthousiasm[er] pour le mythe de la caverne de Platon (l'homme moderne n'est-il pas condamné à n'embrasser que des ombres et à ne vivre que dans un monde de fantôme ?) » (p. 45). On trafique nos curriculum vitae, mais nous ne sommes plus si nombreux à refuser de « téléphoner avec un portable (celui que Jean lui avait donné, il le lui avait aussitôt rendu en disant qu'il n'était pas un larbin, portant toujours sur lui cet engin diabolique et répondant dès qu'on le sonnait) ». Dans nos ateliers de cuisine, on s'adonne à « l'art d'accommoder les restes ». Et l'on craint de rater sa vie, car « de toute évidence, il [fiston] ne serait jamais dans les affaires, ni même fonctionnaire assuré d'avoir une confortable retraite!», mais travaillera au mieux comme vendeur dans un magasin d'ameublement auquel le patron est fier de donner le nom de « Mis en demeure ». Notre Anselm Kiefer ou notre Baselitz « avait son atelier dans une imprimerie désaffectée [délocalisation oblige] où un simple rideau l'isolait d'une famille de Tsiganes qui jouait du violon sur les marchés et parfois cuisinait pour lui. » [...] « Il s'était enfui loin de sa famille à dix-huit ans, et pour quoi ? Pour vivre moins bien qu'un romanichel ». Si la chance vous sourit et vous acceptez de la « reproduire », de ne surtout pas l'éconduire, vous épousez une riche qui vous fait goûter au caviar arrosé de vodka. Quand je pense à ce crieur que j'ai observé sur une plage quelconque : « Les beignets sont arrivés, qui c'est qui veut en manger ? Pour tous ceux qui ont la dalle, c'est un vrai régal ! » Dans « Vinh L. » quatrième de ses « Évangiles du crime », Linda Lê faisait dire à son narrateur « mon livre, pour exister, avait mangé d'autres livres. » Gourmets de tous les pays, réjouissez-vous !
Commenter  J’apprécie          290
Le propos : rendre hommage à un écrivain, voire à la force de la littérature en général, de cette littérature empreinte de « la violence de ceux qui ont en horreur les tièdes ». L'écriture commémorative devient urgente pour le narrateur : « m'acquitter de ce qui m'apparaissait clairement comme la plus haute des missions ». « Je leur donnais le sentiment d'employer presque toutes mes nuits à m'occuper d'une affaire de la plus haute importance dont il n'était nul besoin de préciser que je m'en tirerais avec maestria ? » C'est avec grand art que Linda Lê convoque des références variées et raffinées pour nous rappeler comment, après Kierkegaard, « rire [encore] des folies du monde ».
Commenter  J’apprécie          210
Oeuvres vives (marine): partie de la coque immergée dans l'eau par opposition aux oeuvres mortes, la partie émergée (p258).
Antoine Tran dit Antoine Sorel vit au Havre , sa ville natale. Il a écrit et publié plusieurs romans au tirage limité voir confidentiel. Sa notoriété ne dépasse pas un petit cercle d'initiés." sa prose (était) d'une noirceur accablante pour qui se voilait la face , mais tonique pour le liseur à la recherche d'antidotes contre sa myopie intellectuelle "(p23).
Notre narrateur, journaliste dans un hebdo parisien découvre par hasard l'oeuvre de Sorel .Révélation Choc .... Par le plus grand des hasards alors qu'il se trouve au Havre pour son boulot il apprend le suicide à 45 ans de celui qu'il considère désormais comme le plus grand des écrivains contemporains Il décide alors de plonger dans l'univers sorélien et se retrouve investi d'une mission pour lui incontournable réhabiliter , faire découvrir l'oeuvre de Sorel Quoi de mieux décrète t'il que de lui consacrer tout son temps , de partir à la recherche des personnes qui l'ont connu et de lui rendre hommage à travers un livre.
Voilà donc notre narrateur transformé en enquêteur ,arpentant le Havre , rencontrant les rares personnes côtoyées par Sorel fort peu nombreuses en réalité. Avec lui nous découvrons un personnage taiseux , ivre d'écriture , ivre d'alcool , solitaire , ayant choisi une vie de pauvreté et de misère en réaction devant les attitudes réactionnaires de ce père innommable raciste, chauvin, admiratif du puissant et de l'argent. Sorel lui reproche d'avoir renié leur ascendance vietnamienne. et d'avoir ignoré jusqu'à sa mort son grand-père arrivé dans les cales d'un navire en provenance de Saigon pour servir de main d'oeuvre pour remplacer les hommes partis au front .
Linda Lé auteure d'origine vietnamienne arrivée en France à l'âge de 14 ans est me semble t il un peu à l'image de son héros . Se refusant au jeu des interviews elle est encore peu connue du grand public mais son écriture en force , en rage parfois ne peut laisser indifférent . Pour moi une découverte d'un univers atypique mais plus qu'intéressant .
Commenter  J’apprécie          170
Le jeune journaliste, protagoniste de ce très bon roman de Linda Lê - Oeuvres vives - à tout pour (me) plaire : il écoute Joy Division dans sa voiture, se rend à des pièces de Beckett avant de s'enticher d'un écrivain torturé du nom de Sorel dont il trouve un livre, par hasard, pour apprendre sa mort par défenestration le lendemain ! C'est donc une enquête littéraire que va mener ce journaliste, pour prouver que la mort n'a pas le dernier mot sur la littérature. Dans la figure de Sorel on retrouve tous les auteurs aimés de Linda Lê : Robert Walser (qui se retira du jeu littéraire), Stig Dagerman (qui se suicida), mon cher Osamu Dazaï (décadent et malade mental), Ladislav Klima (héritier de Zarathoustra), Cioran (le pessimiste généreux), Ghérasim Luca (l'insoumis), et quelques autres grands nihilistes. Un beau roman, hommage à la littérature, celle qui change notre vision du monde :
Commenter  J’apprécie          80
De passage au Havre le narrateur, un jeune journaliste culturel, découvre un livre d'un écrivain local, Antoine Sorel, dont la lecture le bouleverse. le lendemain il apprend dans la presse la mort de Sorel qui vient de se suicider à 45 ans. Après avoir lu toute l'oeuvre de Sorel, romans et poèmes, il décide d'écrire un livre sur cet auteur injustement méconnu. Pour cela il entreprend de rencontrer et d'interroger les proches de Sorel: son père, son frère, ses femmes.

Le roman trace le portrait d'un homme complètement étranger aux contingences matérielles, vivant dans des taudis ou même à la rue, fréquentant des clochards et de plus en plus souvent alcoolisé à la fin de sa vie. Mais un écrivain qui ne laissait pas indifférent. Jugé trop noir voire même toxique par certains il est pour d'autres lecteurs celui qui leur a ouvert les yeux sur la réalité du monde:

"chaque fois que j'ouvrais un de ses livres j'avais aussitôt l'extraordinaire impression qu'un monde inexploré s'ouvrait à moi".

"elle s'était aperçue que ses livres l'avaient entraînée dans une sorte de voyage initiatique et qu'une transformation s'était opérée en elle".

Mais hélas le lecteur de Linda Lê, lui, ne lit pas Antoine Sorel et est obligé de croire ses admirateurs sur parole.

J'ai apprécié les descriptions des personnages que rencontre le narrateur et qui forment autant de tranches de vie très fouillées et détaillées. Mention spéciale pour Martin Tran, le père de Sorel -c'est un nom de plume- fils d'un jeune Vietnamien venu en France en 1940 pour y contribuer à l'effort de guerre, raciste forcené qui nie ses origines asiatiques et se voit comme un Normand pur jus. Sorel et plusieurs autres personnages sont des révoltés contre leurs parents qui ont fait des choix de vie en opposition avec les leurs. Pour interroger ses témoins le narrateur fait des aller-retour entre Paris et Le Havre et est charmé peu à peu par cette ville dont l'autrice nous donne de belles descriptions. Elle y a vécu et la connaissais bien, semble-t'il. J'ai trouvé enfin qu'elle écrivait fort bien. Mon avis n'est pas enthousiaste cependant car il ne se passe pas grand chose et que je me suis parfois un peu ennuyée.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
Commenter  J’apprécie          40
Un roman est un fantasme. Être projeté dans ce dédale d'hallucinations peut-être tantôt plaisant et tantôt cauchemardesque. Et parfois, comme dans les rêves mêmes, on peut s'ennuyer fermement.

Chère Linda Lê, comment ne pas lire cet opus - au regard de vos délicieuses inclinaisons pour une littérature que j'apprécie tellement - comme « la biographie imaginaire de l'écrivain maudit que je ne serais pas » ?
Mais ce monstre que vous formez dans le creuset de vos affections, chimère formée de toutes vos lectures, n'est-il justement trop normal dans son génie ? Pauvre, marginal, poivrot, antisocial et misanthrope, fou, obsédé par l'écriture, possédant en clair tous les tics d'un romantisme noir si délavé qu'il me paraît plus grisâtre. Ce pourrait être peut-être la victoire paradoxale de ce livre, faire sentir la saveur grisâtre des cendres après la désintégration physique et morale d'un homme.

Mais votre narrateur est là et réduit à néant la possibilité de jouir de ce possible. Car il est là, sans cesse, à vouloir ériger sa statue au Maudit, à réaliser sa volonté que le posthume exhume le poète inconnu, mal publié (car bien sûr les éditeurs n'aiment pas publier comme il faut les génies), et l'on assiste, l'oeil terne, à cette reconnaissance finale et soudaine.

Sûrement que situer le roman au Havre a été une très belle idée. Avez-vous fait un tour dans la bibliothèque Oscar Niemeyer dans « le Volcan » ? Ils viennent de rouvrir. Vous pourriez y lire La Nausée que, bizarrement, votre héros mélancolique ne semble pas avoir lu malgré son érudition rêvée... Référence trop écrasante ? Ou bien vous pourriez vous plonger dans les paysages où dansent les kobolds que Verlaine apercevait quand il glissait vers « Charleroi ». J'ai tant aimé ces paysages, ces poésies, ces références que votre Antoine Sorel me reste un pâle fantôme dans le soleil épuisé d'un après-midi de janvier.

Sorel ? Vraiment ? Pas comme Georges Sorel, bien sûr mais comme Julien Sorel. le Noir et le Noir aviez-vous peut-être projeté d'écrire, au moins en pensée, au moins putativement, à travers ce diable d'Antoine Sorel. Avez-vous soumis votre projet aux mânes de Julien Gracq ? Car là encore l'emprunt me semble si déplacé et ce héros tellement en manque de contrastes.

Pour le style d'ailleurs, peut-on s'en sortir en disant qu'il s'agit d'un narrateur journaliste et que l'on excusera à ce compte les formules toutes faites qui jalonnent l'ouvrage ?

« Elle l'a aimé au premier regard, comme on dirait dans les romans de 1850. »

Non. Ni en 1850 ni aujourd'hui. Je voudrais que vous me disiez un jour d'où vient cette fascination des expressions toutes faites que vous ne cessez d'utiliser, comme si vous preniez un plaisir poétique à employer toutes ces tournures qui se sont justement calcifiées en clichés. C'est une véritable interrogation, car l'effet est trop insistant pour qu'il soit une paresse d'écrivain. Je crois au contraire qu'il s'agit chez vous d'une recherche bizarre, peut-être liée à votre bilinguisme, dans lequel ces expressions trouvent un écho particulier. En tout cas pour moi ils biaisent ma lecture jusqu'à la pente fatale de trouver tout votre roman désespérément adolescent.

Tout n'est pas si sombre, je vous rassure (vos portraits de femmes aimées sont bien faits), mais comment s'enthousiasmer pour un auteur dont on n'a que la vie désastreuse pour toute référence et non les textes ? Bref je vous pose la question : la vie des écrivains est-elle une oeuvre à part entière ? Je dis bien « à part entière », exclusivement, à l'exclusion de la connaissance de tous les textes ? Car c'est ce que postule votre ouvrage en prenant le cas d'un auteur imaginaire dont un journaliste nous donne à lire la biographie sans aucun extrait de l'oeuvre même (une phrase en introduction, assez théâtrale, mais bien tournée, est un peu court).
Je suis un peu comme Proust, Blanchot et Derrida, la réduction biographique m'exaspère, surtout dans ce qu'elle a aujourd'hui d'écrasant. Avec Barthes je veux bien lire l'intrication de la vie et de l'oeuvre et des « biographèmes »:

"Si j'étais écrivain et mort, comme j'aimerais que ma vie se réduisît, par les soins d'un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions, disons des biographèmes dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir toucher, à la manière des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion ; une vie « trouée », en somme."

Mais ce que vous proposez, vous le comprenez, c'est la vie, mais sans l'oeuvre.
Commenter  J’apprécie          40
La narration à la première personne permet de se glisser assez vite dans la quête de cet écrivain mal-aimé de ses parents, alcoolique, peu lu et en gros oublié de tous. Cette quête est l'occasion pour lui de découvrir et aimer peu à peu la ville du Havre. A Paris, il se réfugie ou donne des rendez-vous dans des lieux que j'aime bien aussi pour leur calme, comme le musée Rodin (voir Matisse-Rodin) ou le musée national Delacroix (voir Une passion pour Delacroix, La collection Karen B. Cohen). Voilà un cocktail qui aurait dû me faire aimer ce livre, et pourtant, je me suis ennuyée par moment. Dans Lame de fond, il était déjà question d'un correcteur (au lieu d'un écrivain), originaire du Vietnam comme l'auteur, et d'une recherche des origines. [la suite sur mon blog]
Lien : http://vdujardin.com/blog/le..
Commenter  J’apprécie          40
Biographie inventée d'Antoine Sorel, écrivain maudit havrais qui vient de se suicider et qu'un journaliste essaie de réhabiliter et de faire connaître auprès d'un nouveau public.
On suit ainsi durant deux ans ce narrateur journaliste qui part au Havre pour enquêter et découvrir qui était réellement Antoine Tran de son vrai nom, petit fils d'un vietnamien enrôlé de force en France avant la 2éme guerre mondiale, fils d'un père facteur reniant ses origines et donc raciste et frère de deux cadets complices de jeu et de galère.
Ce livre semble un prétexte pour vanter la ville du Havre où l'auteur vécu. On sillonne les rues, les quartiers, les cafés dans ses moindres détails de noms, d'anecdotes jusqu'à l'épuisement ( je suis havraise et me demande ce qu'un lecteur lambda pour cette ville a pu en tirer comme plaisir). Il sert aussi certainement à faire revivre ses ancêtres vietnamiens, ses galères d'écrivain ( trouver un sujet, enquêter, rester neutre, trouver un éditeur, satisfaire ses lecteurs).
Ai-je aimé ? je n'en suis pas certaine mais j'ai sillonné avec le journaliste jusqu'au bout de son enquête qui reste sur un point d'interrogation, " va-t-il réussir à écrire cette biographie ?"
Commenter  J’apprécie          31


Lecteurs (36) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1710 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}