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Critique de si-bemol


Même si, considérant que la part de la fiction, dans son roman, l'emportait trop largement sur la vérité historique, Herbert le Porrier se refuse à le nommer explicitement, c'est bien à une rencontre avec Antonio Stradivari - dit “Stradivarius” - que nous invite "Le luthier de Crémone". du véritable Antonio Stradivari, de sa biographie personnelle, de l'homme de chair, de sang et d'émotions qu'il fut, l'histoire ne sait à peu près rien, comme si ses créations - ces fabuleux instruments aux sonorités divines et magiques - avaient à jamais éclipsé leur créateur au point de le résumer à son seul talent et à son art. Avec Herbert le Porrier, le luthier de Crémone - puisqu'il préfère l'appeler ainsi - reprend chair et vie, pour notre plus grand bonheur de lecteurs.

Ce luthier, qui ne l'est pas encore, est d'abord un petit garçon d'une dizaine d'années, en apprentissage chez maître Nicolas. Nous sommes à Crémone, aux alentours de 1650, et dans toute l'Europe - à Rome, à Paris ou à Vienne - la musique est “le signe distinctif par où se reconnaît le monde de qualité”. Paradoxalement, hors son atelier de lutherie installé là un peu par hasard depuis le début du XVIe siècle et fournissant en violons de qualité les cours d'Angleterre, d'Autriche et de France, la musique, qui “aime les puissants et les riches”, n'a guère sa place à Crémone, petite ville misérable et laide régulièrement ravagée par les ambitions contraires des grands de ce monde, et par la peste.

C'est là que, venu de la campagne, grandit le petit Antoine, apprenti luthier récalcitrant et peu motivé qui se serait préféré peintre et qui apprend à la dure un métier qu'il n'aime pas. “Mais la fermentation opérait sans doute dans le secret des fibres”, et l'éclosion de la chenille en papillon, de l'élève maussade en futur maître se fait un matin d'été où le maître de chapelle Cavalli, disciple de Monteverdi, vient à l'atelier essayer un violon. Et pour l'enfant médusé, à qui la musique révèle pour la première fois la raison d'être des violons, plus rien ne sera jamais comme avant : le luthier phénoménal qu'il deviendra - et dont nous allons suivre, jusqu'à sa mort (à plus de 90 ans), le travail, les recherches, la vie, la carrière et la gloire - vient de naître.

A partir des rares traces biographiques laissées par le véritable Antonio Stadivari, Herbert le Porrier brode une histoire tout à fait convaincante, nous immerge avec talent dans près d'un siècle de lutherie, au coeur d'une Europe convulsive, tumultueuse et tourmentée, à l'effervescence culturelle et artistique remarquable : celle du “Grand Siècle”, et nous offre à redécouvrir un homme d'exception et un artisan génial sans lequel la musique et l'univers des instruments à cordes ne seraient pas tout à fait les mêmes.

J'avoue avoir une tendresse particulière pour les romans qui mettent en scène la musique, la facture (pour les pianos) et la lutherie. Et je me suis régalée à la lecture de ce roman, de surcroît très bien écrit, qui nous invite à pénétrer - avec beaucoup de justesse - dans les recherches et les mystères qui président à la naissance d'un instrument d'exception, avec ce que cela suppose de tâtonnements, d'échecs, d'idées et de trouvailles, et où l'on assiste à l'éclosion - puis à la maîtrise - d'une vocation et d'un destin hors du commun.

Un très bon moment, et une belle lecture.

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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