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Critique de Dessert


Vers Valparaiso. Perrine le Querrec. Textes et illustrations. Collection Sur La Lune. 2020.
ISBN : 9782930607917. 102 pages, 16,00 €

Vers Valparaiso, de Perrine le Querrec, Les Carnets du Dessert de Lune, 102 p., 16 €, 2020
https://www.dessertdelune.be/store/p885/Vers_Valparaiso_%2F%2F_Perrine_Le_Querrec.html

Si c'était à refaire je renaîtrais carte postale d'un val paradisiaque entre mer et monts, me frotterais d'une anaphore frontale à l'amer de ces monts, d'un aval où l'âme erre je créerais mon amont. Je renaîtrais volontiers Perrine le Querrec dont le « monde grouille de pluriels abandonnés ». Il est quelque part entre mer et montagne un pur mon mien, comme on est deux parfois où l'on tue toi & moi, un son sienne terre, terre, dit Colomb.
Valparaiso est à portée de langue ce vallon édénique en bord de père & mère qu'Agnès Rouzier nomme le nul part et Jarry la Pologne. Comme il y eut une Critique de la raison pure, ici en ses avatars selon l'influx prose ou vers est le poème de la pure écriture, l'intime soi vécu comme un concentré excentré d'exotisme heureux. Il n'est pas La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres, cette Brise marine amarrée prise pour bateau ivre, plutôt une invitation au voyage, explosante fixe, celui de l'écriture seule dévalant des pentes linguales : « La balle qui dévale vers la mer. La pluie qui rigole dans ton dédale » – rigoler pas une licence poétique pour qui lit sens, celui de l'âme arche.
« Elle travaille sur plusieurs pages à la fois / Elle atteint le sommet du bonheur. // Tous les jours à ma table avec les larmes aux yeux. » Nuits d'insomnie à écrire « les narines pleines d'urine » ; « le souffle contenu puis répandu » : à mots positionnés large, une générosité gonflant la phrase comme une voile.
Des « humeur[s] » qui nous sont familières : « On ne vous dérange pas si on s‘assied auprès de vous ? […] / totalement vous me dérangez jusqu'aux entrailles vous vos voix vos commentaires bruits m'empêchent vous m'empêchez de respirer de penser d'écrire. »
L'exclusivité scripturale laisse jour toutefois à quelques images, photographies ou montages démontages photographiques, questions insolubles abruptes résolues d'à pic, métaphores resserrant encore la métaphore : celle de couverture répondant au poème en quatrième (« Tes secousses les engloutissements les effondrements » d'un éden aux vagues stylisées) ; un oeil perçant sa fenêtre dans un rectangle noir, en fond de l'oeil une grande maison bascule comme un regard ; une colonne ligneuse de cônes épointés tête-bêche se découpant en premier plan d'une haute roche comme on plante une aiguille.
« Courbée sous mes ratages / Dans le vide, laisser croître le beau / Dans le beau, laisser croître le vide »
Je reviens à cette quatrième de couverture déployant, convulsant tout le livre, et dont le poème s'élève comme son moment cardinal, son final en boucle : l'épistrophe anaphore « sinueuse et secrète », tenace comme un Je vous salue Marie D athée, du « on dit » ou « on murmure » initial jusqu'au « porter ton nom » martelée comme une prière ou un Christ. Happé d'entrée par sa musique, j'en extrais encore « On dit que tes flancs à découvert montrent la pauvreté comme la beauté je voudrais porter ton nom », hommage à une baudelairienne mendiante rousse.
Retourné dans l'ouvrage, se frotter à ses butées de « matière noire ». S'ouvrir à « l'éclosion des roses noires l'érosion des roches noires l'évasion des cloches noires ». Retrouver dans « Des gestes mis en boucle dans des mots mis en boucle dans ma bouche mise en bouche » d'oenologue du verbe le martèlement de paronomases en trépidation de Ghérasim Luca. Qu'un seul vers, « La nuit tombe par les trous de tes yeux », aussi bref que bulle ou rescrit, balaye le branlebas d'ismes des « philosophes ». de sommations en défis une poésie de cartels ronge son armure en sabbat singulier.
Rarement en poésie contemporaine l'invention formelle n'émane autant sans détours à mille tours d'une blessure ouverte. Investie surinvestie la langue, de ses pics et crevasses déchargé le lest sur le ballast. En quelques dimensions inconnues à nos sens l'insomnie appelant une syntaxe du rêve.
Poésie du vécu, lequel piaffe derrière les mots, voire devant – introspectif aussi.
À bras, à branle-bas le corps.
La poésie dans son cornet (où le corps naît, ou né se meurt, revit) qui les secoue plutôt que d'uniment narrer la vie – inscrit dévoie sur le roman un avantage majeur : ses dés pipés, de grand hasard peuvent au matin clairet tirer une quinte flush.
© Christophe Stolowicki in Terre à ciel, novembre 2020

https://www.dessertdelune.be/store/p885/Vers_Valparaiso_%2F%2F_Perrine_Le_Querrec.html « Et nous irons à Valparaiso où d'autres laisseront leur peau. » Ce vers de la très belle chanson de marins Nous irons à Valparaiso n'apparait pas dans l'ouvrage haletant de Perrine le Querrec ; le nom même de Valparaiso est ignoré. Seul le titre témoigne de la quête. C'est un livre sur l'écriture, l'acte d'écrire, l'art de penser l'écriture – de se perdre définitivement sans mourir dans l'écriture.
On pense l'écriture avec toutes les ressources extérieures au geste et avec celles que recèlent le corps de l'écrivain et sa pensée. Mais la musique, le chant, si bien portés par Marc Ogeret en son temps et par le capitaine Haddock dérivant dans l'espace dans On a marché sur la Lune, la petite musique de la lente dérive de l'écrivain vers Valparaiso, le port ultime de la pensée totale, cette petite musique hante les pages de l'ouvrage : et ho-hisse et ho !
Les ressources extérieures sont multiples : des plus petits objets, les grains du sol, l'orange, aux plus imposants, les toits des usines... La ressource intérieure est infinie et mêlée intimement à l'environnement ; l'éthologie n'est pas absente non plus des ressources de l'écrivain.
Les bêtes écrivent aussi dans sa tête aux milliers d'yeux : des animaux à vouvoyer là où l'humain… note le Querrec, ou encore un poulet à gagner des visages avides. L'image d'un singe sur l'épaule, comme celui du général Pichegru, reclus en Guyane à la fin du XIXème siècle : un ouistiti, le plus sûr compagnon de son Journal. Toutes les ressources de la symbolique, de la métaphore sont engagées durement par l'artiste. L'écrivain est un artiste, c'est le pari de Perrine le Querrec. Il n'est pas celui qui raconte une histoire forcément attachée à l'actualité et ainsi liée au monde du commerce et de la rentabilité immédiate du livre. L'art est au-dessus de cette position.
Le titre d'abord : la première page intitulée Titre de Vers Valparaiso cache Valparaiso pour mieux le dévoiler dans les arcanes de la pensée ; le développement en boucle reviendra par La Fin (dernière page) au début, soit au Titre, grâce à ce Jamais jamais plus nue que nue dans la salle des nus jamais jamais. Ainsi le titre est nu, jamais prononcé il ne sera. Mais toujours sera porté par la petite musique des voies et voix explorées.
Revenons, juste le temps d'une phrase, à l'intime, à la ressource intérieure : elle dit, Perrine le Querrec, sur le chemin de Valparaiso, les lèvres flottent autour des mots, ou encore, je suis enceinte des livres. On soupçonne des grossesses pathologiques. Il faut aller jusqu'au noir […] le monde n'arrête pas de tomber. Il est temps de déshabiller le cheval. Formule extraordinaire, qui dit plus qu'un roman. Déshabillons-le ce cheval d'envie.
L'acte d'écrire se meut dans ces entrelacs mais il ne s'y résout pas. Cheval déshabillé, écriture déshabillée, acte majeur et souverain. Loin de l'industrie littéraire qui « répond » à la demande supposée des lecteurs et qui, en fait, assèche l'écriture en la réduisant à un simple moyen de raconter des histoires sans qu'il soit besoin de penser, surtout pas, Perrine le Querrec renoue avec l'écriture magique, vectrice du chant venu des profondeurs, de l'ancien. Comment ? En bannissant une ponctuation régulière trop écrite et banalisant le sens, elle oeuvre pour l'émergence d'une littérature cherchant l'empreinte pure, et propose au lecteur plus un travail qu'une lecture. Mais un travail réjouissant, poétique, à l'école de tous les dieux accompagnant le naturel – sous le regard de Baruch de Spinoza ; pourquoi là une virgule et pas ici (point ici sèmerai le trouble) ? Parce que. Parce qu'il faut cesser de se raconter des histoires convenues, il faut désapprendre à être trop raisonnable et enfermé dans la boite à quatre coins qu'on appelle livre marchandé, normé ; la ponctuation arrachée à sa norme soulève le livre, le « machine » à l'envers, en fait une arme à penser ce qui n'est pas écrit mais possible. Lisons et écoutons cette musique :
En rond
Tourne en rond
Tourne mes pages en rond
Je tourne en rond mes pages
Mets en pièce et reconstruit l'univers
La phrase se recourbe et enroule ses
tourbillons parfaits
Son rythme me noie, me dévoile me noie,
insatiable inlassable
Emportée par le courant de la raison,
si j'aspire une grande bouffée de mots
survivrais-je ?
Me dévoile me noie… mis en exergue entre deux rares virgules… au loin se devinent les lumières du port de Valparaiso.
© Philippe Thireau in https://www.recoursaupoeme.fr/perrine-le-querrec-vers-valparaiso/

Prendre l'autre à bras le corps, prendre la langue à bras le corps, c'est aussi le programme du magnifique Vers Valparaiso, paru aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune. On y trouve tous les aspects d'une quête : celle de la seule langue possible et désirable, la langue de vérité de la poésie. Celle dont le lecteur ne peut se détourner, qui lui fait parfois monter une houle de larmes ou de nausée, ou bien lui fait éclater le coeur d'une joie sans pareille. Mais loin d'être un simple art poétique, Vers Valparaiso est une défense et illustration, en acte, de la puissance de cette poésie-chair. Entrer dans ce livre, c'est entrer dans un corps, une langue organique saisissante qui s'impose comme un espace de sidération pour le lecteur.
D'abord parce que Perrine le Querrec situe l'écriture dans le corps, origine le texte dans le corps comme son habitation première, et vit l'acte d'écrire comme geste qui engage ce corps tout entier – comme Jeannot gravant son plancher, comme Bacon, peignant et recherchant une parole qui s'adresse aux nerfs, procure des sensations physiques, délivre la seule vérité : la nudité de l'être, « la vérité d'abattoir » (Bacon le cannibale).
Elle autopsie son sujet, et la langue poétique qu'elle forge constitue l'instrument de vivisection le plus efficace. le recueil explore aussi ce qu'est l'expérience d'écrire dans sa totalité et sa matérialité — le rapport à l'espace de la page, à la typographie, aux images qui surgissent, aux outils et au corps, aux « mots si chair », à la dislocation et la recomposition de la syntaxe et du lexique. C'est une bataille que raconte Perrine le Querrec : faire contre et avec le doute, faire contre et avec la langue banale, contre et avec le réel quotidien qui requiert sans cesse, contre et avec les assauts de la sauvagerie d'écrire, qui absente parfois l'autrice, la déconnecte du réel et peut la rendre incapable de vivre avec les autres. Un « langage agité, jamais au repos » : comme dans le court métrage de Joris Ivens sur Valparaiso qui a inspiré le livre, on suit les circulations de l'autrice dans la langue, ses ascensions et ses descentes comme en un escalier infini. Pas d'histoire à raconter autre que celle de l'écriture comme seul espace, seule temporalité : « Les jours en désordre ton écriture sans défense déplie son plan ». le titre l'annonçait : on est toujours en chemin, dans la poésie, on est vers elle, on rêve la rive comme les marins espéraient Valparaiso après une traversée tumultueuse.
Écriture du désastre, du carnage, de « l'horrible silence du réel », de la terreur viscérale qui remonte des profondeurs de l'enfance, écriture de l'inconscient, de la destruction et de la construction, les textes de Vers Valparaiso ne cherchent pas la pose esthétique mais une langue qui libère la pensée et engage totalement : un «langagement». Perrine le Querrec refonde une langue animale, organique, brailleuse, où les mots se mettent à grouiller, à galoper comme des « chevaux de neige ». Elle n'élude pas le chaos, le « langage monstrueux viande à découper » :elle mange sa propre langue et la redécouvre dans l'espace du poème : « Je flirte avec le charabia ». Elle sait qu'elle est bien loin de la légèreté d'une poésie facile qui correspond davantage au goût des lecteurs consommateurs, ces poèmes « tupperware » dont « tu ne risques pas de te blesser en soulevant le couvercle ». Elle s'attaque, elle, « aux rainures du monde », à ce qui demeure hors « des routes, des routines ». Elle fait crépiter le langage, comme une salve.
Dans ce travail, le corps entier est emporté, fébrile, en tension, se creusant comme une caisse de résonance au souffle qui s'impose sans esquive possible, à « cette cohue de mots à la lisière de ma peau ». C'est sans doute le motif de la peau qui est l'insigne de Vers Valparaiso, la peau comme lieu de rencontre entre le monde, le moi et la langue : « si j'écrivais ce livre sur de la peau, ils verraient les mots ». Les figures dont elle s'empare coagulent ainsi dans l'écriture, passent de « la chair au papier », dans un acte de connaissance intime des êtres : « Je taxidermise les vies ».
Cette quête du poème est servie par un complet brouillage énonciatif : Perrine le Querrec écrit indifféremment je, elle, tu, nous. Quant à l'autrice, elle demeure protégée par l'écriture, elle survit à l'abri et en équilibre grâce à l'écriture ; le vrai je reste inaccessible à la violence du monde, derrière la muraille protectrice des mots, dans le travestissement des tu, des elles, des nous, des moi multiples, différents selon les jours : il fallait ne pas choisir, les laisser tous s'exprimer dans ce recueil choral répondant à la question « Qui ? écrit mais quel geste mais quelle main mais quel cri quelle femme ? » En réalité, Perrine le Querrec s'écrit aussi, comme on se scarifie : les mots dans la chair, toujours. Au final, on ne sort pas indemne de cette écriture palpitante comme un coeur à vif. Violente et lumineuse, incroyablement libre, cette voix de femme dévoile la poésie telle qu'on la cherche : dangereuse et nécessaire.
© Cathy Jurado in magazine Diacritik, juin 2020
Diacritikhttps://diacritik.com/2020/06/08/perrine-le-querrec-ecrire-en-cannibale-rouge- pute-vers-valparaiso-la-bete-et-son-corps-de-foret/

La poudre noire d'une poésie à haute intensité déployée sous nos yeux jusqu'à son point

Le marbre
Attaquer
Le marbre de la page
La roche du mot
Attaquer le grain la forme le fou
Je ne vais rien vous montrer mes mains en sang je ne vais pas les montrer
Les éclats éblouissants fichés dans mes yeux je ne vais pas les montrer
L'engagement je ne vais pas le montrer il est invisible il troue le marbre le silence de ma bouche
Je ne vais rien dire vous n'écoutez pas le marbre vous vous y penchez comme sur la mort
Le tragique invisible
Depuis l'origine ou presque, Perrine le Querrec exécute un travail en profondeur donnant ou inventant une parole aussi authentique que possible (car assise sur un intense travail documentaire ou un recueil de données de première main, avant que n'intervienne la transmutation poétique) pour des voix qui n'en ont pas ou qui n'en sont pas : patients psychiatriques connus (« le plancher », 2013), moins connus (« Jeanne L'Étang », 2013) ou semi-fictifs (« La ritournelle », 2017), victimes de viol collectif (« le prénom a été modifié », 2014), adolescentes emportées par la transe ou la simulation inavouable (« L'apparition », 2016), ou encore femmes confrontées à la violence domestique radicale (« Rouge pute », 2018).
Lorsque d'autres voix ont, ou ont eu, chacune à leur manière, pignon sur rue, c'est bien d'une compréhension intime du lien entre leur poésie et leur cabossage, intérieur ou extérieur, et des marques alors laissées dans leur chair et dans leur esprit, qu'il continue de s'agir chez l'autrice : ainsi en est-il, souvent à contre-courant d'une certaine doxa même bien intentionnée, avec Unica Zürn (« Ruines », 2017) ou Francis Bacon (« Bacon le cannibale », 2018).
Charabia
Je marque la page de mon identité
Je vois le monde au pied de ma lettre
par moi par soi par ailleurs
J'honore les contre-évidences
en tant que telles
Je suspends le langage
Je flirte avec le charabiaJe taxidermise les vies
J'entends la voix de la dépouille de la traque au meurtre
du savant dépeçage au lent remplissage
du réel à la phrase
de la chair au papier
Il est d'autant plus intéressant ou émouvant, dans ce« Vers Valparaiso », recueil publié début 2020 aux Carnets du Dessert de Lune, de lire Perrine le Querrec se penchant poétiquement sur les ressorts intimes de cette écriture-là, et sur les caractéristiques de la transmutation qu'elle opère, volontairement comme à son coeur défendant. Si la colère analytique de « Bec et ongles »(2011) et les échardes déterminées de « La Patagonie »(2015) donnaient déjà à voir et à penser en quoi consiste le carburant pur de cette poésie des marges ignorées ou exploitées, c'est plutôt du côté des brefs textes confiés aux éditions Derrière la salle de bains (tels que « L'initiale »en 2014 ou « L'excédent » en 2016) que l'on trouvait jusqu'ici les aspects les plus programmatiques de l'écriture de l'autrice. Ici, un
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