Il fut un temps, au XIXème siècle, où Cherbourg, port d'attache de l'Escadre du Nord, voyait se dresser, vers le ciel de l'arsenal, une forêt de matures. Les silhouettes de nombreux cuirassés, de leurs tourelles et de leurs cheminées se reflétaient sur le miroir des différents bassins.
Un peu plus loin, la statue équestre de Napoléon 1er se dressait sur son socle de granite.
Au fond de cette perspective, embrassant l'horizon, la ligne grise de la digue barrait la mer sur une longueur de plus d'une lieue.
Les cabarets étaient remplis de matelots, les rues regorgeaient d'uniformes.
Gustave le Rouge a choisi le cadre de cette cité marine, toute militaire, pour y planter le décor de son intrigue, une sorte de récit d'aventure teinté d'espionnage.
Au petit matin, deux hommes sortent du Cercle Officier sur le quai Coligny.
Ils ont joué gros.
Le capitaine de frégate de Kérity a gagné près de trente mille francs.
Servières, en civil, a perdu cinq mille francs qu'il doit à son ami.
Se séparant sur les quais de l'avant-port du bassin du Commerce, ils ne se doutent pas que le destin va entremêler et tisser les fils dont ils vont être les marionnettes.
Le capitaine de Kérity, flânant dans bars du port, flirte avec Marie-Ange, sans savoir qu'elle est la fiancée d'Yvonnig le Gall, matelot lorientais embarqué sous ses ordres sur le cuirassé "La Dévastation".
Une altercation s'en suit qui, ayant pour témoin inopportun l'amiral Dutonnoir, mènera l'infortuné le Gall vers la forteresse et le conseil de guerre.
Servières, qui aime en secret Jacqueline, la fille de l'amiral, se rend pourtant à un rendez-vous galant mystérieux. Il est suivi par un grand diable maigre....
L'enjeu de ce ballet est un portefeuille de plans.
Servières a inventé un sous-marin de conception nouvelle et révolutionnaire.
L'amiral Dutonnoir lui a proposé de financer la construction d'un prototype....
Gustave le Rouge fait une description minutieuse et évocatrice du port de Cherbourg et du petit village de Landemer, près d'Urville-Nacqueville, qui connut une certaine notoriété lorsque l'Infante d'Espagne,
Boris Vian, Claude Monet, Édith Piaf ou
Françoise Sagan y avaient leurs habitudes.
Le récit est classique mais assez prenant. Il éveille la curiosité et l'intérêt.
Gustave le Rouge est valognais. Il est né, en 1867, au n° 7 de cette même rue de Poterie où mes grands-parents avaient leur petite maison.
Ayant fait son lycée à Cherbourg, entre 1881 et 1886, il rend compte, en 1900, de sa plume talentueuse du tableau qu'il avait pu observer dans ce port militaire.
La lecture vaut pour l'intrigue, bien sûr.
Mais elle vaut, bien plus encore, pour le décor, les personnages et l'évocation de l'époque.
Cet ouvrage est une curiosité en même temps qu'une peinture très réussie de la garnison de Cherbourg lorsque, autrefois, une flottille de cuirassés assurait sa puissance et sa prospérité.