La révolte contre l'injustice, le mépris, l'arrogance de ceux qui se croient tout-puissants est au coeur de
Jacquou le Croquant.
le sobriquet de Jacquou, « Croquant », l'inscrit dans une tradition de révoltes paysannes : « les soulèvements des Croquants du Périgord, sous Henri IV et
Louis XIII », ses ancêtres étaient chefs de troupes de révoltés « qui brûl[aient] les châteaux des nobles, tyrans du pauvre paysan, et c'est de celui-là que nous vient le sobriquet de Croquant ! »
L'injustice, le mépris, l'arrogance et surtout la méchanceté sans bornes sont incarnés par le comte de Nansac qui exploite et maintient dans la misère ses métayers, qui ont cependant un meilleur sort que ceux qui en sont chassés, comme la mère de Jacquou. Les journaliers peinent à gagner leur vie et meurent parfois d'épuisement. Ils en sont réduits à louer leur force de travail d'une ferme à l'autre, en fonction des besoins.
Ce roman est intéressant d'un point de vue historique car il renvoie à plusieurs époques : celle d'Eugène le Roy qui a publié son ouvrage en 1899, celle de la Restauration de la monarchie, à la fin du règne de Napoléon, jusqu'à la révolution de juillet 1830, période à laquelle se déroule
Jacquou le Croquant, mais aussi celle de la Révolution française en 1789, surtout de l'héritage qu'elle a laissé, comme l'abolition des privilèges, et qu'il faut préserver.
La Révolution française a mené à la République et
Eugène le Roy est un républicain, antimonarchiste et anticlérical. Il se veut proche du peuple. À la même époque, Jaurès lance un appel à la mobilisation des campagnes pour inciter les paysans à se constituer en classe sociale et défendre leurs intérêts.
La présentation du livre de poche que je possède, rédigée par Amaury Fleges, analyse très bien le contexte politique de l'époque qui donne son sens et sa portée au roman. Il n'est cependant pas manichéen : tous les nobles ne sont pas méchants, infâmes, injustes. le chevalier de Galibert est un homme de grande qualité alors que le comte de Nansac est une pourriture qui doit ses titres de noblesse aux talents de prostituée d'une ancêtre auprès d'un ministre du roi ! Quant au clergé catholique, parmi de nombreux hypocrites cupides qui ont plus oeuvré, sans le vouloir, pour la déchristianisation que tous les anticléricaux de la IIIe République réunis, il existe dans ses rangs des hommes qui ont vraiment la foi, tel le curé Bonal. le sort qui lui sera réservé pousse à s'interroger : face à la froideur, à l'obstination des représentants d'une institution sclérosée, la bonté n'est-elle pas vouée à l'échec? Que reste-t-il alors, si ce n'est la révolte, le désir de vengeance ?
Jacquou le Croquant est le récit de Jacquou devenu vieux, l'ancien du village, qui est respecté et dont on écoute les anecdotes au coin du feu ou sur un banc. Il a tellement vécu qu'il a beaucoup de choses à raconter et transmettre. Un visiteur décide d'écrire son histoire telle qu'il la lui a contée et d'en faire un livre.
Ce procédé donne une impression d'authenticité. J'ai été captivée par ce récit émouvant et fertile en rebondissements qui a une dimension didactique et pédagogique, plaire et instruire en même temps. le texte de présentation m'apprend d'ailleurs qu'il était utilisé par les instituteurs de la République pour instruire le peuple à partir de ce qu'il connaissait, qui lui était familier, une chronique de la vie paysanne avec une visée morale, quels sont les enseignements de ce texte, qu'est-ce qui est bon pour la société ?
Les gens « affectionnent » et « respectent » Jacquou car il est celui qui les a délivrés d'une « tyrannie insupportable », a fait « sans y penser » le « bonheur » d'un pays, les journaliers qui vivaient misérablement et n'étaient pas libres, « jamais sûrs du lendemain » ont pu avoir un petit lopin de terre grâce à la vente à bas prix de l'immense propriété du comte de Nansac et devenir de « bons paysans, maîtres chez eux, qui ne craignent rien et ont conscience d'être des hommes. » Jacquou en déduit la morale de l'histoire qui, comme dans les fables
De La Fontaine, amène le lecteur à réfléchir : « d'où il faut conclure que la grande propriété est le fléau du paysan et la ruine d'un endroit. »
Jacquou le Croquant est un roman riche d'enseignements, la réflexion politique que permet ce récit d'une vengeance n'est pas périmée et garde toute sa pertinence. Qu'est-ce qui pousse à la révolte, au désir de se faire justice soi-même, qu'est-ce qui peut empêcher ces drames, cette violence pour obtenir ce que nous nommons aujourd'hui de la cohésion sociale ?
Eugène le Roy, à travers les paroles de Jacquou, apporte sa réponse : « chacun, pour petit qu'il soit, peut recourir à la loi qui nous protège tous. » Et pour que la loi nous protège tous de l'injustice, il faut bien sûr qu'elle soit juste. Voilà un livre qui devrait intéresser gouvernements et députés !