Un très beau livre lu sur le conseil de SK.
Trois parties :
L'auteur raconte sa jeunesse vers 1900, partagé entre la littérature (et l'écriture de ce livre) et les cocottes avec lesquelles il a des relations d'amitiés et sentimentales. C'est son bain d'oxygène, plaisir, de partage au sein des Folies Bergères ou autres établissements du même genre.
Une deuxième partie, son enfance dans le quartier de la rue des Martyrs, son père, coureur de jupons et ses servantes qui lui tiennent lieu de mère.
Et puis une troisième partie, les retrouvailles, suite au décès d'une tante, avec sa mère, qui a reconstruit sa vie en Suisse. Une troisième partie pleine de délicatesse et de dureté au travers d'échange de lettres. Une mère qui lui donne en même temps des signes d'amour et d'ignorance (elle ne parle que de ses plus jeunes enfants), qui lui écrit des lettres tendres et en même temp marchande, pour la poursuite de leurs échanges, le retour de ses premières lettres (peur qu'il s'en serve ?) pour finir par ne plu échanger avec lui.
Le tout est écrit dans un très beau style : c'est fluide et cela se lit agréablement. j'aimerais que nos auteurs modernes aient une telle fluidité d'écriture.
Un livre très actuel (même si le contexte a bien changé) par le mode de vie (un enfant laissé à lui-même par des parents séparés), les retrouvailles et la quête de l'amour perdu.
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Dans « le petit ami », Paul Léautaud expose ses souvenirs d'enfance, l'auteur a alors 31 ans. L'ouvrage est paru en 1903, il a eu peu de succès, les réimpressions restent confidentielles. Les éditions Gallimard lancent une nouvelle publication en 1997.
L'auteur, en précisant son périmètre de vie, y dresse un plan de Paris à la fin du XIX ème siècle. L'animation dans la capitale paraît soutenue, et le milieu artistique, littéraire marqué par la frivolité. Paul Léautaud habite chez son père mais il est confié, très jeune, à une bonne. Il entretient ses amitiés avec les lorettes, ces femmes élégantes qui vivent de relations avec les hommes. L'ouvrage marque une forme de « dédoublement de personnalité » chez l'auteur. Mature dans l'exposé de sa vie avec les femmes de son quartier, il montre un comportement d'enfant avec sa mère dont il a été séparé très jeune.Il la retrouve quand il aborde l'âge adulte et lui déclare alors un amour filial qui, par ses excès, finit par la lasser.
Paul Léautaud narre, dans une expression "naturelle", sa vie quotidienne. La sincérité est soulignée par un style direct, sans réelle recherche stylistique. L'émotion s'affirme quand l'auteur veut retrouver l'amour maternel, elle se déploie dans une vaine volonté de rattraper le temps perdu.
Le livre fait revivre un monde passé et perdu : le Paris du XIX ème siècle, dans un cadre littéraire romantique et introspectif.
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Des gens qui me connaissent ont beau me soutenir qu'il n'y avait rien là de si renversant, moi je persiste à trouver au moins curieux que ma mère m'ait parlé, sans en rien savoir, de ce livre que j'étais justement en train d'écrire. Un roman de ma vie ! Et moi qui avais toujours cru que la vie n'était pas un roman, - une clownerie, tout au plus !...
" Est-ce au courant de la plume, lui écrivis-je, que vous est venu ce que vous m'écrivez d'une sorte de roman de ma vie, ou y avez-vous pensé sérieusement ?... Que de choses je vous dirais là-dessus, si je ne craignais de vous voir redevenir sévère. Pourtant, y avez-vous bien réfléchi ? Le peu que je vous ai laissé voir dans mes lettres de ma façon de vous aimer n'a guère eu d'autre résultat que de vous faire faire des manières. Que serait-ce alors, et que penseriez-vous, si je publiais un livre où je me serais laissé aller à tous mes sentiments, uniquement préoccupé d'être sincère et de me faire plaisir ? Sans doute, nous serions seuls à savoir le vrai de l'histoire et que vous êtes ma mère et que je suis votre fils ! Mais, tout de même, qu'est-ce que vous diriez ? Ne me répondez pas maintenant, je préfère; ce sera pour un autre jour...
Ce ne fut néanmoins pas pour un autre jour.
" Ce n'est pas à la légère que je te disais de faire un roman de ta vie, me répondit-elle tout de suite, et si je comprends bien, ou tu y as déjà pensé ou tu as peut-être commencé. Quoi que ce soit qu'il contienne ( c'est elle-même qui a souligné), rien ne me fâchera, sois-en sûr. J'aime bien mieux te répondre tout de suite, car mes idées ne changeront pas, et d'ailleurs, ainsi que tu le dis, personne ne me reconnaîtra à Paris, étant oubliée de tous, et ici, à ..., on ne peut me soupçonner... Réponds-moi à ce sujet, il m'intéresse fort, et quoi que ce soit que tu veuilles dire, ose tout, tant pis, aussi bien dans tes lettres que dans ce roman, si tu te décides à le faire, ce que je te conseille. Pense donc ! pas d'effort d'imagination à faire, écrire au courant de la plume, une histoire ! Et puis, tu sais, quand même tu aurais à dire un peu de mal de moi, ne te gêne pas, je ne serai pas fâchée. Mes fâcheries, en tout cas, ne seront jamais bien longues. J'en serai quitte, si c'est bien nécessaire, pour te faire de la morale... Quand on va à confesse, on dit tout, on est absous, et... on recommence ! Tu feras de même, et moi-aussi !...
Combien de pas ont effacé les miens dans toutes ces rues où je me promenai, combien d'autres enfants ont joué aux endroits où je jouai ! Dire qu'il y a plus de vingt ans de tout cela, plus de vingt ans que j'ai vécu là, que j'ai respiré là, et que rien de ces choses ne peut revivre. Beautés évanouies, silence éternel.
.... ce livre restera tel qu'il est. Je n'ai déjà mis, du reste, que trop de temps à l'écrire, et l'éditeur aussi a assez attendu. Combien d'autres, à ma place, même plus indifférents que moi quand à la forme, l'auraient achevé depuis longtemps. Heureux auteurs, qui font des livres comme on fait des additions. Seulement, je me demande où est pour eux le plaisir...
"Quand ce sera écrit, me disais-je, ce sera fini. Tant que c'était en moi, c'était de la vie. Tout à l'heure, ce ne sera presque plus à moi. Jouissons-en donc encore une fois."... Maintenant que je relis, je ne trouve pas dans ce livre seulement vingt pages qui me contentent. Il doit être pourtant comme beaucoup de livres ; des passages à aimer ou à détester et des passages assommants ?...
N'empêche que quelques-unes des phrases les plus sensationnelles de ce livre me sont venues ainsi, dans des cafés ou dans des promenoirs, pendant que je flânais ou bavardais, en regardant, quelquefois sans les voir, des visages de femmes pénétrants et fatigués. Même, qui sait ? Ce livre aurait peut-être été tout à fait bien si je ne l'avais écrit qu'avec de telles phrases, et je n'ai peut-être pas perdu assez de temps à "attendre le moment du génie", comme disait Stendhal ? Lui, pourtant, regretta un jour d'avoir passé trop de temps à l'attendre. Mais qui ne voudrait l'avoir un jour, ce regret, et avoir écrit de tels livres ! On n'écrit bien, on n'a d'idées que dans les moments d'émotion et de plaisir. Vouloir écrire quand on n'est pas ému et heureux, c'est bien souvent perdre son temps et ne rien faire de bon. J'espère que je suis intéressant, maintenant !...
Je voudrais encore que des bras affectueux me portent dans la vie pour m’en éviter les heurts et les fatigues.
En tout cas, je l'aurais recommencé, ce livre,... que je n'aurais pas fait plus attention au style. Ça m'est bien égal qu'il soit mal écrit et j'avais autre chose à faire, en l'écrivant, que de perdre mon temps à soigner mes phrases. D'ailleurs, bien finis pour moi, les chinoiseries de l'écriture et les recommencements, comme il y a encore deux ans, quinze fois de la même page. Les grandes machines de style, avec le perpétuel ronron de leurs phrases, m'ont à jamais dégoûté de la forme. Pauvres livres, si harmonieux, si l'on veut, et si assommants ! Dans les livres que j'aime, il n'y a pas de rhétorique, il y a même bien des imperfections, mais celui qui les a écrits valait tous les Flaubert du monde. Ah ! la beauté, l'intérêt pénétrant, souvent, de certaines de ses phrases mal faites, mais laissées dans leur vérité, mais pas truquées par l'art ! Mais, voilà ! Il faut savoir lire, avoir beaucoup lu, et comparé, et pesé la duperie de ce mot : l'art, qu'affectionne les imbéciles. Alors, on revient de bien des admirations, et tous ces soi-disant grands livres ne tiennent pas une minute.
Je peux le dire, on trouvera que je pose si l'on veut : maintenant, quand j'écris quelque chose, le mal, c'est de trouver ma première phrase, mais après je ne fais plus attention aux phrases, j'écris en ne voyant que mon idée, et comme ça vient. Une phrase ne me plaît pas, je ne l'arrange pas, j'en refais une autre, voilà tout. S'il se trouve par hasard dans ce livre quelques phrases pas mal, je n'y suis pour rien, c'est qu'elles sont venues ainsi et je ne sais même pas si je ne préfère pas les autres, avec tous leurs défauts, parce qu'elles sont quelquefois mieux l'expression d'un sentiment, la nuance d'un souvenir. Plus je vais, et plus je pense qu'on ne devrait peut-être commencer à écrire que vers quarante ans. Avant, rien n'est mûr, on est trop vif, trop sensible, pour ainsi dire, et surtout on aime encore trop la littérature, qui fausse tout. Mon bonheur, ç'aurait été d'écrire ce livre comme des Lettres, ou comme des Mémoires, les seuls écrits qui comptent, avec de petites phrases exactes, courtes et sèches, comme des indications de catalogue, ou à peu près. J'en suis un peu loin, je le sais...
Paul Léautaud - Entretiens (Partie 1).