Jessica est chassée de chez elle par le nouveau conjoint de sa mère. Rien que ça.
Elle rumine d'être ainsi séparée de la seule famille qui lui reste, et dont elle se sent responsable. La seule ? Il s'avère qu'une grand-mère l'attend, à Ashland, une petite ville minière de Pennsylvanie, quasi inconnue. Jessica ne l'a jamais connue, si ce n'est peut-être par le biais de rares cartes postales. En revanche, l'adolescente sait que cette femme est le dernier vestige de sa branche paternelle, celle capable de lui en dire un peu plus sur un père dont elle ignore presque tout.
Mais dès son arrivée à Ashland, l'aspect de la ville l'interloque, comme si elle respirait, vivait, et se recroquevillait sur elle-même, happée dans les tréfonds des mines.
Les regards ne la quittent pas, s'arriment à son dos, les murmures s'amplifient sur son passage, la tension monte.
Et Jessica est vite saisie par l'étrangeté des habitants d'Ashland, leur piété excessive et le comportement inexplicable de sa grand-mère.
Qu'est-ce qui se chuchote ? Et quels sont ces bruits inexplicables ?
Serait-ce des tambours ?
Proviennent-ils de la sinistre forêt ? Où grondent-ils sous la terre ?
Christelle Lebailly nous propose un récit sombre, où la psychologie entre en jeu pour tenter de dénouer le vrai du faux.
Portée par une héroïne au très fort caractère — ces protagonistes typiques qui sont à double tranchant, d'ailleurs : on les aime ou on ne les aime pas —, l'histoire se rythme au gré d'une enquête fort frustrante et des légendes qui parsèment les rues morcelées d'Ashland.
Les descriptions permettent de visualiser la ville comme on regarderait les paysages d'un film. Elles sont pertinentes, efficaces, et très bien écrites, assez pour qu'on ne se lasse pas. Mieux encore, nous en redemandons, curieux de découvrir davantage ce coin perdu de Pennsylvanie.
Il est intéressant de constater à quel point l'autrice a réussi à personnifier Ashland sans avoir recours à des explications fantastiques : la ville devient un personnage à part entière de l'histoire. Tout est dans le doigté, les fameuses descriptions placées au bon moment avec les bons mots, et l'ambiance calculée, comme un chef d'orchestre maîtrise son tempo.
Cette ambiance d'ailleurs, ainsi que l'univers contemporain, gagne en puissance au fur et à mesure. La noirceur s'intensifie et s'immisce dans nos tripes : elle nous avale et nous fait plonger dans les méandres de l'intrigue qui se durcit, elle aussi.
La tension nous agrippe et nous maintient jusqu'au bout, exigeant notre angoisse, notre sueur froide jusqu'au bout.
Les personnages sont plutôt nombreux, mais nous nous centrons essentiellement sur Jessica.
Jessica est donc une adolescente au caractère difficile, endurcie par une enfance bancale entre l'absence d'un père, une mère, Rommy, peu louable et ses petits amis qui apportent malgré tout une pierre à l'édifice dans la construction de la jeune fille. Jessica a appris à se protéger et à tenir les autres à distance, derrière sa carapace cimentée de ses musiques rock. Écouteurs aux oreilles, elle observe le monde qui l'entoure, attentive à ce qui pourrait lui tomber dessus et prête à montrer les crocs. Pourtant, si les circonstances ne lui plaisent guère lorsqu'elle arrive à Ashland, elle est prête à faire quelques efforts pour bien s'entendre avec Judith, sa grand-mère. Jessica a de fait un mental d'acier, et les pieds sur terre. Courageuse, débrouillarde, et téméraire, ses qualités pourraient bien lui être indispensables dans les terribles aventures qui l'attendent.
D'autres personnages gravitent autour de l'héroïne, mais nous préférons nous taire afin de ne pas gâcher la surprise : beaucoup risquent de vous surprendre, de déclencher en vous des émotions et sentiments divers, souvent ceux auxquels vous ne vous attendiez pas.
L'intrigue se nourrit de mystères, de secrets et de questions dont il faut trouver les réponses, et vite.
Christelle Lebailly joue sur les tensions, la psychologie de son héroïne pour nous perdre ou mieux nous retrouver. Marionnettiste, la romancière nous balade tout le long du récit, de twist en twist, dont un retournement de situation surprenant, et le feu d'artifice final. Tout est bien ficelé, réfléchi, et la fin peut vous laisser pantois, en proie à vos interrogations. Rien de frustrant pour autant.
La nature humaine est poussée à bout ; on flirte avec les frontières de la morale, de la conscience.
Christelle Lebailly se plaît à nous titiller assez pour que nous nous questionnons sur comment nous aurions réagis, agis, à la place de Jessica. Aurions-nous fait les mêmes choix ? Peut-on parler de choix justes lorsque notre vie est en danger ? Que serions-nous capables de faire dans de tels cas ?
Certaines peuvent être assez dures pour celles et ceux qui ont une sensibilité plutôt accrue, mais rien d'insurmontable, surtout pour les lecteurs aguerris qui ont l'habitude d'un
Chattam, par exemple.
Nous sentons les nombreuses recherches réalisées pour la rédaction d'un texte comme celui-ci, ce qui est très appréciable. On est vite en confiance et on pourrait boire tout ce qui est dit, sans remise en doute.
Est-ce original ? Oui et non. Il est vrai que les thématiques abordées sont plutôt connues, mais chaque auteur apporte sa patte, et
Christelle Lebailly a, à notre, sens, réussi à se les réapproprier pour en retirer sa propre originalité.
L'écriture est très bonne. La plume nous transporte là où il faut, quand il faut, et nous transmet ce qu'il faut au bon moment. le rythme est d'abord assez lent, le temps de la mise en place, d'introduire les différents personnages et de présenter les enjeux. Les conflits se multiplient petit à petit, avant le dernier rush où tout s'enchaîne. C'est donc un rythme très peu en dent de scie finalement, qui prend plutôt son élan d'abord en marchant, puis en trottinant, avant le sprint de longue haleine.
L'Expiation de
Christelle Lebailly est un très bon roman de thriller paranormal, d'environ deux-cents pages. Il se lit vite, bien, et accompagne parfaitement les soirées plongées dans la pénombre, à la lueur d'une bougie, pendant qu'une branche griffe sinistrement notre fenêtre.
Pour une jeune autrice de vingt-cinq ans,
Christelle Lebailly s'en sort très bien avec ce premier roman dans un tel genre. Nous pouvons remercier
Serge Brussolo pour l'avoir inspiré, il nous a permis de découvrir ce texte et d'en savourer sa lecture.
Pour la Marmite aux Plumes, c'est un coup de coeur.
Lien :
http://marmiteauxplumes.com/..