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EAN : 9782845978119
176 pages
Textuel (04/03/2020)
2.5/5   4 notes
Résumé :
Voici un beau livre original où l'image magnifie la si brillante démonstration de Michelle Perrot, l'une des plus grandes historiennes contemporaines, pionnière dans l'histoire des femmes et toujours présente sur le terrain des combats contemporains. Si l'histoire s'est d'abord attachée à décrire le rôle privé des femmes, Michelle Perrot les suit ici dans la cité, dans la nation aux prises avec une citoyenneté qui leur échappe mais qu'elles investissent progressivem... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Si elles [les femmes du peuple] ne revendiquent pas un espace sexué en tant que tel, elles sont en tout cas demandeuses de lavoirs : pour laver leur linge, gagner un peu d'argent en lavant celui d'une "pratique " (c'est-à dire la boulangère, l'épicière, la bourgeoise du troisième...), enfin, se rencontrer. Car le lavoir est un lieu de sociabilité intense, de communication et d'entraide, de confrontation aussi, de plaisir et de fête. Ainsi le dépeint Jules Cardoze dans u roman-feuilleton populaire, "La reine du lavoir" (1893), qui décrit de façon vivante la vie quotidienne d'un lavoir à la fin du siècle. Il s'y passe beaucoup de choses, entre les femmes (l'adoption par les femmes du lavoir de l'enfant naturelle d'une mère abandonnée) et avec l'extérieur. A la pause de midi, les chanteurs ambulants font danser les ménagères, tandis que le placier en photographie vient leur proposer, à l'aide d'accessoires, une image transfigurée d'elles-mêmes. La mi-Carême, fêtes des blanchisseuses, est aussi celle du quartier.
-Le lavoir n'est pas un lieu mixte, même si les photographes s'y rendent quelquefois?
-Au vrai, le lavoir devient progressivement plus mixte. Le maître de lavoir est toujours un homme, chargé de l'ordre ; et l'introduction de machines plus performantes s'opère sous le contrôle des garçons de lavoir souvent jeunes, que les femmes houspillent, renversant l'ordre sexuel habituel.
-Le temps que vous décrivez est encore celui des campagnes pleines. Le lavoir est-il une enclave de vie rurale en ville ou déjà autre chose?
-C'est un lieu en mutation, enserré dans un quartier urbain, où s'instaurent d'autres rythmes et où s'expriment d'autres formes de lien social et sexuel. La campagne, c'est différent. Les catégories "public/privé" ne sont pas nécessairement pertinentes pour y comprendre les rapports entre le groupe et l'individu. Dans l'espace commun, l'existence d'une vie personnelle est compliquée. Pourtant, il s'y exprime un désir croissant d'intimité, notamment amoureuse et sexuelle, qui rend la vie commune de plus en plus difficile pour les jeunes, et surtout pour les femmes, lesquelles supportent de moins en moins le patriarcat paysan. L'exode rural au cours du siècle finit par les toucher plus que les hommes, qui ne trouvent plus de compagnes. La différence très accentuée des rôles sexuels ne s'inscrit pas nécessairement dans l'espace. Encore qu'à l'église, à la foire, dans les assemblées de village, au saloir, aux champs, la place des sexes soit fortement marquée. Les rôles féminins, telles qu'Yvonne Verdier, dans son enquête "Façons de dire, façons de faire" (1978) les a vus fonctionner à Minot, un village de Bourgogne resté très traditionnel, sont liés à la vie, au sang, à la reproduction. La couturière initie les jeunes filles, l'hiver de leurs quinze ans, aux soins du linge et du ménage. La femme-qui-aide, confidente des corps, s'occupe de la naissance et de la mort. La laveuse connaît les secrets des familles et ceux du village à travers les draps. Rumeurs et ragots circulent au lavoir, dont on redoute le contrôle sur les réputations. Le regard, la parole, les geste importent ici plus que l'organisation spatiale. C'est par la confection commune du trousseau que la mère transmet à sa fille des savoirs tant publics que privés.
-Dans les villages de Provence, on peut pourtant bien circonscrire des espaces féminins et masculins définis.
-Certes. Mais dans ces villages touchés par la modernité démocratique s'instaure justement une discrimination sexuelle plus forte autour de la politique. Les femmes se retient des "chambrettes" (chambres, chambrées) provençales, comme leurs soeurs anglaises des inns et des pubs à la même époque, lorsque s'accroit la politisation de ces cellules de la convention mériodionale, au XIXème siècle. C'est dire que la parole et sa circulation comptent plus que l'espace matériel. C'est elle qui modèle la sphère publique, qui tisse l'opinion publique.
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-Y avait-il pour les femmes une manière de circuler sur la chaussée?
-Bien sûr. Balzac, dans "La femme comme il faut" (1840), dépeint avec ironie le corset de ses obligations, les heures convenables pour ses sorties, les endroits à éviter, les gestes à proscrire. Une jeune fille, surtout, qui, dans les milieux aisés, doit marcher posément, sans élever la voix ni les yeux au risque de croiser le regard d'un homme. La femme mariée est plus libre, et, plus encore, la femme "d'un certain âge", dépourvue d'attrait sexuel, sa déambulation importe moins.
De même pour la femme du peuple, la plus "publique" de toutes. Au XIXème siècle, en raison des conditions de logement, plus que médiocres, l'intérieur ouvrier représente peu de chose et les gens du peuple ont tendance à vivre dehors. Les femmes, surtout, que leurs tâches poussent vers l'extérieur : dans les cours, sur les marchés, pour y trouver des vivres à meilleur prix, y vendre elles-mêmes quelque produit soldé ; dans les rues pour chercher l'eau des fontaines, se rendre au lavoir : faire des courses qui leur rapportent quelques sous, livrer le pain, le lait, le linge, le produit de leur travail à domicile... Pour ces éternelles glaneuses, la ville est une forêt où braconner sa vie, un espace de parcours où leur fonction d'échange se révèle essentielle. Leur ingéniosité est la justification de leur liberté.
-Et les femmes que l'on voit assises sur les marches, sur les chaises ou sur les trottoirs, comme on en observe encore à Marseille?
-Cet espace liminaire prolonge la maison. Les femmes du peuple en usent sans vergogne, prenant le frais devant chez elles. Elles discutent avec leurs voisines tout en cousant ou en tricotant, tandis que les hommes "descendent" en ville et vont au café. Une bourgeoise osera tout juste se mettre au balcon, couverte de préférence, et mieux, en famille. Car cette avancée de la maison dans la rue, faite pour la monstration publique, ne sied guère aux femmes. Thème d'innombrables tableaux, la "femme à sa fenêtre" se tient, rêveuse, à l'intérieur de la maison, comme défendue par elle. Ainsi l'usage de ses espaces minuscules et leur représentation indiquent-ils l'importance du seuil, qui, tel une frontière, sépare public et privé.
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-Vieux commandement sans cesse réactivé : une femme doit d'abord s'habiller en femme. En France, une ordonnance impériale interdit le port de la culotte. Peintre de plein air, Rosa Bonheur dut solliciter une autorisation formelle de la préfecture de police.
-Les femmes ne doivent pas davantage fumer en public, ce que pourtant certaines faisaient couramment aux XVIIème et XVIIIème siècles, si l'on en croit les documents de cette époque. L'usage du tabac se masculinise aux XVIIème et XIXème siècles. Et, une fois se plus, George Sand fit scandale avec ses cigares et sa pipe. C'est avec l'arrivée de la cigarette anglaise ou américaine, fumée en privé puis aux terrasses des cafés, grâce notamment au fume-cigarette, accessoire de l'élégance des années 1930, que les femmes recommencèrent à fumer. Elles en firent même un signe de leur émancipation, comme, à la même époque, de se couper les cheveux.
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-C'est-à dire que l'homme boit et mange et que la femme grignote.
-Les pratiques alimentaires sont en effet sexuées. Les hommes ont, en tout cas, leur sociabilité propre où jeu, sport et politique tiennent une place de choix. Cercles et cafés en France, clubs et pubs en Grande-Bretagne les réunissent. De ces lieux les femmes sont exclues à la mesure de leur politisation supposée. En Grande-Bretagne, le chartisme, mouvement ouvrier des années 1820-1840, à progressivement chassé les femmes des inns (tavernes) qu'elles fréquentaient auparavant. En France, le café a résisté plus longtemps et davantage dans les milieux ruraux-en Bretagne, par exemple- qu'en zone urbaine et industrielle- dans le Nord ou à Paris.
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-Quels sont les lieux de sociabilité féminine dans la ville?
-Les grands magasins, le salon de thé et l'église sont rois lieux majeurs de sociabilité pour les femmes d'un certain rang. Les femmes des classes populaires, qui circulent plus librement, se retrouvent dans la rue, au marché et au lavoir.
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Vidéo de Michelle Perrot
Lors de l'édition 2001 des Rendez-vous de l'histoire sur le thème "L'homme et l'environnement", le sociologue et philosophe Edgar Morin dressait un panorama historique de l'apparition de cet "agrégat de détritus cosmiques" qu'est la planète Terre, avant d'examiner son peuplement progressif par l'humanité, "partie intégrante et désintégrante de la biosphère".
Conférence inaugurale de l'édition 2001 des Rendez-vous de l'histoire sur le thème "L'homme et l'environnement, quelle histoire ?". 
0:00 Générique 0:33 Conférence
Retrouvez l'épisode sur toutes les plateformes de podcast : https://urlz.fr/qoPB
© Edgar Morin, 2001. 
Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002) 
https://rdv-histoire.com/  
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
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