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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Novembre 1884, Paul Gauguin alors âgé de 36 ans, rejoint sa femme Mette, d'origine danoise, et leurs cinq enfants réfugiés à Copenhague, après avoir tenté brièvement et sans succès de " vivre de la peinture ", ayant abandonné à la suite du krach boursier de 1882 son métier de courtier en Bourse à Paris qui assurait l'aisance matérielle de sa famille.
Juin 1885, précipitamment, Paul Gauguin quitte définitivement le Danemark et sa femme, emmenant avec lui son fils Clovis âgé de cinq ans pour regagner Paris et surtout la peinture, son authentique raison de vivre.

Que s'est-il passé ? Six mois de pression, de doute, de mal-être, d'interrogations, de vertige comme Bertrand Leclair qualifie justement cette période obscure et peu connue de la vie de l'artiste, objet de son roman, et cruel dilemme pour cet homme alors anéanti, méprisé par ses proches et en particulier par sa belle-famille, tiraillé entre sa fascination pour la peinture et la nécessaire subsistance de sa famille nombreuse.

L'avenir du fond d'un appartement sinistre de Copenhague sans perspective exhalante, sans moyen de subsistance, loin de Paris où se trouvent ses amis peintres, en pleine période impressionniste, c'est quoi au juste ?
L'auteur, avec franchise, admet d'ailleurs que " pas plus qu'on ne connaît le facteur décisif de son départ brutal, on ne sait rien de cette guerre quotidienne ( avec son entourage ). On ne peut qu'imaginer. "
Imaginer, certes, mais fort heureusement Bertrand Leclair s'appuie aussi sur des extraits de correspondance de Paul Gauguin et l'analyse de ses tableaux qui en disent long sur l'état d'esprit du peintre. Ainsi, sa " Nature morte dans un intérieur ", représentant un appartement danois [ http://www.repro-tableaux.com/a/paul-gauguin/nature-morte-dans-un-inte.html ] est simplement sinistre, bien loin de ses chefs-d'oeuvre tahitiens ultérieurs, éclatants de couleurs et de lumière, dont Stéphane Mallarmé dira : " il est extraordinaire qu'on puisse mettre tant de mystère dans tant d'éclat. "

Cette parenthèse danoise de Paul Gauguin est donc habilement restituée, fort bien écrite ( que de citations potentielles, un régal ), et j'ai particulièrement apprécié ce court roman qui, à mi-chemin entre biographie, roman et analyse psychologique, donne à voir la force qui amène un individu à se reprendre en mains après une chute vertigineuse et destructrice, à exercer sa liberté de choisir son avenir, à répondre favorablement à l'appel de sa passion et à assumer son choix contre l'avis de son entourage : bref, à devenir lui-même.
Une alchimie entre doutes et volonté qui peut tous nous concerner.

" L'important, c'est de progresser dans sa propre voie, sans rien lâcher de son désir instinctif. ", souligne l'auteur avant de constater que " l'adversité est constitutive de son oeuvre. "
Gauguin lui-même écrira à Aline sa fille " Il est vrai que la souffrance vous aiguise le génie. Il n'en faut pas trop cependant, sinon elle vous tue. "
Nul doute cependant, sans ce vertige danois, Paul Gauguin ne serait peut-être jamais devenu le peintre que nous connaissons.

Grand merci à Babelio et Actes Sud pour cette belle et instructive lecture.
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Où l'on comprend sans effort (si tant est qu'on le sache) que Gauguin n'ait séjourné que brièvement au Danemark pour tracer la route plus tard vers la Polynésie.

Dans les années 70... du 19ème siècle, Paul Gauguin, courtier en bourse, amateur et collectionneur d'art avisé, balbutie lui-même du pinceau à ses heures perdues. Au point que dix années plus tard, à l'âge de trente-quatre ans, marié à Mette-Sophie et père de cinq enfants, il lâche son emploi pour se consacrer à sa propre carrière de peintre. Exaspérée par les difficultés financières engendrées peu à peu par cette « lubie », Mette finit par se réfugier auprès de sa famille à Copenhague dont elle est originaire et où, contraint et forcé, Gauguin la rejoint.

Si l'on se remémore les toiles flamboyantes qui passeront plus tard à la postérité et l'amour obsessionnel de Gauguin pour la couleur, on soupçonne à quel point ce séjour danois fut pour lui un calvaire. Sombre comme un hiver scandinave, amer comme l'accueil d'une austère belle-famille hermétique à son art et peu confiante en son avenir de peintre, sinistre comme l'inspiration que put générer un environnement aussi sclérosant, ce bref épisode nordique, en général peu évoqué dans la biographie de Gauguin, ne dura en effet que quelques mois. Il fut cependant, si l'on en croit ce témoignage romancé, d'une noirceur et d'une intensité telles qu'il semble précisément marquer l'amorce de cet envol de l'artiste vers la lumière et la liberté qu'il poursuivra sa vie durant.

S'appuyant – jusqu'à en citer de nombreux extraits – sur la correspondance et les écrits de Gauguin, Bertrand Leclair dépeint à merveille les errances esthétiques et intimes d'un artiste complexe, touchant, tourmenté par son irrépressible besoin de peindre, son amour incompris pour sa famille et l'impitoyable scepticisme de ses proches. Une écriture intelligente et dense, un texte remarquable, fiévreux et passionnant, pour un petit ouvrage qui m'a séduite de la première à la dernière page.

Une visite au musée d'Orsay s'impose ensuite afin d'y redécouvrir quelques oeuvres de Paul Gauguin sous cet éclairage nouveau. A compléter opportunément, et sans hésiter, par un petit voyage direction les Marquises. Bah quoi ? Il faut bien parfaire sa culture…

Ҩ

Un enthousiaste et chaleureux merci aux éditions ACTES SUD et à l'équipe de BABELIO pour cette très intéressante découverte.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Il y a quelques jours, je vous parlais d'un ouvrage récemment paru regroupant d'anciens écrits de Bertrand Leclair et rendant compte d'une réflexion sur la personnalité et le geste artistique de Paul Gauguin. Ces différentes études débouchèrent par la suite sur un roman. Cela ne vous surprendra pas - et si vous ouvrez à votre tour ce Chantier Gauguin, sans doute aurez-vous envie de faire la même chose que moi - je me suis précipitée sur le vertige danois à peine les pages de ce recueil refermées...

Bertrand Leclair a choisi de scruter un moment très précis de la vie de Gauguin, celui où il va définitivement laisser derrière lui sa femme, ses enfants, et renoncer à toute tentative de répondre aux injonctions sociales, pour se consacrer entièrement à la peinture.

Gauguin est-il cet enragé qui envoya tout au diable pour partir au bout du monde, avec son art pour seul viatique ? Est-il cet albatros célébré par Baudelaire, ce génie incompris, cette victime sacrificielle se résignant à souffrir pour prix de sa création ? Les mythes ont la vie dure, et il faut dire que nous n'aimons rien tant qu'en auréoler nos idoles.
Mais les choses ne sont jamais si simples, et Bertrand Leclair le sait bien. A travers la lecture attentive de la correspondance de Gauguin ainsi qu'une fine analyse de ses oeuvres, il a su déceler la tension qui se jouait au plus intime de l'artiste, dont les quelques mois passés en 1885 à Copenhague furent l'acmé, précipitant ainsi son destin. Et c'est bien cela qui intéresse l'écrivain: entre l'image du peintre dénué de talent, de raté incapable même de subvenir aux besoins de sa famille que son entourage lui renvoie, et sa conviction profonde d'être un artiste dont le génie finira tôt ou tard par éclater au grand jour, Gauguin oscille, chancelle et peine à se fixer un cap.
Leclair nous le montre dans toute son ambivalence, entre arrogance et désarroi, entre rage et détresse, balançant entre son amour et sa responsabilité de père et l'élan qui le pousse vers la peinture. Il le dépouille de toute aura sulfureuse ou hagiographique pour nous le montrer simplement humain, ce qui signifie dans son cas un être cherchant à atteindre, ou au moins toucher du doigt, quelque chose qui le dépasse.

Dans ce texte d'une splendide densité, avec l'art du mot juste et la force de la formule qui claque, Bertrand Leclair nous permet de pénétrer au plus intime de la psyché de Gauguin pour nous faire vivre ce moment de vertige où l'artiste prit définitivement son essor, fût-ce à son corps défendant. Car c'est bien son épouse - ou la famille de celle-ci, c'est tout comme -, qui le poussa hors du foyer pour le précipiter vers son destin. C'est du moins ce que prétend croire Gauguin. Sans doute lui fut-il plus facile de l'entendre ainsi. Mais une chose est sûre, c'est qu'il mit alors toute sa détermination et sa rage à s'affirmer comme ce sauvage qu'on lui reprochait d'être pour se dédier à ce qui était l'épicentre son existence : la peinture.


Un texte qui apportera sans nul doute un précieux éclairage pour la visite de l'exposition "Gauguin l'alchimiste" qui se tient actuellement au Grand Palais.
Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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Cet excellent roman se concentre sur les quelques mois que Gauguin a passés à Copenhague en 1885, dans sa belle famille. Il développe l'idée que c'est dans ces moments difficiles que le peintre élabore ses théories esthétiques. le propos est très équilibré dans le sens où l'auteur ne juge pas Mette Gad, la femme de l'artiste. Il montre en effet que peu de gens auraient misé sur Gauguin, autodidacte et excessif. On peut facilement se mettre à la place de l'épouse dont le mari abandonne tout pour se consacrer à la peinture, persuadé qu'il la révolutionnera, mais à l'époque il est bien le seul. C'est passionnant. Les incursions dans la vie et l'oeuvre futur ou passé ainsi que dans l'histoire familiale très singulière de Gauguin ajoutent beaucoup. Pour un livre plutôt court c'est fou ce qu'on apprend.
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