C'est l'histoire d'une « parole contenue », « libérée », celle d'un un orphelin de 10 ans, maltraité par ses frères, négligé par sa tante, qu'un improbable destin conduit sous l'aile protectrice d'
Ossip Zadkine, le « géant aux pieds nus » qui marche la forêt, dans la clairière aux biches. La rencontre avec le sculpteur, qui le surnommera Pinson, son « regard sévère », son « costume strict » et « son amitié presque paternelle, sa fragilité, sa mélancolie, son immense rage, ses colères et la richesse de son coeur », ouvre un chemin de résilience riche d'enseignement.
Témoin fidèle de l'histoire du célèbre sculpteur et de sa compagne Valentine, quand « l'exil et la guerre soufflent leur vent mauvais », nous découvrons aussi « un homme comme les autres, avec ses compromissions, sa mauvaise foi, avec des élans qui transcendent et fascinent », « ses amours contrariés, la violence de ses sentiments, le grand désarroi de sa vie », et puis « transpire, s'essouffle ». Et puis l'oeuvre de Zadkine, « artisan scrupuleux », « son ardeur à travailler la terre, à tailler la pierre à s'en crever les mains, comme autant de combats contre les éléments ou contre lui-même », sa façon de dire « la fureur de la guerre, le cri outragé des peuples », où Pinson puisera, sa vie durant, « une espérance et une force » , et qui l'initiera au travail du bois, à la beauté, à l'art, à « cette folie de liberté qu'il porte en lui comme un havre de joie démesurée ».
La vie : un « chemin solitaire », comme « ce caillou qui glisse sur l'eau, avec un léger biais et cette rotation qui le fera rebondir, rebondir, rebondir encore, à n'en plus finir, léger et svelte à fleur d'onde, se riant des gouttes et du fond trouble de l'étang, comme si sa survie tout entière en dépendait ». Quand « le silence et la complainte douce de la forêt », « la beauté du monde » et l'art « nous font oublier nos propres blessures » et sont tout ce qui reste pour supporter l'insupportable, et de « s'enivre(r) des paysages abandonnés, de ces déserts d'herbes folles, de rochers et de statues », et de « respire(r) l'air à pleins poumons et jete(r) à travers les bois les dernières moisissures de sa colère »…
L'écriture ciselée et sensuelle de
Gaëtan Lecoq, tel le geste de Zakine, cherche le mot « pur, vrai direct » ; « l'émotion, l'humain ! ». Un texte sobre, délicat, bouleversant d'humanisme et d'humilité, délicieux de poésie. Nous refermons le livre, et le rire de Zadkine continue de résonner en nous et dans la force de ses sculptures, dont Valentine aimait le « côté bourru, direct et fantastique ».
Oui la nuit est « blanche de givre et d'éclat, débordante d'espoir, folle de liberté ». Et ce roman débordant de beauté ne peut que nous conduire dans la forêt en quête du nid du pinson bleu, puis sur les pas du sculpteur, dans les musées de Paris et des Arques qui lui sont consacrés.