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Critique de Woland


Postface : Régis Boyer

ISBN : 9782902702336

Evidemment, il faut aimer le sujet et s'y connaître un minimum en mythologie non seulement médiévale française mais aussi scandinave (norroise), saxonne et même celte. Mais l'ouvrage est passionnant et ne tombe pas dans l'erreur du jargon spécialisé (malgré quelques termes qu'on ne peut éviter ici et là .)

Déjà, Lecouteux pose une différence entre le "fantôme", évanescent par nature, ectoplasmisque, capable de disparaître comme la brume ou la fumée, et le "revenant." Celui-ci, au Moyen-Age en tous cas et sous différentes latitudes, semble conserver son corps (et sans "gore" zombiesque dans le procédé), une chair où les doigts s'enfoncent mais dont ils ne sortent pas couverts de pourriture même s'il arrive aux revenants d'être de couleur noire. J'avoue que, en lisant les nombreux passages consacrés par Lecouteux à la question, j'ai pensé - l'auteur en parle même à un certain moment - que le personnage du vampire était susceptible de trouver ses origines dans ces revenants dont l'un au moins, en Islande, semble non pas boire le sang mais s'attaquer à la chair de ceux qu'il a sous la main.

Lecouteux souligne aussi les traces indéniables de transmission entre les traditions funéraires scandinaves et les traditions celtes, les deux peuples ayant eu, semble-t-il, en bons marins, de nombreux rapports.

Tout ce qui concerne la mythologie norroise est d'ailleurs particulièrement intéressante. Bien sûr, le livre de Lecouteux traite avant tout des traditions funéraires mais il ne peut le faire sans évoquer l'esprit du peuple qui les pratiquait. Les mythologies scandinave et germanique se partagent Odin et Hel - le premier étant une divinité guerrière certes mais plutôt bienveillante, Hel, fille de Loki, l'esprit du Mal, régnant sur ce qui équivaut aux Enfers. On voit bien aussi combien les peuplades d'Europe du Nord - parce que les conditions climatiques le leur permettaient sans trop d'effort - ont entretenu la coutume des veillées et des banquets funèbres, qui débouchent tôt ou tard sur la tradition, toujours respectée en principe en Bretagne dans certains milieux pour la Toussaint, ainsi que dans les pays scandinaves pour la Fête des Morts, du couvert réservé à table au défunt de l'année.

Celtes, Scandinaves, Saxons, Germains, tous semblent avoir considéré comme normale la vie des revenants en tant que parallèle à celle des vivants. S'il existe des "revenants" mauvais et aigris - il faut dire qu'ils l'étaient déjà pas mal de leur vivant - se dressent à leurs côtés des revenants sympathiques et protecteurs qui, pour leur part, rappellent les dieux lares de l'Antiquité. Les premiers rôdent et rendent la vie impossible aux survivants, les seconds se promènent et gardent l'oeil ouvert sur leurs descendants au cas où ...

Au Moyen-Age, vivants et morts font "bon ménage" - n'enterrait-on pas dans les églises d'ailleurs ? La foi est vive, certes mais cette foi ne concerne pas seulement Dieu, quel qu'Il soit. Car, si l'on croit en Dieu, on croit à la survie des morts. Et peut-être est-on tenté de croire plus facilement à la survie des morts qu'à Dieu parce que, les morts, on les a connus.

Autre détail qui fait réfléchir : pour les peuples non encore christianisés ou sur le point de l'être, la mort n'est qu'une étape qui débouche effectivement sur une autre forme de vie. Cette certitude absolue, le christianisme ne semble pas avoir réussi à la supprimer. Il l'a donc adaptée plus ou moins, tout en se gardant bien d'adopter l'idée d'une quelconque réincarnation. Les différents avatars que cette religion va à son tour traverser lui permettront par la suite d'aboutir, en tous les cas, chez certains croyants, à une vision moins rigide et plus audacieuse de la Mort, comprise comme une espèce de "porte" amenant l'esprit à un autre niveau.

Les universitaires qui ont étudié le sujet bien plus profondément que moi me pardonneront d'utiliser mes mots profanes pour exprimer tout le plaisir que j'ai pris à lire ce document, à la fois simple mais détaillé et, il me semble, des plus sérieux. (Il m'incite d'ailleurs à me procurer le livre que Lecouteux a consacré à la croyance aux vampires.) En outre, je signale que le lecteur intéressé pourra y trouver des parallèles entre certaines coutumes très anciennes, comme les poignées de terre jetées sur la dépouille et qui, aux origines, étaient toujours au nombre de trois (très symbolique) et celle que, de nos jours, aux inhumations, nous continuons à jeter sur le cercueil du défunt. Geste très parlant, destiné au départ à signifier au défunt qu'il devait désormais rester dans sa tombe et accepter son nouveau statut, cette coutume s'est transformée au fil des siècles en un "au revoir" moins tragique quoique toujours très émouvant, par lequel nous manifestons qu'un jour, nous qui versons aujourd'hui cette poignée de terre en hommage à celui qui nous a quittés, nous le rejoindrons nous aussi, poussière revenue à la poussière. C'est un au-revoir, non un adieu et la promesse solennelle de nous retrouver dans l'Au-delà.

A lire. Si le sujet vous intéresse et si le passé vous passionne - mieux encore, si cela vous rassure de constater que le passé survit, souvent apaisé et débonnaire, dans notre présent. .

Nota Bene : et, en plus, la jaquette est très belle. ;o)
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