Du côté des enfants

Du côté des enfants est un ouvrage fort instructif pour comprendre le traitement des mineurs en danger et des mineurs délinquants par le système judiciaire français. le livre date de plus de vingt ans, mais les questions et les critiques qu'il soulève sur les carences de notre justice, et les moyens accordés à cette catégorie de personnes particulièrement fragile n'ont rien perdu de leur actualité.



Dotée d'un expérience de plus de dix ans en tant que juge des enfants, madame Grimaldi-Fouquet témoigne de sa passion pour une fonction hautement prestigieuse mais difficile à gérer émotionnellement.



Tous ces enfants qui défilent quotidiennement dans son bureau ont souvent beaucoup de points communs. Leur famille est généralement dysfonctionnelle, ils sont victimes de mauvais traitements physiques ou psychiques, parfois victimes d'abus sexuels ou de viols, malnourris, ancrés dans un profond échec scolaire, avec pour seuls repères des parents alcooliques, toxicomanes, psychopathes, suicidaires ou en tout cas toxiques pour tout un tas de raisons ... Sans parler de ces adolescents, qui cumulant beaucoup de ces conditions de vie, totalement désoeuvrés, se noient dans la délinquance pour se se sentir exister.



Le phénomène n'est certainement pas nouveau mais il s'est accentué notamment par l'urbanisation et l'exode rural. Il touche toutes les catégories de population, bien que l'on soit tenté d' associer la pauvreté matérielle et culturelle comme facteur d'aggravation, tous les âges et toutes les professions.



Comment être efficace et aider ces jeunes à se relever quand les dossiers s'entassent plus de six mois dans son cabinet avant de pouvoir être étudiés, fautes de moyens humains, quand les équipes éducatives sont elles-mêmes dépassées et n'ont pas la possibilité de rencontrer le juge régulièrement pour faire le point, quand il n'existe hélas pas de suivi régulier de l'application d'une mesure? Bien que " en matière de délinquance juvénile, seule une intervention rapide peut empêcher la récidive".



Le concours des assistantes sociales, des éducateurs, des psychologues, des enseignants, des médecins, des policiers, des élus locaux... est un précieux allié, mais là encore le juge des enfants se heurte à certains points de vue ou pratiques pédagogiques qui vont parfois à l'encontre de ces conceptions. Difficile alors d'établir un projet viable et le faire accepter par l'enfant, alors que les adultes eux-mêmes ne s'accordent pas...



Le juge des enfants est souvent perçu comme un "docteur miracle" alors que les dossiers lui tombent sur les bras à un moment où il est déjà très difficile de réagir et de faire accepter à l'enfant et à son entourage l'utilité de telle ou telle mesure. Face à des enfants butés, ou à des parents hargneux qui font tout pour conserver l'emprise sur leur enfant -qui est pourtant souvent rejeté- il faut une sacré dose de patience, de persévérance et de fermeté. Ayant conscience de la nécessité de ne pas trop s'investir et de garder certaines distances pour se préserver soi-même, madame Grimaldi-Fouquet fait aussi preuve d'une grande humanité.



Comme elle l'évoque, le juge des enfants ne peut se substituer aux parents démissionnaires, il doit prendre ces décisions en tenant compte de l'intérêt de l'enfant, en le guidant vers la restauration de son image et de celle des adultes, en lui permettant d'acquérir une certaine autonomie, une indépendance fondée cependant sur les règles de vie en société. Dans la mesure où l'enfant a besoin de repères familiaux pour se construire, elle évite d'éloigner définitivement et sans aucun aménagement les enfants des parents, car même maltraitants les enfants sont en mal d'amour et éprouvent ce besoin vital de s'accrocher à leur famille. Les exemples sont légion où les enfants fuient les foyers ou les familles d'accueil pour rejoindre leurs bourreaux.



Sa plus grande satisfaction? Se rendre compte que rien n'est joué d'avance, que pour le peu que l'enfant soit appuyé au bon moment, il peut être sauvé. Les enfants plus que quiconque ont de grandes facilités d'adaptation dans un monde hostile, encore faut-il que des mains se tendent et que de bonnes paroles leurs parviennent pour leur redonner goût à la vie...



"Etre juge des enfants, c'est dire et redire avec patience et obstination qu'un enfant ne peut grandir et s'épanouir que si ses parents assument leur rôle de parents. C'est dire et redire qu'un enfant a le droit d'aimer son père ou sa mère, même s'ils sont défaillants. C'est affirmer que détruire l'image de l'un ou de l'autre -ou des deux-, c'est le détruire. La tâche est rude, de longue haleine, délicate. On doit se mettre à la portée des adultes et des enfants, les valoriser s'ils progressent, les tancer s'ils reculent, accepter leur agressivité... et tenir le cap. Mais aujourd'hui entre les parents psychologiquement fragiles et ceux qui oublient le sens des mots "responsabilité" et "éducation", j'échoue bien souvent."