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EAN : 9782070238330
320 pages
Gallimard (03/05/1955)
4.02/5   31 notes
Résumé :
J'étais dans l'escalier de son hôtel coquet, éveillé. "Marc, Marc..."
C'était une fille bleu pervenche qui sortait d'une chambre, qui l'appelait ainsi.
"Comment va ? lui dit-il.
- J'ai la femme, mais il faut chasser", dit-elle.
Je me mis à l'écart.
"Vous n'êtes pas de trop", me dit la demoiselle.
On voyait le brun mystérieux, la pointe des seins dans les trous de la broderie anglaise.
"J'aime bien Marc", dit-elle.
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
C'est en Perse que j'ai tenté de puiser un peu de raison à ce titre, à ce récit .
«L' amour qui ne ravage pas n'est pas l'amour » nous dit le poète, mathématicien, et grand philosophe Omar Khayyâm.
Soit...
Mais alors, quel est donc le nom, le visage de cet amour qui a commis de tels ravages sur un être? le premier. le premier venu. Celui d'une mère omniprésente, abusive. Celui d'un père manquant, absent.

Dans le règne animal, l'amour parental est peut être une règle dictée par le devoir de l'espèce, mais en ce qui concerne l'humain il n'est pas une donnée constante. L'amour a ses codes, ses lois, son verbe. Aimer ce n'est pas s'accoupler, même si cela peut parfois, très souvent, en être la preuve.

Comment lorsque l'on a pas de repère, lorsqu'on a pas le langage, lorsqu'on ne connait pas les gestes, comment aimer, comment être aimé, comment savoir si on aime et si on est aimé dans le sphère que l'on doit partager avec les autres ?
Aimer pour ce que l'on donne, ce que l'on accepte de recevoir, aimer pour le plaisir d'aimer, aimer pour le plaisir de l'autre, pour son unique plaisir ?

Comment fait le petit d'homme, ce petit « bonhomme » qui n'a pas reçu l'apprentissage de l'amour ? Lorsque que la dissociation ne peut pas se réaliser du seul fait qu'il n'y a jamais eu l'acte premier de fusion ?

Dissocier ce qui n'a pas été lié, mal tissé, ou extrêmement enchevêtré paraît presque impossible. Pourtant il va bien falloir parvenir par n'importe quel moyen, arriver à se dissocier de n'importe quels bras, ne n'importe quel corps.
Quels ravages tout cela peut il provoquer sur une vie ?
L'enfant qui n'a pas reçu cette éducation à l'autre devra tenter d'apprendre seul et parfois à ses risques et périls comment aimer peut être vécu.
Aimer, il sait, il le désire, mais comment le rendre audible, lisible, palpable, compréhensible ? Comment sortir de cet autisme provoqué par le rejet ?
C'est réalisable. Après tout, l'acte d'amour est l'acte le plus personnel qui soit, un acte naturellement humain, du moins le plus souvent.
Une signature propre à chacun. Faut il encore que la main ne soit retenue par rien.

On retrouve la frappe de Leduc, l'avalanche de ses mots, de ses couleurs, des lumières, des sons, des odeurs, des étoffes, l'autel de son enfer.

L'intensité de ce qui la saisit et la traverse est le reflet de ce mal qui est enfoui dans son ventre et de cette peur panique de l'abandon provoquée par l'effroi d'une séparation que l'on se dit toujours inévitable.
Car chez Leduc, comme chez beaucoup de ces enfants en mal d'amour, le syndrome de l'abandon est constant.
On s'accroche, avec ses crocs, ses griffes à en atteindre le point inévitable de la rupture, le point critique, le point de fusion.
Ou alors on quitte, ou bien on est incapable de construire une relation sans la penser vouée d'avance à l'échec, ou, on choisit des amours impossibles. le schéma est toujours le même : souffrir plutôt que d'en crever.
Berthe, la femme qui subit l'enfant – Violette la femme qui désire sa mère.
Au péril de sa vie, mais à cette époque aurait elle eu d'autre choix.., elle choisit de ne pas répondre à la promesse d'enfant que la vie lui adressait. Elle choisit de tenir la promesse qu'elle a faite à sa mère, une profession de foi : elle ne sera jamais mère.
C'est là le premier acte de dissociation.
Risquer d'en mourir pour ne pas en souffrir...Ravages.

La dissociation elle la réalisera également par l'écriture. Sa plume est une main qu'elle saisit et qui ne la lâchera pas.

«  J'étais seule, enfin seule». le cordon se rompt, par enfant interposé.
Voilà le visage de cet amour ravageur, dé-constructeur.

C'est puissant, fulgurant, extrême, tragique, passionnel, charnel.
Il y a très peu de pages dans la littérature qui aient ce parfum là, cette résonance là, cette poésie, cette vérité. L'amour mis à mal, mis à nu, mis en brûlure,en sang, en cendres, dans la lumière de la nuit. C'est une écriture d'être et de matières. Une véritable signature. Une tragédie.

«Tu peux sonder la nuit qui nous entoure.
Tu peux foncer sur cette nuit... Tu n'en sortiras pas.
Adam et Ève, qu'il a dû être atroce, votre premier baiser,
puisque vous nous avez créés désespérés! » Omar Khayyâm.


Astrid Shriqui Garain
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"Ravages" sous la forme d'un roman d'inspiration autobiographique paru 1955 (les évènements peuvent être transposés ou modifiés mais leur signification nullement altérée) aborde de plein fouet le thème du sentiment amoureux, de sa naissance à son délitement en passant par la dépendance. Et aussi celui de l'avortement, conclusion très peu romantique de la romance amoureuse pour de nombreuses femmes, en des temps ignorants de contraception efficace.

Tout cela est vu à travers des yeux féminins, ce qui à l'époque était tout-à-fait novateur, voire absolument scandaleux pour une part majoritaire de l'opinion publique, à tel point que Simone de Beauvoir dut effectuer dans le texte des coupes franches pour le rendre acceptable par les éditeurs (Gallimard).

Ces coupes franches, on les regrette aujourd'hui. Alexandre Antolin les a étudiées dans sa thèse universitaire intitulée "Une censure éditoriale : ravages de Violette Leduc".

Mais elles n'en survivent pas moins dans les éditions actuelles sous forme de doubles pointillés dans le texte.

Cette parution en 1955, était absolument avant-gardiste. Rappelons que Dominique Aury publia "Histoire d'O" en 1954 sous pseudonyme, et que "Ravages"" parut l'année suivante sous le nom véritable de l'auteure, pari osé. Et pour mémoire encore, indiquons que "L'amant" de Marguerite Duras, ne fut édité qu'en 1984 sans aborder aussi crûment le désir féminin, mais dégagea également un parfum de scandale du fait de l'évocation d'amours interdites entre coloniaux et indigènes, et de l'ambiguïté ses sentiments des jeunes filles et des mères.

Kate Millett et d'innombrables autres écrivaines reconnurent leur dette envers Leduc, défricheuse d'un territoire jusque là tabou, quasiment de l'ordre de l'impensable, en tous cas de l'inexprimable. Anaïs Nin lui rendit par ailleurs hommage.

Il faut souligner, pour mieux faire le parallèle, que D. H. Lawrence édita "L'amant de lady Chatterley en 1928 et qu'Henry Miller écrivit "Le tropique du Cancer" en 1934, et "Sexus" en 1949.

L'attribution de prix Nobel de littérature à Annie Ernaux permet de mesurer le chemin parcouru depuis 1955. Mais comme l'a dit une des intervenantes sur le plateau de la Grande Librairie hier 19 octobre 2022 (Pénélope Bagieu, je pense, autrice de la BD "Les culottées" ) : l'attribution de ce prix récompense le courage de l'expression d'une parole jusque là minoritaire au point d'être effacée, mais signe en même temps l'échec politique de notre contrat social démocratique, en montrant à l'évidence que la libération de la parole féminine ne va pas de soi et fait encore débat aujourd'hui.

Qui détient un accès privilégié au verbe exerce un pouvoir systémique (et vice-versa), d'où la nécessité d'un rééquilibrage qui porterait sur l'ensemble des interactions dans le corps social, et non sur la seule sexualité.

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Ce livre me démolit, me valdingue et me fracasse.
Vraiment, je n'avais jamais rien lu de pareil.

Je ne m'explique toujours pas comment j'ai pu passer si longtemps à côté de l'existence même de Violette Leduc (enfin si, je me l'explique très bien, invisibilisation des femmes, tout ça tout ça, on connaît), toujours est-il que voilà, enfin, le mal est réparé, et j'ai enfin pu me plonger dans l'un de ses romans.

Et quelle claque, mes amis.
Vraiment, je ne m'explique pas que cette femme ne soit pas encore au programme d'absolument tous les niveaux scolaires de toutes les écoles de tout ce pays.

Protégée/amie/contemporaine de Simone de Beauvoir, Violette Leduc a consacré toute sa carrière à écrire, travailler, disséquer les mêmes thèmes : maternité, féminité, marginalité, maladie, déviance, folie et autres joyeusetés, vous l'aurez compris, on part sur du sombre, du très sombre. Il suffit de jeter un oeil à la notice biographique de l'autrice pour avoir une idée de l'origine ses thématiques de prédilection : fille "bâtarde" d'un couple illégitime, elle est marquée à vie par un sentiment de honte qu'elle raconte notamment dans le roman La Bâtarde (que je veux désormais évidemment lire au plus vite). Après ça, elle travaille, se libère (un peu), trouve un exutoire dans l'écriture, mais doit toujours composer avec le rejet, la marge et la différence. Difficilement reconnue, censurée parfois, elle vit à une époque où l'on est encore moins libre qu'aujourd'hui d'aimer comme on l'entend, et où quelqu'un comme elle, artiste, profond, sensible et tourmenté, femme libre et bisexuelle, n'a globalement pas d'énormes chances d'être acceptée par la société.

Et tout ça, entre autres, ça donne Ravages.

Ravages, c'est cette plume sauvage aux images radicales et à la fluidité intraitable, c'est ces dialogues au cordeau, déstabilisants dans un premier temps, mais dans lesquels on décèle très vite un incroyable naturel, un instinct de vérité, ces descriptions fulgurantes à la sensorialité quasi-douloureuse, cette façon impressionnante de retranscrire les pensées blessées d'une héroïne malade.

Ravages, c'est l'histoire de Thérèse, qui aime deux personnes en même temps, s'en veut, hésite, ne sait pas, agit comme malgré elle, finit par choisir et puis par fuir, et puis choisir encore, qui souffre, beaucoup, et n'a personne à qui parler. Elle a mal et elle a peur, et elle le dit avec ses mots à elle, ses mots empli des sensations qui la dévastent et l'hypnotisent, avec sa grille de lecture tellement personnelle et tellement universelle, sa façon de vivre un monde qui la violente et la tourmente. Elle a ces mots, ces mots d'une beauté et d'une force rares, ce regard unique qu'elle pose sur un environnement tour à tour sublime, vivant, hostile et déprimant, sur ces gens qu'elle connaît et qui ne la comprennent pas, sur ces douleurs qui l'agitent et auxquelles elle ne s'habitue jamais.

C'est fort, Ravages, c'est marquant, parce que ça ne se contente pas d'être simplement glauque.
En aucun cas.
Ca le pourrait, ce serait même plus facile, de composer un roman qui soit juste triste et sombre et oppressant, un pur concentré d'angoisses, mais ça n'a rien à voir avec le texte subtil et étourdissant qu'est ce récit, cette tentative (ô combien réussie) de montrer en quoi la souffrance peut cohabiter avec l'espérance, combien les expériences qu'on peut faire de la vie sont simples et nuancées, comment on peut à la fois subir des difficultés profondes, et dans le même temps être animé, plein d'espoir, enflammé et passionné. C'est ça, Violette Leduc, c'est cette dualité-là : la reconnaissance de la différence, une vraie part accordée au malheur et à la solitude, et malgré tout, cette envie, ce besoin de se relever constamment, de faire face, d'aimer surtout, partout, tout le temps.

C'est tellement beau.
Ca se lit comme dans un souffle.
Ca laisse presque étourdi, avec le sentiment de n'avoir peut-être pas tout saisi, mais en tout cas, d'avoir vraiment tout compris.
Ca raconte des histoires d'amour compliquées, une hypersensibilité, des expériences de femme isolée et malmenée, certes, mais ça raconte aussi et surtout une résilience, dans tout ce que ce terme peut avoir de beau, d'inspirant et de subtil. C'est un roman qui pointe du doigt sa propre maladie, et qui hisse l'écriture en remède. En deux mots, terrible et magnifique.


Lien : https://mademoisellebouquine..
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Je poursuis ma lecture de Leduc avec ici un roman autobiographique qui raconte la vie avec sa compagne, sa rupture avec celle-ci puis son mariage avec un homme et son avortement. Ce roman est très intéressant sur le plan de l'écriture. Quant au sujet, il donne à voir avec précision la vie de l'auteur à cette époque. On y observe toujours sa détresse affective et son sentiment d'abandon. Ce n'est pas toujours très gai et encore une fois le comportement de la narratrice paraît parfois extrême mais elle reste toujours touchante et l'on a quand même envie de savoir ce qui va se passer. Je trouve aussi que l'on est bien plongé dans l' époque des années 30 et 40.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Ce samedi-là, je fus prête une heure à l'avance. J'éteignis, je m'assis à côté du poêle, j'attendis. Ce qui ne s'écoutaient pas vivre furent toute ma vie: la locataire qui piquait à la machine, la concierge qui prenait quelques fois de l'eau à la fontaine, les enfants qui parlaient entre une cuisine et une chambre à coucher. J'attendais: je recueillais les instants des autres, mon cœur s'épanchait sur le rebord des fenêtres. La sereine escarbille tombait, le temps pour les inquiets soupirait. J'entendis des pas dans la cour: un parterre d'alouettes devant le lit s'éveilla, il illumina la chambre. Ce ne sera pas Marc comme avant. Je ne ressusciterai pas les oiseaux morts de froid. Ce n'était pas Marc. Le temps avec sa crosse, sa mitre et ses pompes passa sur les fouillis et les ronces des terrains incultes, un chien aboya où l'air se raréfie, un volet de fer retomba.
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J'ai honte sur la plage du poids de leur sexe sous le jersey du maillot de bain. Les hommes en robe me rassurent, un prêtre qui surveille la baignade d'une colonie de vacances me ravit. Je touche, je comprime ce qui me faisait honte, ce que j'évitais de regarder. Je ne lui fais rien, il ne me fera rien et c'est dangereux. Je veux tout de suite une règle de vie, je veux devenir un mannequin de pureté. Me lever à six heures du matin, me coucher à huit heures du soir. Je ne peux pas l'abandonner. Je suis allée le chercher, je lui ai donné de l'appétit. Je ne peux pas le reléguer.
Je suis soulagée quand ils s'élancent vers la vague, quand ils entrent dans l'eau, quand ils me tournent le dos, quand ils font demi-tour dans l'eau et que je ne vois que leur buste, leur visage. Je lis avec tranquillité lorsque la vague les habille amplement.
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Je ne peux pas. Je me veux jeune fille jusqu'à la fin. Je me veux séparée d'eux, je me veux hors d'atteinte. Je ne veux pas qu'ils entrent dans mon trésor. Quand Cécile sera partie je serai seule, j'irai avec ma pieuvre assoupie dans mes entrailles, j'entrerai dans l'eau, je marcherai au-devant des vagues qui me creuseront et me prendront. Je ne veux pas me joindre au troupeau, je ne veux pas m'oublier, je ne veux pas être leur carpette. Je m'aime jeune fille. Je veux être une tombe surplombant la mer. Une vierge d'ébène en moi vieille. Je veux être honnête avec elle.
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La Bâtarde sort en livre de poche. La couverture est immonde. Je t'embrasse fort. Vite des nouvelles. Embrasse Michel, René, Marcelle.

Violette Leduc
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Je l'enveloppe dans mes mousselines et dans mes nuages, je lui mets avec mes lèvres un bandeau de brouillard sur les yeux, je le couche dans la chaleur confondante des cailles, je pose sa tête sur la blancheur lointaine des mouettes. Deux calmes ramiers le surveillent.
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Vidéo de Violette Leduc
"Il m?arrive d?être trois jours seule sans dire un mot à quelqu?un, c?est tout de même dur et quelque fois on perd pied" avouait Violette Leduc en 1965. Deux ans plus tard, Jean Renoir affirmait qu'"un des inconvénients de notre époque, c?est la solitude." Alors que Jean Cocteau estimait, lui, "que la vraie solitude est au milieu de beaucoup de monde".
Culture Prime, l?offre culturelle 100% vidéo, 100% sociale de l?audiovisuel public, à retrouver sur : Facebook : https://facebook.com/cultureprime Twitter : https://twitter.com/culture_prime La newsletter hebdo : https://www.cultureprime.fr
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