AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de oiseaulire


"Ravages" sous la forme d'un roman d'inspiration autobiographique paru 1955 (les évènements peuvent être transposés ou modifiés mais leur signification nullement altérée) aborde de plein fouet le thème du sentiment amoureux, de sa naissance à son délitement en passant par la dépendance. Et aussi celui de l'avortement, conclusion très peu romantique de la romance amoureuse pour de nombreuses femmes, en des temps ignorants de contraception efficace.

Tout cela est vu à travers des yeux féminins, ce qui à l'époque était tout-à-fait novateur, voire absolument scandaleux pour une part majoritaire de l'opinion publique, à tel point que Simone de Beauvoir dut effectuer dans le texte des coupes franches pour le rendre acceptable par les éditeurs (Gallimard).

Ces coupes franches, on les regrette aujourd'hui. Alexandre Antolin les a étudiées dans sa thèse universitaire intitulée "Une censure éditoriale : ravages de Violette Leduc".

Mais elles n'en survivent pas moins dans les éditions actuelles sous forme de doubles pointillés dans le texte.

Cette parution en 1955, était absolument avant-gardiste. Rappelons que Dominique Aury publia "Histoire d'O" en 1954 sous pseudonyme, et que "Ravages"" parut l'année suivante sous le nom véritable de l'auteure, pari osé. Et pour mémoire encore, indiquons que "L'amant" de Marguerite Duras, ne fut édité qu'en 1984 sans aborder aussi crûment le désir féminin, mais dégagea également un parfum de scandale du fait de l'évocation d'amours interdites entre coloniaux et indigènes, et de l'ambiguïté ses sentiments des jeunes filles et des mères.

Kate Millett et d'innombrables autres écrivaines reconnurent leur dette envers Leduc, défricheuse d'un territoire jusque là tabou, quasiment de l'ordre de l'impensable, en tous cas de l'inexprimable. Anaïs Nin lui rendit par ailleurs hommage.

Il faut souligner, pour mieux faire le parallèle, que D. H. Lawrence édita "L'amant de lady Chatterley en 1928 et qu'Henry Miller écrivit "Le tropique du Cancer" en 1934, et "Sexus" en 1949.

L'attribution de prix Nobel de littérature à Annie Ernaux permet de mesurer le chemin parcouru depuis 1955. Mais comme l'a dit une des intervenantes sur le plateau de la Grande Librairie hier 19 octobre 2022 (Pénélope Bagieu, je pense, autrice de la BD "Les culottées" ) : l'attribution de ce prix récompense le courage de l'expression d'une parole jusque là minoritaire au point d'être effacée, mais signe en même temps l'échec politique de notre contrat social démocratique, en montrant à l'évidence que la libération de la parole féminine ne va pas de soi et fait encore débat aujourd'hui.

Qui détient un accès privilégié au verbe exerce un pouvoir systémique (et vice-versa), d'où la nécessité d'un rééquilibrage qui porterait sur l'ensemble des interactions dans le corps social, et non sur la seule sexualité.

Commenter  J’apprécie          142



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}