Citations sur L'homme qui a vu l'homme (35)
Les mauvaises nouvelles attirent les journalistes et les curieux comme des mouches à merde
Iban serre les dents et pense à l’angoisse d’Élea Viscaya, perdue au milieu de nulle part, à la merci de cinq types qui lui jettent de l’eau glacée sur l’entrejambe et menacent de la violer pour une guerre qui a commencé quand elle n’était même pas encore née. Une guerre bien trop sale pour elle.
Au Pays basque sud, il y a un proverbe qui dit que la Guardia Civil est le plus long fleuve d'Espagne. Il prend sa source en Andalousie, car seuls les flics les plus pauvres acceptent d'être mutés au Pays basque, et il termine sa course dans le sang des rues de Donostia*.
*San Sebastián
Deux cents mètres carrés au sol à vue de nez. Garage, abri de jardin, piscine. Pelouse et plates-bandes entretenues avec soin par madame. Bégonias aux fenêtres, barbecue intégré et table de jardin. Moche, mais cher. Quartier de retraités et villas aux volets roulants électriques. Des voisins aux fenêtres qui épient la moindre allée et venue.
Le cadre idéal pour se faire chier toute une vie.
Iban change de chaîne et tombe sur un film avec Clint Eastwood. Soirée thématique. Il grogne de plaisir, attrape un cendrier et allume une cigarette. Il s’endort comme une masse vers 3 heures du matin, au milieu d’une scène interminable où l’inspecteur Harry se fait démolir le portrait pour la deuxième fois en moins de cinq minutes, en espérant confusément que cela n’ait rien de prémonitoire.
Troncs d’arbres, branches gorgées de sel, bouteilles en plastique, filets de pêche… Passé la belle saison et le ballet incessant des engins municipaux pour nettoyer, filtrer le sable et le rendre aussi attirant que possible pour les touristes, les rivages landais rappellent combien l’océan est devenu une poubelle en moins d’un siècle de débauche industrielle.
Tous parlent à voix basse en prononçant les mots terrorisme, Pays basque et ETA.
Ils murmurent :
- Ils pourraient nous entendre.
Elizabe demande :
- Qui ça, ils ?
Sourires gênés en guise de réponse.
Il est midi. Rue Filaudrie, les langues tournent sept fois dans les bouches, les voisins soupçonnent les voisins, les volets sont croisés et il est l'heure de passer à table. la cage d'escalier sent le poisson frit, les pommes de terre sautées et la peur.
Il réalise qu’il n’a pas baisé depuis longtemps et ça lui file la trique rien que d’y penser. Il serait peut-être temps qu’il se change les idées et commence à dépenser son fric.
En s’éloignant, il se demande combien ça lui coûterait de se faire livrer à domicile et s’il pourrait choisir la taille. La dernière pute qu’il s’est tapée mesurait un mètre soixante-quinze et ça ne lui avait pas procuré l’effet escompté, même s’il lui rendait bien vingt centimètres. Avec les petites, ce genre de choses n’arrive pas. Elles savent y faire avec les grands types comme lui. C’est un truc que les autres n’ont pas. Un truc qu’il ne s’explique pas.
Les paupières lourdes, il se traîne ensuite jusqu’à sa chambre et s’endort longtemps après, persuadé que des cagoulés sont planqués sous son lit pour l’égorger pendant son sommeil, mais trop crevé pour vérifier.
Il se dit qu'il va enfin pouvoir exercer son métier de journaliste. Il se croit malin. D'une certaine manière, il l'est peut-être. Comme tant d'autres avant lui.