Je suis de plus en plus certaine de l’avoir déjà vu quelque part et, qui qu’il soit, je vois qu’il s’amuse bien à me voir patauger.
– Est-ce qu’on se connaît ?
– Je crois que je me souviendrais de vous, dit-il en clignant des yeux. (Son regard, de plus en plus chargé d’une intensité magnétique, me fait frémir.) Il est plus que probable que ma réputation m’ait précédée.
– Homme à femmes, donc ?
Ça ne me surprendrait pas.
– Quelque chose comme ça, répond-il d’un ton lourd de sens. Que fait une Américaine comme vous dans ce vieux club de snobs ?
Je me raidis, sur la défensive, comme chaque fois que j’entends ce genre de commentaire. Mais j’ai l’impression qu’il n’est pas condescendant, simplement curieux, alors je me force à sourire pour répondre.
- Fait-moi un peu confiance. Je peux être relativement charmant quand la situation l'exige. Je suis un prince, après tout.
- Le prince charmant, hein ? (Je hausse les sourcils.) Je ne me souviens pas d'un quelconque prince charmant avec un pareil vocabulaire ni un appétit sexuel aussi insatiable.
- Perverse Pepper ? Tu nous as donné des surnoms à chacun d'entre nous ? Je suis Queen Edward ?
Là c'est mon tour d'être dans mes petits souliers, même en secouant la tête.
- Tu es Gentil Edward Que Je n'Ai Pas Envie De Tuer.
Une feuille imprimée avec les horaires des activités de la journée est posée sur mon oreiller et je lève les yeux au ciel en me rendant compte que quelqu’un a pris la peine de planifier chaque minute de mon séjour. Je suis censée être dans la salle de billard pour boire un cocktail à l’heure actuelle. Demain, je dois bruncher avec la reine mère. J’interroge alors la chambre vide à haute voix :
– Mais quand vais-je trouver le temps de me suicider ?
- Cette pulsion l'est. Tu peux me repousser, Clara, mais je consacrerai mon existence à ta protection, toujours.
- De toi, dit-il après une pause. Dors, mon chou. Je n'ai besoin de rien d'autre que de toi.
- Tu es ma religion, Clara Bishop. Tu es sacrée. Je t'adore. Je veux te vénérer.
Il est habillé comme il faut pour ce genre d’endroit : un pantalon noir parfaitement coupé et une chemise gris anthracite. Même baigné d’une lumière tamisée, son regard bleu étincelle malicieusement. Sa mâchoire est toujours recouverte de la même parfaite légère barbe, symbole de nuits enflammées. Comment fait-il pour la maintenir à l’exacte longueur idéale ? Ça ne m’aide pas, mais j’imagine ce que ça ferait de la sentir contre ma peau nue, entre mes cuisses. Rien que d’y penser, j’en suis tout secouée et j’en trébuche presque. Il est à quelques pas, pourtant, il tend les bras pour m’aider à retrouver mon équilibre, mais je me redresse toute seule, comme une grande.
On arrête les bêtises avant de se rendre totalement ridicule. Bien sûr, si je pense à ce que je porte, c’est un peu tard.
D’un certain côté, j’aimerais y retourner pour leur dire leurs quatre vérités, mais je résiste à la tentation. Il n’existe aucun remède à la connerie.
« Pourquoi attendre que le soleil perce à travers les nuages quand tu peux allumer la lumière ? »