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Critique de Biblioroz


J'ouvre L'apiculteur d'Alep. À l'intérieur s'y trouvent les paroles de Nuri. Dès ses premiers mots, je retiens mon souffle et je pressens, d'ores et déjà, qu'ils vont éveiller chez moi des émotions multiples. Je le laisse alors parler de sa femme, Afra, de ses yeux aveugles où il n'y rencontre plus qu'un vide abyssal terrifiant. Il nous dit que son rire aux éclats dorés comme de l'or s'est enfui, bien loin. Envolé aussi son don à faire vivre un paysage du bout de ses pinceaux. Envolé, leur petit Sami, victime de l'absurdité humaine.

Ils ont fui Alep pour rejoindre le cousin Mustafa et sa famille déjà exilés en Angleterre. Maintenant, ils sont dans l'attente de papiers, dans une pension anglaise. Pour l'acceptation de leur demande d'asile, leur unique privilège « nous venons du pire endroit sur terre. »

Pour ne pas nous perdre, pour accentuer aussi la transition entre ce lieu de demande d'asile et le passé, l'auteure utilise un mot, isolé sur une page vierge. Ce mot peut être une couleur, le nom d'une ville quittée ou traversée, un moment, comme la nuit, la dernière nuit syrienne avant le passage de la frontière et l'adieu à son pays. Ces mots nous propulsent à chaque fois dans le passé qui fut doux comme le miel qui s'écoule des ruches d'Alep, comme le partage de mets syriens en famille, mais rapidement terrifiant, comme l'inquiétude grandissante, la guerre, leur fuite, leurs haltes de réfugiés faites d'attentes interminables dans des camps sordides où plane toujours la peur, omniprésente.

Les paroles de Nuri sont sensorielles. S'en échappent des parfums de jasmin, de miel, d'épices, de fleurs de citronnier. le parfum de roses de sa femme puis celui du chaos, des ruches brûlées, d'ordures, de mort. Lui revient souvent le bourdonnement des abeilles et la beauté des paysages arides d'Alep. Bouleversante sa sensation de brûlure, sa répulsion et sa peur au moindre effleurement de la peau de sa femme. Alors qu'elle est à ses côtés, il la recherche éperdument, il guette son retour.
Quoique très souvent mutique, les perceptions d'Afra nous guident vers d'autres traumatismes.
Chaque mot, chaque geste, chaque personnage, chaque perception ont une terrible importance dans ce roman. Se ressentent la déchirure du pays quitté, la peur de l'exil, la douleur des pertes mais aussi la puissance des liens familiaux ou amicaux, les souvenirs comme moteur d'un avenir possible.
Les fleurs symboliseront l'espoir en renfermant le pouvoir de dessiner un sourire au milieu des ténèbres. Et n'oublions pas les abeilles que l'on suit, docilement, toujours affairées, source de prospérité et de vie.

Intérieur, extérieur, ce livre est magnifique. Des objets ramenés des décombres de leur ville, Nuri dépose dans les mains d'Afra la grenade fraîche de la couverture, avec ses graines qui étaient comme des joyaux, avant, avant les ténèbres.

Christy Lefteri, à travers cette fiction terriblement émouvante, vous avez admirablement raconté l'histoire de ces réfugiés. Comme vous vous adressez au lecteur en fin d'ouvrage, je vous remercie personnellement pour l'intensité émotionnelle de cette très belle lecture, pour les paroles de Nuri qui résonnent et résonneront longtemps en moi. Merci aux éditions du Seuil et à Babelio pour l'envoi de ce très beau roman.
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