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sur 389 notes
Nuri est apiculteur et adore son métier qui lui a été enseigné par son cousin Mustafa et avec qui il le pratique. Sa femme Afra est artiste-peintre. Ils vivent à Alep avec leur jeune fils Sami. L'éclatement de la guerre civile va mettre fin à ce bonheur.
C'est l'histoire de ce couple que Christy Lefteri a choisi de nous raconter, ce couple qui va devoir fuir son pays la Syrie, les ruches sacrées de Nuri ayant été détruites et leur enfant Sami tué. Afra est devenue aveugle à la perte de son fils et Nuri doit tout tenter pour la convaincre de partir.
L'auteure va alterner le récit de cette vie à Alep et de l'exode entrepris pour fuir l'invivable avec la narration de leur vie actuelle dans une pension, tout au sud de l'Angleterre où ils attendent depuis deux semaines d'avoir terminé les formalités de demande d'asile.
Le premier chapitre du roman commence avec la description de l'attente au Royame-Uni. Il porte évidemment le chiffre 1 sous lequel se trouve une abeille. Il se termine sur une phrase inachevée à laquelle il manque un mot. Ce mot sera le titre du récit suivant, récit du périple pour arriver jusqu'en Angleterre. Il sera ainsi le dernier mot de la phrase et le premier du paragraphe suivant. Nous passons ensuite au chapitre 2 avec l'abeille puis un autre mot et ainsi jusqu'au chapitre 14 où les deux récits se rejoignent. Une façon très originale pour enchainer à la fois le présent et le passé.
Christy Lefteri a mis en opposition, d'une manière remarquable, la vie heureuse, avant la guerre, dans la magnifique ville d'Alep et la tragédie vécue tout au long du périple vers une autre vie. Elle a su transcrire à merveille les couleurs, les senteurs les odeurs, de même que l'amour de Nuri pour sa femme et pour ses abeilles, abeilles qui ne le quitteront jamais. Tout au long du roman, le thème des abeilles et des ruches sera omniprésent et aidera souvent Nuri à ne pas perdre pied complètement.
En convoquant ici une famille parmi la multitude des réfugiés, l'écrivaine parvient ainsi avec cette histoire personnelle à nous faire vivre et ressentir au plus profond de nous-mêmes, ce qu'est le calvaire de ces gens poussés sur la route malgré eux, alors qu'ils vivaient heureux jusque-là, vers un avenir complètement incertain en prenant des risques immenses, dans des conditions inhumaines.
Quel beau livre puissant de Christy Lefteri, née à Londres, livre qui lui a été inspiré, comme elle nous le dit en fin d'ouvrage par son travail de bénévole dans un camp de migrants à Athènes en 2016 et 2017. Il n'a pas été sans me rappeler le roman graphique de Fabien Toulmé : L'odyssée d'Hakim.
Ce roman, L'apiculteur d'Alep m'a touchée, émue, bouleversée et je ne trouve plus juste résumé que ce qui est écrit sur le bandeau : Une histoire d'amour fou, une odyssée vers l'espoir.
À noter la très belle couverture où deux mains nous présentent deux moitiés de grenade, ce beau fruit, cadeau de Nuri à Afra.
Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour m'avoir permis de découvrir ce magnifique deuxième roman de Christy Lefteri. J'ai par ailleurs bien apprécié le post-scriptum en bas de page de la lettre d'envoi dans laquelle l'équipe du Seuil mentionnait :"Nous ne pouvons être tenus pour responsable de toute envie de miel découlant de cette lecture".

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Christy Lefteri a été profondément marquée par son engagement bénévole auprès des réfugiés, à Athènes. Les rencontres, les histoires racontées par ces femmes, ces hommes, les dessins des enfants l'ont poussée à écrire ce magnifique roman, dur et émouvant : L'apiculteur d'Alep.
Nuri Ibrahim, le narrateur, vit heureux en famille, à Alep (Syrie) où, avec son cousin, Mustafa, ils possèdent de nombreuses ruches dont ils extraient un miel délicieux produit par ces abeilles merveilleuses, indispensables à notre survie.
Hélas, tout dérape. Guerre civile, intégrisme religieux, luttes politiques insensées, sécheresse et c'est le peuple qui souffre, des milliers d'innocents qui voient leurs vies brisées. Mort, destruction, toute une société s'écroule. Une seule solution pour tenter de survivre : la fuite vers notre Occident rêvé où il est si difficile d'être accepté.
D'autres écrivains comme Louis-Philippe Dalembert dans Mur Méditerranée, m'ont fait partager ce cauchemar, ces souffrances inouïes, la rapacité des passeurs mais aussi la générosité des bénévoles oeuvrant pour les organisations humanitaires et Christy Lefteri donne un autre éclairage qui m'a profondément ému, troublé, révolté parfois.
Il est indispensable de lire de tels livres dans ce XXIe siècle qui apporte aujourd'hui d'autres drames et nous fait oublier un peu trop facilement que, chaque jour qui passe, des enfants, des femmes, des hommes tentent de fuir la guerre, la famine, la misère, au péril de leur vie.
L'apiculteur d'Alep, sur les pas de Nuri et d'Afra, son épouse, sans Sami, leur fils, tué par une bombe avant leur départ, est un roman remarquablement construit. Comme d'autres avant moi, je remarque et j'apprécie cette liaison subtile entre le présent – Nuri et Afra sont en Angleterre et attendent une régularisation – et ce qu'ils ont enduré pour en arriver là. Une phrase se termine par un mot écrit en caractères gras au centre de la page suivante et ce même mot est le début d'une nouvelle phrase. C'est original et je pense qu'il faut saluer le travail de la traductrice, Karine Lalechère, qui a su respecter et transcrire en français l'écriture talentueuse de Christy Lefteri.

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Dans Alep dévastée par la guerre, alors qu'ils ont tout perdu, l'apiculteur Nuri finit par convaincre son épouse murée dans le chagrin qu'ils n'ont que trop tardé et qu'il leur faut partir. Avec pour seuls bagages la douleur de deuils impossibles et le traumatisme de la violence et de la peur, le couple entame alors un long et dangereux périple au travers de la Turquie et de la Grèce, dans le but de gagner l'Angleterre et d'y obtenir le statut de réfugiés.


Son expérience de bénévole dans un camp de migrants à Athènes a permis à l'auteur de recueillir les témoignages et les confidences de familles syriennes et afghanes réfugiées en Grèce : autant d'histoires bouleversantes qui ont nourri ce roman et lui ont donné un centrage émotionnel fort. Au-delà d'un aperçu des dramatiques conditions et obstacles qui jalonnent le parcours des migrants, le récit met l'accent sur l'intime et l'humain, nous faisant partager le désespoir engendré par le deuil et la perte, mais aussi l'extraordinaire résilience dont beaucoup de ces personnes déplacées savent faire preuve.


Ainsi, au beau milieu des drames et de la noirceur ambiante, l'on parvient tant bien que mal à se réchauffer le coeur à une petite flamme d'espoir et de vie, précairement entretenue par les souvenirs d'un passé serein et lumineux, par l'amour et la tendresse de deux époux accrochés l'un à l'autre, et par l'actif et continu soutien des populations locales et des organisations humanitaires.


Au travers de cette histoire particulière qui laisse perler l'espoir dans un chaos général où beaucoup de migrants se perdent, l'on devine la volonté de croire, pour les aidants bénévoles comme l'auteur, à ce que, heureusement, et en partie grâce à leurs efforts, un certain nombre de destins brisés puissent retrouver la lumière.

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J'étais bien partie avec ce roman. Une plume sensorielle avec des descriptions de grande beauté.
« Afra inhalait le monde comme si c'était une rose. Voilà pourquoi je l'aimais plus que la vie. »
Nuri est apiculteur et Afra est artiste peintre. Avec leur jeune fils Sami, ils auraient pu être tellement heureux dans leur pays qui sent si bon. Sauf que leur pays, c'est la Syrie et lorsqu'un pays est en guerre, plus rien n'est beau.

Malgré l'objection d'Afra à fuir, le couple n'aura d'autre choix que de tout quitter, soleil, abeilles, même les yeux d'Afra resteront clos à jamais sur un pays qu'elle n'arrivera jamais à oublier.

Quand je lis sur la couverture « une histoire d'amour fou », je suis à même d'espérer la voir et la ressentir cette histoire d'amour. Mis à part les quelques premières pages du début, je n'ai par la suite pas du tout ressenti cet amour. le couple est quasiment absent de cette histoire au détriment d'une odyssée vers l'immigration qui ne m'aura pas plus passionnée que cela. Pour que les nombreuses épreuves que vont vivre le couple me chavirent, je dois sentir l'ancrage et la force émotionnelle de ce couple. Et il n'en a rien été. C'est une multiplication d'épreuves, de pas en avant, en arrière, sans jamais voir Nuri tenir la main d'Afra.

Mes 3 étoiles je les accorde pour la beauté de la plume et de certains passages qui m'ont beaucoup touchée. Mais l'ensemble me laisse une impression de déséquilibre.
J'ai regardé de loin Nuri, Afra et tous les autres victimes de la guerre avec un coeur qui n'aura pas gercé comme il aurait dû.
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C'est une histoire qu'il est indispensable de lire. Elle donne le véritable éclairage sur le drame que vivent des milliers de personnes chaque année, chassées de leur pays par la famine ou par une guerre. Ces gens migrants que l'on qualifie si facilement d'envahisseurs dans nos sociétés occidentales privilégiées. Ces gens qui effraient parce qu'ils ont une culture et une langue différentes de la nôtre et dont on craint qu'ils ne se répandent dans notre espace vital pour se l'approprier, le corrompre et faire naître le chaos.
« L'apiculteur d'Alep » révèle la véritable nature de ces gens, des hommes, des femmes, des enfants traumatisés, meurtris, condamnés à errer d'un camp à un autre après avoir affronter la mort de multiples fois, des gens qui avait une vie honorable et que la folie des hommes a anéantie l'espace d'une déflagration de bombe.
La peur de l'inconnu nous les a fait craindre, haïr ou mépriser, et pourtant, l'histoire de Christy Lefteri les révèle être pour la plupart des personnes avec une âme noble et douées d'humanité comme on en rencontre de moins en moins souvent dans nos démocraties.
A travers le plus beau métier au monde, celui qui entretient la vie, l'apiculteur, l'auteur raconte le voyage sans retour de Nuri, gardien des abeilles d'Alep et Afra, son épouse devenue aveugle depuis la mort de leur fils Sami, de Syrie en Grèce puis en Angleterre.
L'auteure n'est pas tombée dans l'écueil du reportage. Il s'agit bien d'une fiction basée sur des faits réels qu'elle a bien connus puisqu'elle a travaillée deux années consécutives dans un centre de migrants à Athènes. Elle a eu le talent de traiter un sujet aussi grave avec beaucoup de poésie.
C'est une lecture qui marque et qui ne peut laisser indifférent à moins d'être dénué de toute sensibilité. Une lecture qui rend intelligent.
Traduction de Karine Lalechère.
Editions du Seuil, Points grands romans, 325 pages.
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Dès les premières pages, j'ai perdu mes repères.
Du bonheur au malheur, d'heure en heure l'apiculteur se meurt.
Livre détresse, lecture frayeur.
Les prédateurs brûlent ses repaires.
Il a eu son heure.
Nuri, bombe et cauchemar, fuite essentielle et vitale, son parcours, lourd.
Quitter son pays, partir avec Afra son amour.
De Syrie au Royaume-Uni.
De migrant à réfugié, tout est écrit dans ce road-movie de la vie.
D'Istanbul à Lesbos sans pathos et d'Athènes à Londres à se morfondre.
Happy, apiculteur, quand la mort te susurre des serments veloutés, que rien n'est moins sûr,
que rien n'aura plus d'importance. Ni la chaleur, ni les piqûres…

Je me suis senti mal à l'aise dans cette fiction qui sent trop fort la réalité.
Personnages de création dans un environnement réel, actes glaçants : tu as envie de t'entraîner au tir ? Simple, deux soldats parient celui qui va tirer, c'est un jeu, pour abattre…un enfant de huit ans !
J'ai approché l'errance et ses souffrances dans les lignes de Christy, je ne me suis jamais posé, ni reposé. J'ai couru tout le temps, haletant à tâcher de trouver un peu de baume au coeur pour Afra et Nuri dans les parcs piégés laissés à l'abandon où ils sont abrités avec leurs compagnons. J'étais sans cesse sur le qui-vive pour tous ces gens qui bravent la mort chaque jour qui commence.

Merci Christy de ce témoignage qui va me hanter, je croyais m'y perdre, je m'y suis trouvé encore un peu plus d'humanité.

Merci à Bashung à qui j'ai emprunté quelques lignes de sa superbe chanson : L'apiculteur.

Merci infiniment à Babelio et Seuil pour leur cadeau de masse-critique privilégiée.
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Le "Printemps arabe" ,qui devrait être un pluriel, est un mouvement de contestations populaires qui va faire vaciller certains régimes du Maghreb et du Machrek à partir de la toute fin de l'année 2010.
Il va chronologiquement concerner d'abord la Tunisie, puis partiellement l'Algérie et la Jordanie, l'Égypte, le Yémen, Bahreïn, la Libye, le Maroc et enfin, le 19 mars 2011 la Syrie.
Chacun des pays cités a connu un sort différent.
La Tunisie, la Libye et l'Égypte se sont retrouvés avec de nouveaux leaders mais avec des régimes dans lesquels la démocratie et les droits de l'homme ont peu ou toujours pas leur place, exception faite peut-être de la Tunisie...
L'Algérie, la Jordanie, le Maroc ont turbulé mais sans céder.
Au Yémen et à la Syrie a été réservé le pire...

Je tenais à ce rappel parce que je ne suis pas sûr que tous les lecteurs de ce roman l'aient à l'esprit et parce que personnellement "mobilisé" depuis 2011 sur le drame syrien, j'ai lu ledit roman avec un vécu qui n'est certes pas celui de Chrity Lefteri qui, elle, a été marquée par son expérience de bénévole au "Faros Hope Center", un centre d'accueil pour les réfugiés à Athènes, mais qui est celui d'un militant concerné et encore actif.

La ville d'Alep compte presque trois millions d'habitants avant le déclenchement de la guerre civile.
C'est une ville prospère où il ferait bon vivre sans la dictature Assad.
Mais c'est là que vivent néanmoins heureux, Nuri apiculteur, Afra son épouse artiste peintre et Sami leur petit garçon de cinq ans.
Nuri est associé à son cousin Mustafa, lequel est marié à Dahab, et a deux enfants, une fille Aya et un garçon Firas.
La guerre civile va bouleverser la vie de ces hommes et de ces femmes qui ne demandaient rien d'autre que de vivre leur vie en paix.
Mustafa va envoyer, par prudence, Dahab et Aya en éclaireuses en Angleterre.
Mais la situation va empirer, la guerre civile va dans un premier temps voir s'affronter les sbires d'el-Assad et l'Armée syrienne libre.
En 2015, l'année où se déroule cette histoire, la coalition Fatah Halab rassemble des dizaines de groupes d'insurgés, sans parler du tristement célèbre État islamique.
Alep est le théâtre des pires affrontements et des pires exactions.
Firas et Sami sont tués.
Firas est "exécuté", Sami est tué par l'explosion d'un obus.
Toutes leurs ruches sont brûlées.
Mustafa part rejoindre Dahab et Aya en Angleterre, conjurant son cousin de le rejoindre.
Mais Afra qui a perdu la vue au moment de l'explosion qui a tué Sami, refuse de quitter Alep.
Il faudra que la vie de son mari soit directement menacée pour qu'elle consente à l'exil et que tous deux empruntent le terrible chemin de la fuite et fassent connaissance avec ce qu'est le sort des réfugiés.

Ce roman très touchant est à la fois le récit d'un exil et le témoignage de toutes les histoires des exilés qu'a rencontrés Christy Lefteri.

C'est l'histoire de ces terribles traumatismes engendrés par la guerre, l'exil et les conditions de l'exil.
C'est l'histoire des traumatismes nés du deuil.
C'est aussi et surtout l'histoire de trois cécités.
Celle d'Afra qui ne veut plus voir.
Celle de Nuri qui, se refusant de voir la réalité, s'est inventé une réalité alternative.
Notre cécité qui s'est habituée à passer d'une actualité à l'autre ou à pas d'actualité.
Mais c'est aussi l'histoire d'un long chemin vers la résilience.
Une résilience à laquelle seul l'amour peut donner naissance ou re-naissance.

Christy Lefteri maîtrise son sujet. L'histoire de Nuri, d'Afra, de Sami, de Mohamed, et de tous ceux qu'on appelle avec l'inconvenance du confort "les migrants", est relatée avec beaucoup de réalisme, d'humanisme, d'empathie, mais sans céder à la tentation du pathos, de l'emphase ou du lyrisme.
C'est un roman qui porte les labels "honnêteté" et "authenticité".
La plume a d'indéniables qualités.
La structure narrative est originale ; le livre est séquencé entre l'Angleterre, la Turquie, la Grèce, Alep et quelques flashbacks avec pour chacun un trait d'union sous la forme d'un mot qui permet de passer d'un chapitre à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'une temporalité à l'autre.

Je vous recommande ce très bon livre et y ajoute celui de Raphaël Pitti - Va où l'humanité te porte -, livre ( chroniqué sur Babelio ) témoignage d'un médecin de guerre qui est intervenu en Syrie et qui oeuvre à présent pour l'Ukraine...
Pour conclure, je ne peux m'empêcher de faire le lien "thématique" entre ces deux cousins apiculteurs à Alep et cet apiculteur du Donbass et ses "abeilles grises" qu'Andreï Kourkov a mis en scène dans un livre magnifique, que je vous recommande également.

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Je ne m'attendais pas à être aussi remuée par l'apiculteur d'Alep.
Par l'apiculteur et la peintre d'Alep.
Et leur petit garçon.
Et le petit Mohammed.
L'histoire débute dans la lumière dorée des prés de Syrie, le zonzonnement paisible des abeilles, les rangées de belles ruches alignées, le parfum des fleurs et du miel.
Elle se termine dans une petite ville du Sud de l'Angleterre, dans une courette bétonnée où un bourdon privé d'ailes vit sa petite vie sur un pissenlit.
Mais entre les deux…
Entre les deux, c'est d'abord une dictature qui tue ses enfants, c'est la guerre, d'atroces bombardements, des deuils.
Puis le parcours désespéré de l'exil, les réseaux de passeurs, les bateaux pneumatiques, les camps de réfugiés, là où le pire peut arriver.
Les camps de réfugiés où l'autrice a travaillé comme bénévole, où elle a écouté les récits.
Et où l'idée de ce roman est née.
Car c'est un roman, et c'est ce qui fait sa force.
Parce qu'elle a un vrai talent, Christy Lefteri, pour faire passer l'émotion dans des phrases courtes, dans de petits gestes du quotidien, dans des personnages si poignants, ce mari, cette femme, qui s'épaulent et se soutiennent tour à tour quand l'un ou l'autre sombre.
Si j'ai eu la gorge serrée tout du long, j'avoue que la fin m'a fait pleurer ; même les remerciements – c'est dire – où elle explique avoir "écrit cette histoire pour essayer de montrer ce qui se passe entre les gens qui s'aiment, quand ils ont tout perdu."

Traduction impeccable de Karine Lalechère.

Challenge Globe-trotter (Chypre)
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Emprunté à la Bibliothèque Buffon- Paris 6e- mi-août 2022

Enfin lu cet ouvrage noté depuis sa parution…Beaucoup de critiques déjà existantes, qui sont plus que justifiées !
Je vais toutefois laisser une trace de "ma" lecture aussi prenante qu'éprouvante !...

On comprend et combien, que l'auteure ait éprouvé le besoin d'écrire sur son expérience de bénévole dans un centre de migrants entre 2016 et 2017… le besoin de rendre la parole aux “Oubliés”, aux “Sans-voix”. La nécessité de rendre compte, en ayant croisé trop de femmes et d'hommes, d'enfants brisés par la guerre, par les maltraitances diverses…

Je débute ce billet par le choix d'un extrait du texte adressé au lecteur (*en fin de volume) où Chrystie Lefteri explique sa démarche et la nécessité d'”ECRIRE” à partir de tous ces destins malmenés, qu'elle a croisés , l'ayant durablement marquée, et au-delà, lui ont fait modifier sa vision u monde!

“Cher lecteur
(...)

Qu'est-ce que ça fait de voir certaines choses ? C 'était une question qui me hantait, et c'est ainsi qu'est née Afra,une femme devenue aveugle à la suite de l'explosion qui a tué son fils.Puis j'ai rencontré un homme qui avait été apiculteur en Syrie. Aujourd'hui, il vit en Angleterre, où il construit des ruches et enseigne l'apiculture aux réfugiés. Les abeilles représentent la vulnérabilité, la vie et l'espoir.”
(...)"

Quatre personnages habitent le noyau de cette histoire, L'Apiculteur,Nuri, son épouse, Afra, artiste peintre, ayant perdu la vue dans des circonstances tragiques (voir au-dessus), Sami, leur tout jeune fils unique, qui habite chaque parcelle du roman, et Mustapha, le cousin adoré, admiré , qui les supplie de quitter Alep, et de le rejoindre en Angleterre. ... Après avoir difficilement convaincu son épouse, ils prennent le chemin de l'exil....et de l'inconnu !

Rappelons que Nuri a appris son métier d'apiculteur avec ce cousin, au grand dam du père, qui souhaitait que son fils unique reprenne sa succession, en tant que “tailleur” !
Les abeilles et ce métier comme pour Mustapha, sont sa raison de vivre, sa passion !

La majorité du récit narre les tribulations, et les épreuves endurées par notre couple, ces parents endeuillés; qui tentent de partir d'Alep, et de rejoindre le cousin, Mustapha… Quelques mains tendues; toutefois la règle générale est de se méfier de tout et de tous. C'est la loi de la jungle pour survivre !!....

Les deux personnages sont très attachants et complexes…chacun vivant très différemment la mort de leur unique enfant !

J'ai toutefois manqué de clairvoyance un très long moment en réalisant que des deux, celui qui est le plus vulnérable n'était pas celui que je croyais !
Nuri et Afra sont tous les deux anéantis par la guerre et la mort violente de leur fils , Sami…
Celui qui est plus profondément plongé dans les ténèbres se révèle être le mari, qui pourtant semble "fort", assume le quotidien, la protection de son épouse aveugle et mutique … différents incidents dont un autre particulièrement grave, vont nous le révéler , au fil de leurs "mésaventures" et difficultés , au fil de ce "parcours du combattant" (dans le sens littéral de l'expression !)...

Il y a toujours de l'Amour entre eux deux, mais qui vacille lorsque le désespoir prend trop de place dans la vie de tous les jours…et de cette fuite désespérante !

Heureusement, ce qui les fait tenir ce sont les mails de Mustapha qui les attend avec une très vive impatience, qui a peur pour eux !
Cet objectif: le rejoindre représente la Lumière, l'Espoir qui les fait endurer le pire….des semaines, des mois !
Mustapha les attend, et veut à tout prix que son cousin l'aide dans sa nouvelle entreprise : construire des ruches et apprendre le métier d'apiculteur aux nouveaux réfugiés arrivant….

Car ces abeilles demeurent magnifiquement le Symbole concret de la vie et d'une Renaissance possible!

“J'avais quatre ruches empilées dans le jardin.Je n'aimais pas vivre loin des abeilles.(...)Le matin, je me réveillais très tôt, avant l'Aube, avant l'appel à la prière du muezzin, pour arriver au lever du soleil. Lorsque je descendais de voiture, la note unique et pure de leur bourdonnement s'élevait au-dessus de la nature inondée de lumière.
A mes yeux, elles forment une société idéale, un petit paradis au milieu du chaos.”

Une lecture prégnante… interpellante et dérangeante, dans les ignominies qui touchent les migrants…. Heureusement, l'horizon s'ouvre avec des mains tendues, et ce vaste projet d'Ecole d'apiculture afin d' aider les réfugiés à se reconstruire, à envisager à nouveau, en dépit des deuils et pertes multiples, un avenir offrant des promesses possibles !

Après la découverte de cette écrivaine, je poursuis avec la lecture de ses “Oiseaux chanteurs”… Roman qui prend en compte une nouvelle fois d'autres “oubliées”, et d'autres “invisibles” , à qui on dénie une dignité et un minimum de droits… Nous aurons compris que pour Chrystie Lefteri, la Littérature n'est pas un mot creux, mais un engagement de tous les instants !


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J'ouvre L'apiculteur d'Alep. À l'intérieur s'y trouvent les paroles de Nuri. Dès ses premiers mots, je retiens mon souffle et je pressens, d'ores et déjà, qu'ils vont éveiller chez moi des émotions multiples. Je le laisse alors parler de sa femme, Afra, de ses yeux aveugles où il n'y rencontre plus qu'un vide abyssal terrifiant. Il nous dit que son rire aux éclats dorés comme de l'or s'est enfui, bien loin. Envolé aussi son don à faire vivre un paysage du bout de ses pinceaux. Envolé, leur petit Sami, victime de l'absurdité humaine.

Ils ont fui Alep pour rejoindre le cousin Mustafa et sa famille déjà exilés en Angleterre. Maintenant, ils sont dans l'attente de papiers, dans une pension anglaise. Pour l'acceptation de leur demande d'asile, leur unique privilège « nous venons du pire endroit sur terre. »

Pour ne pas nous perdre, pour accentuer aussi la transition entre ce lieu de demande d'asile et le passé, l'auteure utilise un mot, isolé sur une page vierge. Ce mot peut être une couleur, le nom d'une ville quittée ou traversée, un moment, comme la nuit, la dernière nuit syrienne avant le passage de la frontière et l'adieu à son pays. Ces mots nous propulsent à chaque fois dans le passé qui fut doux comme le miel qui s'écoule des ruches d'Alep, comme le partage de mets syriens en famille, mais rapidement terrifiant, comme l'inquiétude grandissante, la guerre, leur fuite, leurs haltes de réfugiés faites d'attentes interminables dans des camps sordides où plane toujours la peur, omniprésente.

Les paroles de Nuri sont sensorielles. S'en échappent des parfums de jasmin, de miel, d'épices, de fleurs de citronnier. le parfum de roses de sa femme puis celui du chaos, des ruches brûlées, d'ordures, de mort. Lui revient souvent le bourdonnement des abeilles et la beauté des paysages arides d'Alep. Bouleversante sa sensation de brûlure, sa répulsion et sa peur au moindre effleurement de la peau de sa femme. Alors qu'elle est à ses côtés, il la recherche éperdument, il guette son retour.
Quoique très souvent mutique, les perceptions d'Afra nous guident vers d'autres traumatismes.
Chaque mot, chaque geste, chaque personnage, chaque perception ont une terrible importance dans ce roman. Se ressentent la déchirure du pays quitté, la peur de l'exil, la douleur des pertes mais aussi la puissance des liens familiaux ou amicaux, les souvenirs comme moteur d'un avenir possible.
Les fleurs symboliseront l'espoir en renfermant le pouvoir de dessiner un sourire au milieu des ténèbres. Et n'oublions pas les abeilles que l'on suit, docilement, toujours affairées, source de prospérité et de vie.

Intérieur, extérieur, ce livre est magnifique. Des objets ramenés des décombres de leur ville, Nuri dépose dans les mains d'Afra la grenade fraîche de la couverture, avec ses graines qui étaient comme des joyaux, avant, avant les ténèbres.

Christy Lefteri, à travers cette fiction terriblement émouvante, vous avez admirablement raconté l'histoire de ces réfugiés. Comme vous vous adressez au lecteur en fin d'ouvrage, je vous remercie personnellement pour l'intensité émotionnelle de cette très belle lecture, pour les paroles de Nuri qui résonnent et résonneront longtemps en moi. Merci aux éditions du Seuil et à Babelio pour l'envoi de ce très beau roman.
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