AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cannetille


Son expérience de bénévole dans un camp de migrants à Athènes avait nourri L'apiculteur d'Alep, le précédent roman de l'auteur. Cette fois, ce sont les témoignages de femmes étrangères venues s'employer comme personnels de maison à Chypre, qui ont soufflé à Christy Lefteri cette histoire inspirée de faits dramatiques bien réels.


Nisha a quitté le Sri Lanka et son bébé pour devenir nounou à Chypre. Après neuf ans de bons et loyaux services chez Petra et sa fille Adèle, et au lendemain de la demande en mariage de Yiannis, le locataire qui occupe l'étage de la maison, elle disparaît un soir de 2016, abandonnant passeport et effets personnels. La police refuse d'ouvrir une enquête, au prétexte de l'instabilité de la main d'oeuvre immigrée. Petra et Yiannis, lui-même emberlificoté dans un réseau mafieux de braconnage d'oiseaux depuis son licenciement lors de la crise bancaire et financière de 2008, tentent de retrouver trace de la jeune femme. Ils prennent alors conscience des terribles réalités vécues par toutes ces femmes, endettées à vie auprès d'agences de placement, dans l'espoir de trouver dans des pays riches le travail qui leur permettra enfin, au prix de la distance et de la séparation, de faire vivre leur famille.


L'on pourra penser au roman Chanson douce de Leïla Slimani, quand l'employeuse de Nisha réalise après coup ce dont elle ne s'était jusqu'ici aucunement souciée : la vie privée et les sentiments de celle qu'elle n'avait jamais imaginée qu'entièrement dédiée à son service. En vérité, pendant presque une décennie de partage de son intimité à elle, Petra n'a jamais eu en tête que la fonction, et non la personne, de son employée, tirant parti sans s'en douter du drame personnel de cette dernière, lui imposant ses préoccupations de femme aisée sans même se rendre compte de l'indécence du contraste entre son confort et la misère de l'autre. Pourtant, là n'est pas le pire. Car, cette indifférence généralisée, y compris des autorités, vis-à-vis de ces filles seules et sans recours, coincées par leur dette dans une situation de totale dépendance vis-à vis de leur agence et de leurs employeurs, favorise les pires abus dans le secret de ces maisons ou boutiques où elles sont parfois maltraitées, à peine logées et nourries, réduites en esclavage, et même agressées et tuées.


Au fur et à mesure que l'histoire de Nisha et de ses semblables se dévoile à Petra et à Yiannis, l'émotion se fait de plus en plus poignante, en même temps que l'inquiétude grandit. Et, alors qu'en parallèle, le lecteur assiste, consterné, au trafic de ce qu'Elif Shafak appelle « le caviar de Chypre » dans L'île aux arbres disparus, se superposent peu à peu l'image de ces nuées colorées d'oiseaux migrateurs, pris au piège des vastes filets et de la glu de l'industrie du braconnage aviaire chypriote, et celle de ses migrantes venues s'échouer, au terme d'un aventureux et courageux voyage, dans un autre traquenard tout aussi inextricable.


Christy Lefteri nous livre un nouveau roman empreint de chagrin et de révolte, inspiré comme le précédent de ses rencontres et de son engagement bénévole pour la cause des migrants. A n'en pas douter, le succès devrait être encore au rendez-vous, serrant bien des gorges et faisant même couler quelques larmes.


Merci à Babelio et aux éditions du Seuil de m'avoir offert cette lecture.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          924



Ont apprécié cette critique (89)voir plus




{* *}