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Critique de Antyryia



Après les recueils Santé ! ( 2013 ) et irradié ( 2014 ), dont les droits d'auteur étaient reversés respectivement à la fondation maladies rares et à l'association Tchernobyl Nord Pas-de-Calais, l'atelier Mosesu publie cette fois un recueil au profit de France ADOT ( Association pour le Don d'Organes et de Tissus humains ).
Ainsi que l'illustre magnifiquement la couverture, le coeur d'un donneur d'organes peut se transformer en or pour un receveur compatible.

Etre donneur d'organes n'est pas encore ancré dans notre culture, même si la mort de Gregory Lemarchal à vingt-trois ans, en attente d'une greffe de poumons, avait provoqué un électrochoc et une brusque augmentation du nombre de donneurs.
Même si nous sommes tous donneurs potentiels, à moins d'être inscrit sur le registre national des refus de dons d'organes ( Qui ne dit mot consent ), la famille s'oppose souvent à ce que soient prélevés les reins, le coeur ou le foie de leur bien aimé disparu. Et comment les en blâmer ? Ils viennent de perdre un être cher et sont en état de choc. En outre la victime est en état de mort cérébrale mais les battements de son coeur sont encore maintenus artificiellement.
Et il est aussi dans notre culture de vouloir préserver les corps de nos défunts le plus longtemps possible, d'où l'embaumement funéraire.
Le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, mais à moins d'être sûr que ces prélèvements ne soient la volonté du défunt, cette impression qu'on va mutiler le disparu ( parents, conjoint, enfants ) ne va faire qu'accroître la souffrance. D'où l'importance d'en parler de son vivant à ses proches sans en faire un sujet tabou.

Si théoriquement dès 2018 les familles n'auront plus leur mot à dire suite au vote du projet de loi de Marisol Touraine qui fait passer en force les dons d'organes en les présumant volontaires, ici les treize "auteurs du noir" n'imposent aucun point de vue et se contentent par le biais de courtes histoires de nous éclairer, d'aborder les dons d'organes sous un angle qui parlera ( ou non ) au lecteur, mais qui le laissera réfléchir par lui-même, sans le brusquer, l'amenant peut-être à se positionner sur un sujet si délicat.
Afin que sur les vingt et un mille personnes en moyenne qui attendent une greffe chaque année en France, plus du tiers actuel puisse être soigné.

Afin de nous sensibiliser, certains auteurs vont choisir de faire parler l'organe ainsi transféré d'un corps à un autre, pour bien montrer qu'une forme de vie peut continuer au-delà de la mort. C'est le cas de Max Obione qui, dans "Vis, Lola !" donne la parole au coeur de Frankie, décédé dans un accident de la route. C'est ce qui lui a permis de rejoindre la poitrine de Lola dans laquelle il bat désormais. Et même si ce nouveau corps lui demande de se réadapter, c'est un coeur énervé, excité et heureux de toujours vivre qui prend la parole pour témoigner brièvement de son sort.
Dans "Iris 216", Eric Maravelias décrit un véritable partenariat entre le narrateur et son hôte dans un univers futuriste où la guerre fait rage. L'organe sera finalement prélevé pour rejoindre un autre corps ( "J'avais un nouveau maître et nous ne faisions qu'un." ) qui cette fois sera un véritable carcan pour celui qu'on devinera rapidement être un oeil d'élite.
Dans les deux cas, l'oeil et le coeur garderont leurs souvenirs passés.

La mémoire cellulaire sera quant à elle justement évoquée à deux reprises. Il s'agit d'une théorie très controversée selon laquelle, lorsqu'on reçoit une greffe, des souvenirs ou des habitudes du patient décédé peuvent être également transférés en même temps que l'organe au receveur.
"La plupart des médecins refusent encore d'y croire. Mais d'autres au contraire se posent sérieusement la question, tant les témoignages des greffés sont nombreux et troublants."
Ainsi, Bob Garcia évoque cette hypothèse dans son très beau texte "Coeur à coeur ou le secret de Laura". Musicien alors en pleine séance d'enregistrement, Pierre est appelé au chevet de son épouse, hospitalisée d'urgence. Un cancer foudroyant lui a été diagnostiqué quelques semaines plus tôt. Quel secret cette ancienne infirmière tient tant à divulguer avant de rendre son dernier soupir ?
Quant à Olivier Norek, dans "J'ai tant de choses à vous dire", c'est également ce thème qu'il explore sous un angle que je vous laisse découvrir. Sachez simplement que dans sa nouvelle, il est question de deux petits garçons qui discutent dans une chambre d'hôpital, l'un victime d'un accident de la route et le second dont le coeur est trop fatigué.
Si cette théorie de mémoire cellulaire venait à être confirmée, ne serait-ce pas la meilleure motivation pour une famille de savoir que leur défunt transmettra un peu de son histoire, de son vécu, comme pour prolonger encore sa trop courte existence ?

Comme nous le rappellent Franck Thilliez et Jeanne Desaubry, les dons sont également possibles de notre vivant, en particulier pour les reins.
L'auteur de " Sharko" évoque dans "La croisée des chemins" un étrange couple. Un homme et un enfant qui marchent l'hiver dans la forêt, qui vivent de chasse, de cueillette et de pêche. L'enfant, Martin, a reçu un rein. L'adulte, Claude, a donné l'un des siens. Et pourtant, il ne s'agit pas d'un père et de son fils.
Pourquoi Martin cherche-t-il à fuir ?
Dans ce texte dépourvu de dialogues, Franck Thilliez aborde le don sur un ton aussi tragique que plein d'espoir. Et rappelle au passage que :
"Les organes ne sont pas comme ceux qui les portent, ils se fichent des races, des sexes et des religions."
La nouvelle de Jeanne Desaubry est très réussie également, en particulier la fin. le lecteur pourra choisir entre deux conclusions celle qui lui conviendra le mieux. "Hebnie" ( qui signifie mon fils en arabe ) raconte l'histoire de Mimo et de sa mère, une famille monoparentale d'origine maghrébine. La mère est sous dialyse pour insuffisance rénale. Quant à Mimo, il n'écoute pas ses conseils avisés et continue à tremper dans les petits trafics de sa cité. Jusqu'au jour où ils se retrouveront tous les deux à l'hôpital. Mimo est prêt à donner à sa mère un de ses reins : c'est devenu une question de vie ou de mort.
"On peut tenir avec un seul rein, et lui, il veut vivre, peu importe comment, mais avec sa mère. Il n'est pas prêt à la solitude."
Mais peut-on oui ou non demander un tel sacrifice à son propre enfant ? Les deux hypothèses seront étudiées.

Préserver l'anonymat de chacun protège les donneurs et des receveurs. Une mesure que je comprends parfaitement étant donné les abus qui pourraient en découler ( le besoin pour une famille de rester en contact avec ce qui reste de leur enfant, l'obligation du receveur de tout réussir, et d'être toujours à la hauteur du cadeau qu'on lui a fait ) et qui parallèlement me paraît discutable. Ne rien savoir du ou des receveurs ne rend pas le don concret, n'en fait qu'un concept flou et demande par conséquent une abnégation totale de la part de personnes qui ont déjà trop souffert. Ce nouveau sacrifice pourrait paraître vain parce qu'impossible à imaginer, à matérialiser.
Plusieurs auteurs prendront des libertés avec cette législation pour donner plus d'impact à leur histoire.
Dans "Le fils d'Ariane", Claire Favan nous parle d'abord du jeune Elliott qui éprouve le besoin de retrouver les quatre personnes qui ont bénéficié d'une greffe suite au décès de sa mère.
"Notre identité n'est-elle pas censée être protégée ?"
Chacune d'elles nous sera ensuite présentée, et on verra à quoi ressemblait leur vie avant la greffe, et ce que l'opération leur aura permis de réaliser, la façon dont leur vie a pu évoluer. Peu importe le tour de passe-passe qui permettra au garçon de toutes les réunir, le sujet de réflexion étant davantage l'importance de pouvoir le faire pour des raisons qui seront dévoilées à la toute fin.

Stanislas Petrosky nous rappelle quant à lui que nul n'est à l'abri d'un besoin de greffe, et que ce serait une erreur de ne pas se sentir concerné par le sujet. Pour illustrer son propos il met en scène un couple de joggeurs dans "Mécanique cardiaque". L'homme, bon vivant, ancien fumeur, gros buveur, ne parviendra pas à suivre le rythme imposé par sa compagne. C'est elle pourtant qui va s'écrouler et à laquelle sera diagnostiqué une insuffisance cardiaque. Comment se procurer le coeur qui pourra sauver celle qui a prodigué tant d'amour ?
"Il fallait déjà une compatibilité de groupe sanguin, certains peuvent recevoir, d'autres donner, un beau bordel, et toi, comme par hasard, fallait que tu sois du groupe le plus chiant."

Pour éveiller les consciences, Jess Kaan choisit quant à lui la voie de la violence. Sa nouvelle "Pour Maëlle" n'est pas toujours tendre avec les médecins ( "L'impression que vous n'êtes plus humain, juste un numéro face à des toubibs au mieux surmenés, au pire blasés." ) et particulièrement virulente avec les laboratoires pharmaceutiques et leurs arrangements politiques.
Le narrateur est un pompier qui a perdu sa petite fille suite à des erreurs de diagnostic, de traitement et enfin par absence de greffon compatible.
Que va-t-il mettre en oeuvre pour se venger tout en attirant l'attention du public, et la notre par la même occasion ?

Les autres nouvelles de ce recueil sont peut-être moins axées sur la réflexion, ou en tout cas ne font pas spécialement avancer le débat sur l'importance des dons d'organe.

La nouvelle de Cécile Bontonnou aurait davantage eu sa place dans le recueil "Santé !" en réponse à "Lettre à toi" de Gaëlle Perrin. Alors que dans le premier recueil le cancer lui-même s'adressait à sa victime en lui faisant comprendre qu'il ne la lâcherait pas, la nouvelle ici présente "Deux rounds pour une vie" semble être la réponse de la victime aux métastases qui ont failli l'emporter et avec lesquelles elle a livré un véritable matche de boxe. Un bel hymne à la vie, une leçon de courage, mais qui n'avait pas forcément sa place dans le recueil.

Le don évoqué par François Legay dans "Auto-Immun" est celui du sang. Son texte parle d'un homme qui hait son prochain.
"J'aurais voulu voir sombrer, disparaître, se volatiliser l'humanité."
Même tendre la main à un sans-abri, il en est incapable.
Est-ce que son dégoût d'autrui, sa solitude et son aigreur ont un lien avec la paralysie progressive de tout son côté droit ?

Armelle Carbonel et Jacques Saussey n'ont quant à eux pas quitté l'univers noir du polar qui leur est si familier.
"L'horrorscope" ( un beau titre pour la necromancienne ! ) raconte comment une photographe de scènes de crimes interviendra sur un double meurtre dans un chalet de haute montagne. le petit Pierrot a-t-il été témoin de l'agression de ses parents ? A-t-il vu qui a énucléé son père et qui a arraché le coeur de la poitrine de sa mère ?
En tout cas, l'horoscope qui annonçait "Restez sur vos gardes, les élans du coeur pourraient surgir là où vous ne les attendez pas" se vérifiera bel et bien dans des circonstances glaçantes.
Jacques Saussey quant à lui a imaginé une intrigue machiavélique avec beaucoup d'humour noir où le mot quiproquo prendra un sens inattendu. "En pièces détachées", c'est l'histoire d'un couple charmant qui a pour particularité de s'être connu par l'intermédiaire d'un site de rencontres mettant en lien des personnes en fin de vie.
Les greffes semblent en tout cas particulièrement inspirer l'auteur, qui inaugurait le recueil "Santé !" avec une autre histoire diabolique sur le même thème.

L'humour, c'est également ce qu'a privilégié Ian Manook qui dans "Une belle jambe" raconte l'histoire futuriste d'un écrivain qui a porté réclamation contre la FDG ( française de greffe ) parce que la prothèse de sa jambe droite couine, ce qui met en péril sa vie sexuelle. S'ensuit tout un dialogue complétement absurde bourré de jeux de mots et d'hypothèses farfelues avec les deux commerciaux venus essayer de trouver une solution amiable à ses doléances.
"Vous n'êtes pas satisfait du pack d'éléments motriciels de mobilité augmentée inférieur droit que nous vous avons greffé ?"
Les deux partis pourront-ils s'entendre sur un compromis ?

La qualité de tous ces textes varie beaucoup, mais j'en ai apprécié la grande majorité. Tous ces auteurs réunis autour d'une cause noble ont beau être regroupés sous l'appellation générale "Les auteurs du noir", beaucoup se sont éloigné de leur terrain de jeu favori et les nouvelles, bien qu'unies par un même thème, sont très hétéroclites. Privilégiant l'humour, la noirceur ou la sensibilité ; la science-fiction, le drame ou le polar, chacun a eu son approche personnelle ( certes parfois tirée par les cheveux ) pour nous faire vivre une petite histoire pleine de suspense ou riche de réflexions, et le plus souvent les deux à la fois.

Et puis aucun ne donne de grande leçon de morale, aucun ne cherche à nous faire culpabiliser ou n'insiste sur l'importance d'être donneur. le sujet est complexe et la démarche très personnelle même si elle nécessite d'être évoquée avec son entourage. Chacun a ses croyances, ses convictions, son seuil de tolérance à la douleur.
Je n'arrivais pas à me positionner réellement sur le sujet, faute également de m'y être intéressé de près. Et à vrai dire je n'y parviens toujours pas même si je me sentirais hypocrite d'accepter le don dont je pourrais un jour avoir besoin si je n'offre pas potentiellement la même contrepartie.
Au moins maintenant je commence à me poser des questions, et j'ai même eu envie d'évoquer les nouvelles les plus marquantes avec mon entourage.
Et c'est déjà un pas en avant.
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