L'homme n'est pas un animal comme les autres. Un animal complet ne fréquente que cette fraction spécifique du monde extérieur qu'il peut percevoir en fonction de son programme héréditaire. Cet univers perceptif est polarisé par des signaux déclencheurs des réactions adéquates. On dit que l'animal est adapté à son milieu. Il est génétiquement armé pour y évoluer. Au contraire, l'homme est un inadapté congénital. L'espèce humaine, en effet, produit des individus dont le développement animal est indéfiniment suspendu à un stade qui correspond chez les autres primates à l'immaturité infantile. Lucien Cuénot, biologiste de génie, a appelé cette condition la néoténie. Comme, du fait de sa néoténie, l'homme est privé d'instinct, il n'a aucune idée a priori de la bonne manière de s'y prendre, entre autres pour soulever des poids. Il a donc essentiellement besoin de la culture physique, c'est-à-dire de s'inventer une seconde nature par les moyens de l'intelligence. Autrement dit, pour paraphraser la définition de Georges Rouhet tout en corrigeant son rousseauisme: la culture physique est l'art de donner à l'homme la beauté, la force, la santé que la nature prodigue à toutes les espèces animales, sauf à lui.
Comment faire entendre qu'on obtient le gainage non par des séries d'abdominaux, mais en apprenant à embrayer dans le bon ordre les "vitesses" des voies motrices descendantes? Ces voies motrices activent des patrons neurologiques qui sont en quelque sorte enchâssés les uns dans les autres comme des circuits gigognes. Tant qu'on ignore ce fonctionnement, il est impossible de l'exploiter adroitement. De ce point de vue aussi, le retour de l'haltérophilie comme phénomène de masse est salutaire parce qu'il conduit à considérer l'organisme comme un Tout finalisé contrairement à l'idée que le corps n'est que la somme de ses parties visibles. L'activité haltérophile en vue d'obtenir des résultats pratiques montre, de manière à la fois physiologique et psychique, comment les fonctions inférieures sont intégrées dans les supérieures. Elle procure mieux qu'aucun discours la compréhension intuitive que le gainage, clef de voûte de notre architecture dynamique, est le bouclage organisé des circuits nerveux extrapyramidaux et pyramidaux suivant leur importance du point de vue de l'Evolution.