Au volant d'une vieille Dodge, évitant les chiens errants dans la poussière de la Caroline du Sud, regardant les chiens écrasés sur la double deux voies, je file à toute berzingue et à travers quelques instants de ma vie poussiéreuse. Je m'arrête chez un pote, un ancien du Viêt-Nam, y'en a toujours un dans les bons romans américains. « Assieds-toi, vieux, dit Blue. Y a de la bière dans le frigo si t'as soif. », me dit-il. - Petit aparté. Déjà Blue me fait penser immédiatement à la trilogie new-yorkaise de
Paul Auster, l'oeuvre ultime des romans américains. Fin du petit aparté totalement personnelle et subjectif. - Et là, avec nos bières fraîches et décapsulées, on s'assoit sur la terrasse, de vieilles planches en bois posées à même la poussière, de son mobil home, face au soleil couchant.
le silence est là, un silence pas dérangeant, un silence de complicité avec son ami, avec sa bière, avec sa lune. D'ailleurs on en reprend une troisième pendant que les étoiles commencent à illuminer la solitude des coyotes. Au bout d'une ou deux heures, j'abrège donc
le silence, il est temps que je reprenne la route, direction
Coronado.
J'allume l'autoradio, un morceau de Dave Matthews s'en échappe. Je file, je m'arrête pour prendre une auto-stoppeuse qui monte à l'arrière, l'air fatiguée, une pute qui veut changer d'air et reprendre sa vie en main, devenir reine sous le soleil californien ou au moins actrice de sitcom. On s'arrête au bord de la route, un bar poussiéreux mais aux néons qui tranchent dans le vif, colorent ta nuit semblent-ils te dire. Je commande un Jim Beam. « Elle fait tinter les glaçons dans son verre. Tire une bouffée de sa cigarette. » Rien qu'une telle pensée me met dans un état d'excitation intense. Mandy est partie dans les toilettes, probablement se refaire un brin de fraîcheur et une ligne de coke.
Je reprends la route seul, Mandy trouvera certainement une nouvelle âme toute ouïe à ses charmes. La route vers
Coronado va être encore longue, pas envie de m'arrêter dans un motel, pour y faire quoi, d'ailleurs, dormir deux heures et me réveiller seul en sueur avec un bouquin de
Dennis Lehane posé sur la table de chevet. Non autant filer tout droit, jusque ce que la nuit prenne fin, vienne m'embarquer dans les méandres de ses pensées.
Coronado, là-bas, il y a mon ex petite amie, y'en a toujours une dans les bons romans américains. On se retrouvera ou pas, comme une scène de théâtre où deux coeurs surjouent leurs partitions.
Fin de l'histoire, je ne sais plus où je vais, une fois mes santiags posées à
Coronado. Je ferme le bouquin de ma vie, bon bouquin, celui de
Lehane, pas celui de ma vie. Je vais l'ensevelir de poussière, le bouquin, ma vie, jusqu'à ce que quelqu'un le reprenne en main et fasse une nouvelle route avec.