Nous retrouvons dans ce roman Olivia, le personnage principal de
L'invitation à la valse. Dix ans ont passé, elle s'est marié, s'est séparé de son mari, elle vit à Londres, a un petit emploi dans un studio photo. Elle rencontre par hasard dans un train Rollo Spencer, le beau et rayonnant Rollo qui l'a ébloui au bal dix ans auparavant. Il est marié lui aussi, mais une sorte de magie opère entre eux deux, magie qui s'était déjà un peu manifesté au fameux bal. Elle devient sa maîtresse, celle qui doit rester dans l'ombre, ne pas gêner la vie professionnelle et surtout familiale. Ils passent des moments volés, au gré de ses disponibilités à lui, font quelques voyages.
Rosamond Lehmann réussit encore un beau livre. Un portrait de femme, toute en doutes, en incertitudes, qui cherche sa place, qui se cherche. La passion amoureuse pour Rolle, si absurde, tellement ils sont différents et tellement il n'y a pas de vraie place pour elle dans sa vie à lui, autre que subalterne, est un moment où les choses se cristallisent et où d'une certaine manière elle arrive à mieux se définir elle-même. C'est un retour vers le passé, vers l'admiration qu'elle éprouvait pour la famille Spencer et leur monde brillant, enviable. Un monde qui se révèle bien moins séduisant vu de près, plein d'hypocrisie, de conventions, d'égoïsmes, où même l'aisance financière se lézarde.
A son habitude, l'auteure mène de main de maître sa description de son héroïne, d'une manière subtile et profonde. L'analyse psychologique se fait par petites touches, par les événements, les réactions, les discussions, les gestes du quotidien.
Le roman est aussi un extraordinaire état des lieux de la condition féminine de l'époque (les années 30 du siècle dernier) : travailler est difficile, comme exister en dehors du mariage, qui en même temps assigne un rôle et des fonctions précises et secondaires aux femmes. Kate, la flamboyante soeur d'Olivia, l'a expérimenté. Tout l'art de Lehmann est de suggérer la manière dont Kate s'est d'une certaine façon éteinte, sans rien asséner, ni préciser de manière explicite. Mais l'alternative est là : soit un sage mariage, qui assure un confort matériel et une place claire dans la société, au prix de son individualité, soit une situation incertaine et tâtonnante, comme celle d'Olivia, un peu honteuse, un peu pitoyable pour la plupart des gens. Mais qui devient au final une sorte de choix pour elle, peut-être le seul choix honnête possible, même s'il n'est pas forcément facile en permanence. Sa liaison avec Rollo, exaltante et douloureuse, lui permet peut-être de prendre davantage conscience d'elle-même, de ses exigences, de tourner aussi une page, de réévaluer les choses et les êtres.