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EAN : 9782290315415
284 pages
J'ai lu (01/11/2001)
  Existe en édition audio
3.95/5   611 notes
Résumé :
Que la Terre, en ce lointain futur, soit chaque jour un peu plus torride — bientôt il faudra fuir la planète ! —, c'est là une réalité indubitable. Le doute, en revanche, règne sur l'identité des êtres. Qui est qui ?
Tous drogués, devenus "cognitifs" et télépathes, les Terriens ne vivent plus que dans le fantasme et l'illusion. Et Leo Bulero qui détient le secret du D-Liss fait la loi.
Jusqu'au jour où il lui faut affronter Palmer Eldritch, un aventuri... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (50) Voir plus Ajouter une critique
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Il m'est d'avis que Philip K.Dick n'a pas pris que de la verveine pour écrire ce livre « le dieu venu du centaure » en 1964. Son côté délirant est communicatif, je ressors de cette lecture comme si j'avais pris moi-même de bonnes doses de D-Liss, voire pire du K-priss, ces drogues de translation. Hallucinations, visions, mondes parallèles, retour dans le futur, nous suivons l'auteur dans ses délires avec bonheur. Ce livre est dingue…Dingue ces visions, dingue ces descriptions de songes et de pensées au sein même des hallucinations, dingue cet entrelacement de mondes rêvés, fantasmés, imaginés ou réels, dingue enfin cette façon de nous plonger rapidement dans un monde a priori complexe mais dont nous comprenons, sans qu'aucune explication nous soit donnée, vite les ressorts.

Et l'idée n'est pas farfelue, loin de là. La Terre, en proie à un réchauffement climatique spectaculaire (80 degrés à New York), est difficilement habitable. Les plus chanceux, les plus aisés, notamment ceux qui ont pu se faire augmenter en termes cognitifs (et qui arborent avec virilité de beaux gros lobes frontaux), se terrent dans des appartements (conapts) et des moyens de transport ultraclimatisés, les autres sont tout simplement expulsés, contraints, sur la Lune ou sur Mars, balayés par des vents hurlants, où une vie vide de sens les attend, « blottis les uns contre les autres au fin fond d'une tanière creusée au milieu de cristaux de méthane gelés ». Les colons ne peuvent tenir que grâce à l'ingurgitation de doses massives de drogues, la fameuse D-Liss, dont le marché est contrôlé par le richissime Léo Buléro. Or ce commerce lucratif est menacé par l'arrivée de Palmer Eldritch, le « Dieu » venu du système stellaire de Proxima du Centaure (dont on ne sait pas s'il est toujours homme ou s'il est devenu Proxien ou monstre), qui veut proposer une nouvelle drogue, bien plus efficace mais plus dangereuse, le K-priss. Une drogue capable de dispenser la vie éternelle, lorsque la religion ne fait que la promettre, une drogue dans laquelle Palmer Eldritch fait office de dieu omniprésent permettant de reconstruire son passé comme il aurait du être, un poison dans lequel Eldritch contrôle l'intégralité des univers hallucinatoires sous des formes animales, végétales, inertes, variées...Dans tous les cas la drogue est vitale car elle permet aux colons de se projeter dans un monde fantasmé d'une vie normale sur la Terre redevenue habitable.

« Nous sommes ici, reprit-elle bientôt, pour faire ce que nous ne pouvons pas faire à la tanière. Là où nous avons laissé nos corps corruptibles. Et tant que nos combinés resteront en état de fonctionner, tout ceci… -- Elle fit un geste en direction de l'océan, puis toucha à nouveau son corps, incrédule. -- Tout ceci ne peut pas disparaître, n'est-ce pas ? Nous avons gagné l'immortalité.-- Sans crier gare, elle se recoucha sur le dos, contre le sable, puis ferma les yeux, un bras contre son visage. -- Et puisque nous sommes ici, et qu'on peut faire ce qui nous est refusé à la tanière, ta théorie est que nous devrions le faire. Tirer parti de l'occasion.-- Il se pencha vers elle pour l'embrasser sur la bouche ».

Les scènes s'enchainent, bouleversantes, attirantes, séduisantes…des scènes inquiétantes comme lorsque nous sommes avec ce Richard Hnatt et son épouse Emily ligotés sur la table d'Evolthérapie du curieux Dr Denkmal afin de subir cette couteuse intervention permettant de les faire évoluer (ou les faire régresser dans quelques rares cas, un risque à prendre), inquiétude contrebalancée par l'humour noir de l'auteur qui arrive sans crier gare :

« Ils se trouvèrent bientôt devant un vaste laboratoire équipé de tout l'attirail scientifique et de deux tables à la Frankenstein au grand complet, sans oublier les fers destinés à entraver les poignets et les chevilles".

Des scènes hallucinantes comme celle où Léo Buléro, capturé, va prendre contre son gré la drogue concurrente, la K-priss. Nous sommes avec lui dans son hallucination et c'est une véritable expérience de lecture à se demander où se trouve le réel, perdant nous-même tous repères !

Et des clins d'oeil en pagaille insérés avec malice, comme la garçonnière interstellaire de Léo Buléro, demeure au doux nom de Winnie-l'ourson, en passant par les combinés des « Poupées Pat » permettant aux colons de se transformer en Ken et Barbie et de reproduire en miniature les conditions normales d'une cité terrestre d'avant le réchauffement (mais à condition d'utiliser la drogue, la D-Liss, pourtant illégale). Quand un commerce légal en cache un autre illégal… Plein de de pieds de nez aussi pour nous embrouiller aussi dans ce monde où toutes les unités de mesures sont changées et où les paiements s'effectuent en peaux de truffes.

« le glacier principal, Ol'Skintop, s'était encore retiré de 4,62 Grables au cours des dernières vingt-quatre heures. Et la température à New York relevée à midi dépassait de 1,46 Wagners celle de la veille. Sans même parler du taux d'humidité, dû à l'évaporation des océans ; il avait augmenté de 16 Selkirks. Toujours plus chaud, toujours plus humide ; la nature poursuivait sa procession inexorable, et vers quoi » ?

J'ai adoré l'humour de Philip K.Dick, mordant, corrosif, l'air de rien, oui un humour pince-sans-rire qui arrive quand on ne s'y attend pas et qui crée des images délirantes dans nos cerveaux malmenés :

« Écoutez, lui dit-il tout en tapotant sa main, ne vous inquiétez pas ; ce n'est pas dans la nature humaine de se sacrifier pour autrui. Finissez vos croquettes de grenouilles ganymédiennes et retournons au bureau ».

« À l'heure qu'il était, la jeune femme blonde et frêle mais dotée d'une poitrine gigantesque devait graviter à huit cents kilomètres d'altitude dans sa villa-satellite, en attendant qu'il quitte le boulot pour le week-end ».

Bon, j'arrête là, je crois que je suis tombée en Dickolâtrie…Et tout ça, la faute à Dourvac'h qui m'a donné furieusement envie de me plonger dans l'oeuvre de Philip K.Dick ! Cet ami babéliote a fait un travail colossal en regroupant et décrivant dans une liste toute l'oeuvre de cet incroyable auteur sur sa page, je vous invite à aller y faire un tour : https://www.babelio.com/liste/15343/Philip-K-DICK-1928-1982-A-Maze-of-DeathCa

Un grand merci Dourvac'h, vu la bibliographie foisonnante de cet auteur, je vais me régaler !
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Publié en 1964 sous le titre original « The three stigmata of Palmer Eldritch », « Le dieu venu du Centaure » est un roman étrange et attachant, où le lecteur se perd parfois dans les méandres des esprits torturés de ses protagonistes. le titre original, qui fait explicitement référence aux stigmates du Christ, éclaire ce roman très sombre d'une lueur eschatologique : l'insaisissable Palmer Eldritch devient en effet une figure christique qui porte les stigmates de son sacrifice pour une humanité au bord de l'abîme.

Car la question centrale du roman est bien celle que pose la quatrième de couverture : qui est Palmer Eldritch ? Parti dix ans plus tôt découvrir les richesses de Proxima du Centaure, il est enfin de retour dans notre système solaire, après avoir côtoyé les proxiens, une civilisation extra-terrestre plus évoluée que la nôtre. Outre une dentition en métal imbriquée dans sa mâchoire, Eldritch dispose d'yeux artificiels et d'une main articulée en métal. Tels sont les trois stigmates portés par le mystérieux aventurier. Depuis son retour sur terre, Palmer se fait discret. On dit qu'il se fait soigner des séquelles de son voyage dans un hôpital, il se murmure même qu'il serait mort.

Le héros du roman, Barney Mayerson est un pré-cog, c'est-à-dire un humain capable d'entrevoir le futur, ou plus exactement plusieurs futurs possibles. Il occupe un poste important auprès de Leo Bulero, un magnat qui doit sa fortune à la distribution du D-Liss, une drogue destinée aux colons ayant quitté la terre. La température est devenue tellement élevée sur la planète bleue qu'il est impossible d'y survivre sans une climatisation constante. Les Nations Unies, le gouvernement mondial qui préside à la destinée des Terriens, convoque ainsi régulièrement des habitants pour les envoyer sur Mars ou dans une contrée encore plus lointaine, afin de la coloniser et de limiter le nombre d'habitants d'une terre au bord de l'ébullition. le D-Liss a été conçu à l'attention de ces colons en leur permettant de rêver, le temps d'un trip aphrodisiaque, qu'ils sont de retour sur leur planète de naissance.

Leo Bulero, qui a bénéficié d'un traitement destiné à augmenter ses facultés cognitives en Allemagne, est inquiet. Il craint que Palmer Eldritch ne lance le K-Priss, une drogue qui pourrait remplacer le D-Liss et lui assurer le monopole du marché des colons. Bulero est inquiet, car il se dit que le K-Priss est nettement plus puissant que le D-Liss et offrirait aux exilés une expérience nettement plus réaliste. Une expérience effrayante aussi, qui évoque une forme dévoyée d'eucharistie, où Palmer Eldritch s'incarne dans le trip du pauvre colon tentant d'échapper à sa triste condition.

Malgré les intuitions géniales de son auteur, « Le dieu venu du Centaure » est un roman très daté. Une obsession constante pour ce qui se dissimule sous le décolleté de ces dames ainsi que la remarque « lesbophobe » que laisse échapper Mayerson excédé par la prétendue fille d'Eldritch nous rappellent que nul « sensitivity reader » n'a relu le manuscrit de K. Dick. La référence aux stigmates du Christ du titre, l'analogie dérangeante entre la prise de K-Priss et l'eucharistie, ainsi que l'évocation du corps glorieux formalisé par saint Paul, éclairant la possibilité d'une vie où chacun serait dépouillé de son enveloppe charnelle témoignent de l'imprégnation chrétienne de l'auteur, qui s'autorise une relecture toute personnelle du Nouveau Testament.

Daté. Prophétique. Tel est le paradoxe de ce « dieu venu du Centaure ». En imaginant une terre où la température est devenue invivable, l'auteur s'immisce dans notre cauchemar très actuel de la possibilité d'un réchauffement climatique mortifère. En confiant aux Nations Unies la régulation de la planète, il préfigure l'émergence d'un gouvernement mondial que certains appellent de leurs voeux. K. Dick place enfin au coeur de son roman le développement exponentiel de drogues de synthèse, telles que le D-Liss ou le K-Priss, permettant aux colons d'échapper, le temps d'un trip d'un réalisme saisissant, à une réalité désolante. Une prophétie troublante, à l'heure où nos « humeurs » sont régulées par la prise d'anxiolytiques, d'antidépresseurs ou par la consommation de divers « produits ». Les deux personnages clé du roman, Eldritch et Bulero, évoquent enfin, chacun à leur manière, la figure d'Ellon Musk, l'homme qui veut conquérir l'espace et augmenter ses capacités cognitives à l'aide d'implants cérébraux. Des implants aussi terrifiants que l'opération pratiquée par un médecin allemand tout droit sorti du troisième Reich pour permettre à Bulero d'augmenter son intelligence.

Philip K. Dick nous emporte une nouvelle fois dans un univers qui ne cesse de s'assombrir au fur et à mesure que son intrigue progresse. L'auteur prend un malin plaisir à perdre son lecteur dans le dédale paranoïaque des inquiétudes de ses protagoniste, dans ce roman évoquant un labyrinthe hypnotique en forme de jeu de miroirs borgésien.

Si vous souhaitez savoir qui est Palmer Eldritch, lisez « Le dieu venu du Centaure », vous y trouverez peut-être la réponse...

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Ne venez pas me faire croire que Philip K. Dick ne buvait que de l'eau et ne consommait que du tabac... A grands coups de D-liss et de K-priss qu'il l'a écrit ce roman, je vous le dis !

A ceux qui ont lu Ubik et qui l'ont adoré alors n'hésitez pas et foncez ! On retrouve les thèmes qui sont chers à l'auteur, à savoir des parallèles, et même des perpendiculaires, entre monde réel et monde imaginaire /rêvé / fantasmé. le tout s'imbrique, se mélange jusqu'au stade où le lecteur devient comme les personnages du livre, à ne plus savoir comment démêler le tout, puisque l'irréel, provoqué dans l'esprit à grands renforts de drogues concurrentes, devient tellement envahissant qu'il déborde sur le réel en laissant à la vue de n'importe qui les fameuses stigmates auquel le titre du bouquin, en version originale, fait référence.

Philip K. Dick nous embrouille l'esprit, nous soumet différentes questions, pour nous faire douter de ce que l'on pense voir et savoir de la réalité des choses qui nous entourent. Il vient même nous proposer une réflexion sur ce qui fait qu'un Dieu l'est effectivement, par son emprise, son pouvoir, son omniprésence... ne pourrait-on pas même parler de don d'ubiquité !?

Oui il était tordu cet auteur, un peu complètement barré même dans sa tête, mais c'est pour ça qu'on l'aime....

Toutefois, je tiens à préciser que malgré, le caractère certes confus et de plus en plus compliqué de l'intrigue, ce livre est extrêment facile de lecture. Les personnages sont plaisants et le tout est assez visuel.
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"Le dieu venu du Centaure" ["The Three Stigmata of Palmer Eldritch", 1964 ; traduit de l'américain par Guy Abadia pour le compte des éditions Opta en 1969] est un égal qualitatif — dans sa fantastique profusion d'imaginaire — de la "trilogie de la Mort" que formeront quelques années plus tard "Ubik" ["Ubik", 1969], "Le guérisseur de cathédrales" ["Galactic Pot-Healer", 1969] & "Au bout du labyrinthe" ["A Maze of Death", 1970].

Sommet parmi d'autres chefs d'oeuvre de romanesque débridé, disséminés dans la carrière prolifique du grand Californien (1928-1982) : "Loterie solaire" ["Solar Lottery", 1955], "Les pantins cosmiques" ["The Cosmic Puppets", 1956], "Glissement de temps sur Mars" ["Martian Time-Slip", 1964], "Le Maître du haut-Château" ["The Man in the High Castle", 1962], "A rebrousse-temps" ["Counter-clock World", 1967], "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" ["Do Androids Dream of Electric Sheep ?", 1968]... qui fut adapté du vivant de l'auteur par Ridley Scott sous le titre "Blade Runner", sorti en 1982 et que "Phil" n'eût malheureusement plus le loisir d'admirer... Ce pour ne citer que ses romans les plus justement célèbres !

Les livres de DICK — romans comme nouvelles dites de "s.-f." — se lisent (et se sont d'ailleurs écrits) à une vitesse supersonique, née du talent si original de l'auteur mais aussi de cette aisance fort démocratiquement procurée par la tachypsychie amphétaminée, "cadeau" de la dernière guerre inondant les drugstores californiens, dont ceux d'Orange County... (Ne s'agissait-il pas aux pilotes U.S. d'éviter de "piquer du nez" au cours de leurs très longues missions à fort risque létal ?)

Tout nous bouleverse et nous séduit curieusement, quand certains personnages présentés semblent n'avoir que l'épaisseur du papier à cigarettes...

"Semblent" car la superficialité n'est là aussi qu'illusion : l'auteur vient "incarner" lui-même pratiquement chacun de ses personnages, "armé" de sa désarmante mais exemplaire empathie : comme pour ce Richard Hnatt dont nous nous trouvons à partager les pensées lorsqu'il se retrouve ligoté comme un cobaye passif et effrayé sur la table d'Evolthérapie de la Clinique "haut-de-gamme" du Dr Denkmal... et découvrons alors que nous avons accès à la cosmogonie personnelle de Philip K. Dick...

Et l'humour foudroyant du pince-sans rire" de Philip K. Dick, énonçant calmement la phrase suivante :

"Ils se trouvèrent bientôt devant un vaste laboratoire équipé de tout l'attirail scientifique et de deux tables à la Frankenstein au grand complet, sans oublier les fers destinés à entraver les poignets et les chevilles."

Et quelques pages plus tard (surtout si vous avez l'imprudence de rouvrir le livre à trois heures du matin), vous sentirez la réalité se dérober sous vos pas, se fragmenter bizarrement, partir en loques...

Ce charmant Combiné "PerkyPat" [or "P.P. Layouts, Inc."] des "Poupées Pat" (simili-Ken & Barbie, et leurs nombreux amis.. ) que n'aura nul besoin de fournir à ses clientèles captives la firme concurrente, responsable de la production du terrible K-Priss, lichen exporté (bien sûr illégalement mais avec le soutien d'une O.N.U. en perte totale de repères) du système stellaire de Proxima du Centaure...

C'est que... (et la publicité du Tout Nouveau Produit, pour une fois absolument pas mensongère pour un sou, nous annonce clairement la couleur avant d'inonder le marché de notre Solar System ) : " DIEU PROMET LA VIE ÉTERNELLE. NOUS, NOUS LA DISPENSONS. "

A nos risques et périls, bien sûr... Pas de retour-en-arrière possible, évidemment ! (mais en ce monde devenu sans issue, ma foi...).

Il est clair que le Capitalisme semble, au fond, avoir un sérieux béguin pour la paix des grands cimetières intergalactiques (Il fait 80° Celsius à l'aube sur les boulevards désertés de New York : la circulation souterraine y est chaudement recommandée)... Un des moyens de son expansion est — tout de même — de conserver vivante sa clientèle, non ?

La mort, le temps, les menaces qui se multiplient, la fuite en avant du récit, ces inévitables couples qui se défont et se déchirent... et, sous la fluence de l'humour contextuel de l'auteur, les cent mille signes de perte de nos repères spatio-temporels : "Où s'est planqué le réel, nom d'un chien ?" ...

"Dites, est-ce que nous sommes encore dans le Jeu ?" s'écrie, effaré, l'un des joueurs (butant sur le cadavre sanguinolent d'un autre joueur) à la fin du très "dickien" "eXistenZ" [1999], film-phare de David Cronenberg...

Tout le problème de ces humains conditionnés (nos frères et soeurs, personnages de roman d'un futur dévasté par ce cauchemar entropique d'un échauffement climatique sans retour en arrière envisageable) ayant à faire un "choix" entre les prises de "D-Liss" ["Can-D" in english] ou de "K-Priss" ["Chew-Z"]...

Soit une pharmacopsychose généralisée — inéluctable et finale — qui risque bien de leur être fatale : Palmer Eldritch (et son redoutable pouvoir de corrompre leur existence déjà si précaire) — ce "dieu venu du Centaure" aux trois stigmates (dont la fameuse et terrifiante mâchoire d'acier, yeux fendus et bras articulé depuis le "crash" de sa fusée à la surface de Pluton) existe-t-il réellement ?

N'oublions pas que "The Three Stigmata of Plamer Eldritch" fut (également ou surtout) écrit en ce début d'année 1964 pour tenter d'atténuer la charge émotionnelle d'une vision : celle d'une déité maléfique REELLEMENT apparue à son auteur, quelques semaines auparavant, dans le ciel nu au-dessus de sa tête. Cet "artifice" ou ce choix vital de transférer cet élément de son tableau hallucinatoire dans une fiction devait —pensait-il — lui éviter (au moins temporairement) de basculer dans la folie... Ligoté à ses responsabilités conjugales et paternelles, Dick avait "une famille à nourrir" et devait continuer sur le rythme d'une demi-douzaine de romans à produire ou "fournir" chaque année... Depuis ses premières nouvelles, la magie noire de la "méthamphé" a fait le reste... C'est bien elle qui le fera disparaître (pancréas et cerveau totalement "cuits", reliefs assaisonnés aux vapeurs éthyliques) à l'âge de 53 ans.

Un cauchemar en treize chapitres décisifs... Où le fantasme gagne sans cesse du terrain, jusqu'à contaminer tout le réel. Et répétons-le : NE STRICTEMENT PAS REPRENDRE UNE DOSE A DEUX HEURES DU MATIN POUR ESSAYER DE SE RENDORMIR ! D'ailleurs, une seule imprudente mastication suffit pour le voyage sans retour... Ne parlons pas d'une seconde prise trop rapprochée ni d'une surdose qui "vertiginiserait" (définitivement) tous vos ressentis et détraquerait (pour toujours) la Flèche du Temps...

Mais lisez bien vite les magnifiques "papiers" de mes collègues en Dickolâtrie, ci-dessous : bien plus précis, fouillés, documentés que le mien, si vite expédié ! Mais vite, vite, une nouvelle dose de "métamphé"... Bon sang, voilà que quelqu'un — salaud qui ne pense qu'à me nuire — s'est encore servi dans MON armoire à pharmacie et en a gardé la clé ! Au secours !!!

NOTE : un précieux sésame pour une parfaite connaissance de la trajectoire existentielle parfaitement christique de son auteur ? Une dense biographie, extrêmement fluide et sans doute "définitive" dûe à un Universitaire de Minneapolis, Lawrence SUTIN. Ce magnifique essai [qu'on peut acquérir une misère, au prix de vente public de 10,30 €] s'intitule : "Invasions divines. Philip K. Dick, une vie" [1989, traduit de l'américain par Hélène Collon en 1995 pour le compte des éditions Denoël, collection Présence du futur" — réédité chez Gallimard pour leur collection "folio SF"] : travail découvert en anglais et immédiatement "vampirisé" par notre écrivain-chouchou national E. Carrère... Sorte de bon vieux D-Liss ingurgité par ce dernier, qui lui permit de régurgiter bientôt une "biographie romancée" [???] dickienne finement intitulée "Je suis vivant et vous êtes morts" [*], parue en 1993 et immédiat "succès de librairie"...

[*] ... réplique là aussi "piquée" à ce brave Runciter, prévenant fraternellement son employé Joe Chip dans le célèbre "Ubik" de l'an 1969...
Lien : http://fleuvlitterature.cana..
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"Le Dieu Venu du Centaure"...un des romans les plus réputés de Dick.

Il y décrit un monde mélancolique : la Terre est en proie à un réchauffement spectaculaire (80°C à New York à midi) mais les hommes s'y accrochent, même si l'ONU organise la colonisation d'autres mondes habitables, dont la lune et Mars...Ainsi, dans ce monde on n'essaye pas d'échapper au service militaire mais à l'affectation sur Mars. Car dans les colonies, la vie est inepte et monotone et les colons sont plus ou moins abandonnés à eux-même. Ils s'adonnent donc massivement à la drogue...

L'histoire de la confrontation entre Léo Buléro et Palmer Eldritch (le Dieu venu du Centaure, donc), pour le contrôle du marché de la drogue, n'est qu'un prétexte pour l'auteur...C'est assez souvent ce que je ressens à la lecture de Dick : une histoire qui n'est qu'un prétexte à mettre en forme ses obsessions, ses visions...Et je trouve que ce manque d'attention portée au "romanesque" même, se traduit dans son style (dialogues peu crédibles, personnages qui sont souvent un peu les mêmes)...mais c'est ce qui fait son charme.

Ici, on retrouve les sempiternelles questions sur la réalité (qu'est-elle ?) ainsi que le reflet des préoccupations religieuses de l'auteur, notamment sur l'existence d'un "dieu du mal", sur la réincarnation etc... On pourra également goûter la critique au vitriol de la société de consommation, et de la jouissance inepte qui l'accompagne...Dans cet univers, même l'évolution (au sens darwinien du terme) s'achète^^

On passe donc un bon moment avec ce roman, pour peu qu'on aime Dick, et si on ne le connait pas, on peut tout à fait le découvrir à travers ce Dieu venu du Centaure...
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Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
Je prendrai leur toxine, se dit-il, et j'irai devant les tribunaux poursuivre ces crapules pour les beaux yeux de Léo. Je lui dois bien ça. Mais je ne retournerai pas sur la Terre. Je me débrouillerai ici ou alors nulle part. Avec Anne Hawthorne, si possible, ou sinon tout seul, ou avec quelqu’un d'autre. Je vivrai selon la loi de Doberman, comme Faine l'a prédit. Mais n'importe comment ce sera ici, sur cette pauvre planète, cette "terre promise". Dès demain matin, se promit-il, je déblaierai le sable de cinquante mille siècles pour créer mon premier jardin potager. C'est par là qu'il faut commencer.
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Quelques instants plus tard, il se retrouva attaché sur l'une des deux tables avec Emily non loin de lui dans la même situation. Elle aussi semblait apeurée ; elle était pâle et ne disait rien.

— Vos glandes, expliqua le Dr Denkmal tout en se frottant jovialement les mains et en coulant en direction d'Emily des regards empreints de lubricité, seront stimulées, en particulier la glande de Kresy, qui contrôle le taux de l'évolution, « nicht wahr ? » Vous savez tout cela ; tous les écoliers le savent, car c'est enseigné maintenant dans le monde entier, ce que nous avons découvert ici. Aujourd'hui, ce que vous allez constater, ce n'est pas l'apparition de l'enveloppe chitineuse ou du bouclier cérébral ni la perte des ongles — vous ne saviez pas cela, je parie ! — mais seulement une légère quoique très importante modification de votre lobe frontal. Cela vous picotera un peu, c'est tout. Vous serez devenu plus intelligent.

A nouveau, il émit le même petit rire nerveux. Richard Hnatt, pieds et poings liés sur sa table, se sentait malheureux comme un chien promis à quelque inquiétante expérience. Quelle drôle d'entrée en matière, se dit-il lugubrement, puis il ferma les yeux.

[Philip K. DICK, "The Three Stigmata of Palmer Eldritch" / "Le dieu venu du Centaure", 1964 — traduit de l'américain par Guy Abadia pour le compte des éditions Opta (Paris), 1969 ; rééd. "J'AI LU", coll. SF, 1982 — chapitre 5, pages 88-89]
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Il a divorcé il y a deux ou trois ans et ne s’en est jamais remis. Vous comprenez, sa femme est tombée deux fois enceinte, et le conseil d’administration de son immeuble, le 33 si je ne m’abuse, s’est réuni pour voter leur expulsion, pour avoir enfreint le règlement des lieux. Bon, vous connaissez le 33 ; vous savez combien il est difficile d’accéder à des immeubles au numéro si bas. Eh bien, plutôt que d’abandonner son conapt, il a préféré demander le divorce et la laisser partir avec leur gosse.
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Barney Mayerson se réveilla la tête comme prise dans un étau, pour découvrir autour de lui une chambre inconnue, dans un immeuble de conapts qui ne lui disait absolument rien. À côté de lui, les couvertures remontées jusqu’à ses épaules nues, dormait une fille qu’il ne connaissait pas, la bouche entrouverte et la tête auréolée d’une cascade de cheveux d’un blanc cotonneux.
(incipit)
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Il traversa dans toute sa longueur le jardin qui lui avait été attribué, passant au milieu des feuilles dentelées dont aucune n’avait résisté aux attaques des micro-parasites locaux. S’il pouvait trouver une seule plante encore saine, cela suffirait à lui remonter le moral. Tous les insecticides de la Terre avaient échoué ici. Les parasites locaux prospéraient à merveille. Pendant dix mille ans ils avaient attendu, armés de patience, que quelqu’un s’avisât de faire pousser quelque chose.
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Avec : Serge Lehman, Olivier Paquet, Hervé de la Haye, Guilhem Modération : Caroline de Benedetti
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