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EAN : 9782282300580
160 pages
Denoël (29/12/1981)
3.71/5   7 notes
Résumé :

Qui sont ces gens que nous appelons " les sauvages " ? Comment réagissent-ils par rapport à nous ? Sommes-nous certains de les " voir " et de les comprendre ? Là réside l'essentiel de la recherche ethnologique de Michel Leiris. Elle le conduit à s'interroger sur le colonialisme et sur le racisme, sur le sens de la culture, à montrer la pluralité des civilisations. Comme chez Montaigne, la quête d'un homme total se s... >Voir plus
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Comment prétendre encore qu'à chaque race est lié un certain type de culture si l'on considère non seulement les noirs du continent africain mais ceux qui, au nombre de quelque trente-cinq millions, constituent aujourd'hui une partie de la population des deux Amériques et des Antilles ? Descendants d'Africains dont la transplantation et la dépossession d'eux-mêmes, entraînée par la terrible condition d'esclave, avaient bouleversé la culture de fond en comble, ils ont réussi à s'adapter à un milieu culturel pourtant très différent de celui dans lequel leurs ancêtres s'étaient formés et à fournir en bien des cas (malgré la force du préjugé dont ils sont les victimes) une contribution importante à la vie comme au rayonnement de cette civilisation dont les Occidentaux croyaient être les représentants sans rivaux : pour s'en tenir au domaine littéraire, il suffira de citer Aimé Césaire, nègre de la Martinique, actuellement l'un des plus grands poètes français, et Richard Wright, nègre du Mississippi, qu'on peut regarder comme un des plus talentueux parmi les romanciers américains.

L'histoire de l'Europe nous démontre, elle aussi, combien les peuples sont capables de changer dans leurs mœurs sans que leur composition raciale se soit modifiée sensiblement et combien, par conséquent, le « caractère national » est fluide. Qui reconnaîtrait, par exemple, dans les tranquilles fermiers scandinaves de notre temps des descendants de ces Vikings redoutés qui, au IXe siècle, déferlèrent par voie de mer sur une grande partie de l'Europe ? Et quel Français verrait des compatriotes dans les contemporains de Charles Martel, le vainqueur des Arabes à Poitiers (732), si la tradition nationale telle qu'elle se traduit aujourd'hui dans les enseignements de l'école ne lui avait appris à les tenir pour tels ? Il convient de rappeler également que, lorsque Jules César aborda sur les côtes de la Grande-Bretagne (52 av. J.-C), les Bretons faisaient à tel point figure de barbares que Cicéron, dans une lettre à son ami Atticus, lui déconseille de s'en procurer comme esclaves « tant ils sont stupides et incapables d'apprendre ».
(...)
Des exemples analogues de variabilité dans les aptitudes d'une même nation nous sont offerts par l'histoire des beaux-arts, où l'on voit tel pays briller un certain temps dans la musique, les arts plastiques ou l'architecture, puis, au moins pour plusieurs siècles, ne plus rien produire de marquant. Dira-t-on que c'est par suite de changements dans la répartition des gènes que les capacités en matière de beaux-arts sont sujettes à de telles fluctuations ?

Il est donc vain de chercher dans les données biologiques relatives à la race une explication des différences que l'on constate entre les réalisations culturelles auxquelles sont arrivés les divers peuples. (pp. 60-62)
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Aux caractères censément « primitifs » que les hommes de race blanche croient voir se manifester dans le physique des hommes de couleur (illusion naïve, car à l'égard de certains traits ce serait bien plutôt le blanc, avec ses lèvres minces et sa pilosité plus abondante, qui se rapprocherait des singes anthropoïdes) on a pensé que correspondait une infériorité d'ordre psychologique. Toutefois, ni les recherches des anthropologues portant sur des questions telles que le poids et la structure du cerveau pour les différentes races ni celles des psychologues visant à évaluer directement leurs capacités intellectuelles n'ont abouti à quoi que ce soit de probant.

On a pu constater, par exemple, que le cerveau des nègres pèse, en moyenne, un peu moins que celui des Européens, mais on ne peut rien conclure d'une différence aussi minime (d'ampleur bien moindre que les différences observables d'individu à individu au sein d'une même race) et le cas de certains grands hommes (dont le cerveau, pesé après leur mort, s'est révélé sensiblement plus léger que la moyenne) montre qu'à un cerveau plus lourd ne correspond pas nécessairement une plus grande intelligence.

Quant aux tests psychologiques, à mesure qu'on les a perfectionnés de manière à éliminer le plus possible les différences dues à l'environnement physique et à l'environnement social (soit l'influence exercée par l'état de santé, le milieu, l'éducation reçue, le degré d'enseignement, etc.), ils ont tendu à montrer la ressemblance foncière des caractères intellectuels entre les différents groupes humains. En aucune manière on ne saurait dire d'une race qu'elle est plus (ou moins) « intelligente » qu'une autre ; si l'on peut, assurément, constater qu'un individu appartenant à un groupe pauvre et isolé — ou à une classe sociale inférieure — se trouve handicapé par rapport aux membres d'un groupe vivant dans des conditions économiques meilleures (telles que, par exemple, on n'y est pas sous-alimenté ou placé dans des conditions insalubres et qu'on y bénéficie de plus de stimulation), cela ne prouve rien quant aux aptitudes dont il pourrait témoigner dans un milieu plus favorable.

De même, quand on a cru observer chez les prétendus « primitifs » une supériorité sur les « civilisés » dans le domaine des perceptions sensorielles — supériorité conçue comme une manière de corollaire à leur infériorité présumée dans le domaine intellectuel — on a conclu trop vite et négligé de faire la part de l'éducation perceptive : celui qui vit, par exemple, dans un milieu où la chasse et la collecte des végétaux sauvages constituent la principale ressource alimentaire acquiert, sur le civilisé, une supériorité notable dans l'art d'interpréter des impressions visuelles, auditives, olfactives, dans l'habileté à s'orienter, etc. Là encore, ce qui joue est le facteur culturel plutôt que le facteur racial.

Enfin, toutes les recherches sur le caractère ont été impuissantes à démontrer qu'il relève de la race : dans tous les groupes ethniques on trouve des types très divers de caractères, et il n'y a aucune raison de penser que tel ou tel de ces groupes aurait pour lot une plus grande uniformité à ce point de vue. (pp. 28-30)
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Une confusion du même ordre, exploitée de la façon que l'on sait par la propagande raciste, s'est opérée à propos des « Aryens » : quoi qu'en ait dit le comte de Gobineau (qui fut, avec son Essai sur l'inégalité des races humaines paru en 1853-1857, l'un des premiers propagateurs de l'idée de la supériorité nordique), il n'y a pas de race aryenne ; on peut seulement inférer l'existence, au IIe millénaire avant notre ère, dans les steppes qui couvrent le Turkestan et la Russie méridionale, d'un groupe de peuples doués d'une culture et d'une langue communes, l'indo-européen, d'où dérivent entre autres langues le sanscrit, le grec ancien et le latin, ainsi que la plupart des langues parlées aujourd'hui en Europe, car l'expansion et l'influence de ces peuples ont intéressé une aire d'une ampleur considérable. De toute évidence, le fait d'avoir une langue commune ne signifie pas qu'on est de la même race : ce n'est pas l'hérédité biologique mais l'éducation reçue qui fait que l'un parlera chinois alors que d'autres parleront anglais, arabe ou russe. Nul besoin d'insister sur les ravages auxquels l'idée d'une supériorité congénitale de la prétendue « race aryenne » a servi de prétexte.

Une autre confusion, qui ne semble malheureusement pas près d'être dissipée, est celle qu'on commet à propos des juifs, regardés eux aussi comme constituant une race, alors qu'on ne peut les définir que d'un point de vue confessionnel (appartenance à la religion judaïque) et, tout au plus, d'un point de vue culturel (étant entendu que la ségrégation dont pendant des siècles ils ont été l'objet de la part de la chrétienté et l'ostracisme auquel ils sont encore plus ou moins en butte dans de nombreuses régions du monde ont forcément tendu à maintenir, chez les juifs des différents pays, certaines façons d'être communes qui ne ressortissent pas au domaine religieux). Les Hébreux étaient, à l'origine, des pasteurs de langue sémitique, comme les actuels Arabes ; très tôt, ils se mêlèrent à d'autres peuples du Proche-Orient, y compris les Hittites de langue indo-européenne, et subirent des vicissitudes telles que le séjour en Égypte auquel mit fin l'Exode (II° millénaire av. J.-C), la Captivité de Babylone (VIe siècle av. J.-C), puis la conquête romaine, épisodes qui les amenèrent à de nombreux mélanges, avant même la Diaspora ou dispersion dans tout l'Empire romain, qui suivit la destruction de Jérusalem par Titus (70 apr. J.-C). Dans l'antiquité, le peuple juif comprenait, semble-t-il, à peu près les mêmes éléments raciaux que les Grecs des îles et de l'Asie-Mineure. Aujourd'hui, les juifs sont si peu définissables au point de vue anthropologique — en dépit de l'existence d'un prétendu « type juif », distinct d'ailleurs pour les ashkenazim ou juifs du Nord et les sephardim ou juifs du Sud — que les nazis eux-mêmes (pour ne rien dire du recours à des insignes spéciaux) ont dû s'en remettre au critère religieux comme moyen d'opérer la discrimination : était considéré comme de race juive celui dont la généalogie révélait qu'il avait parmi ses ascendants le nombre voulu d'adeptes du judaïsme.

Telles sont les inconséquences de doctrines comme le racisme, qui n'hésitent pas à forcer les données scientifiques et celles même de l'élémentaire bon sens selon les besoins politiques de leurs tenants. (pp. 20-22)
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Michel Leiris, écrivain et ethnologue, auteur de L'Âge d'homme et de l'autobiographie en quatre volumes, La Règle du jeu, appartenait à la génération fortement marquée par la Première Guerre mondiale et ses conséquences. Dès les années 1920, il s'engagea dans une démarche critique qui mettait en cause les fondements philosophiques du monde occidental. Il contestait la rationalité considérée comme le principe fondamental d'organisation de la société moderne et explorait les forces motrices irrationnelles et les courants sous-jacents. En recourant à la notion de « merveilleux », qui dans ses écrits littéraires et ethnographiques devient un outil d'analyse, Leiris explore « l'au-delà ».
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Bonnes lectures !
Crédit : école EMC, la prise de son, d'image et montage vidéo
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