Rebondissement dans l'affaire Griaule.
Dans « Dieu d'eau »,
Marcel Griaule ne parle pas à la première personne, il se met en scène : l'étranger,
Le Blanc, l'Européen. Et a recours à un interprète. de là à présenter une vision personnelle faussée, il n'y a qu'un pas et on lui a reproché sa vulgarisation : Griaule a voulu donner une image concernant tous les aspects de la culture dogon, dépouillé du langage scientifique, et bien que sa fille Jacqueline
Calame-Griaule atteste de son honnêteté, beaucoup ont dénoncé son côté égocentrique plus que scientifique.
Dans ces entretiens avec un sage aveugle, il mêle anthropologie et littérature, ce qui a fait son succès et a fait connaitre la culture dogon, mais, par ailleurs, a suscité de nombreuses critiques.
La plupart des ethnologues porte un regard critique sur Dieu d'eau, en France comme à l'étranger. Ils reprochent à son auteur d'avoir occulté l'histoire, le politique, la réalité sociale, le contexte de l'enquête et la diversité des discours pour construire, à partir d'un simple dialogue, une cosmogonie ou un système de pensée figé et homogène qui serviraient de référence à l'ensemble de la société dogon.
D'être parti en roue libre.
On peut aussi lui reprocher ce que
Michel Leiris note au cours de leur Mission commune de 1931 à1934, de Dakar à Djibouti, lorsqu'il en est le « secrétaire-archiviste » : les vols, répétés, nocturnes, d'objets souvent religieux.
Un arrêté émanant du Ministère des colonies avait bien accordé « un permis de capture scientifique, valable pendant toute la durée de son voyage pour l'ensemble des Colonies de l'Afrique Occidentale Française à M.
Marcel Griaule, chargé de mission”, ce qui revient à légaliser les pillages.
Cependant, cette « capture » se monte à 3 600 objets, plus de 300 amulettes et manuscrits éthiopiens, et
Leiris dans «
l'Afrique fantôme » note :
“On pille des Nègres, sous prétexte d'apprendre aux gens à les connaître et les aimer ».
Griaule décide, en plus de ses privilèges, de voler pendant la nuit, et utilise les menaces, les extorsions et la corruption pour enrichir son butin.
“Nous partons en hâte, au milieu de l'ébahissement général et parés d'une auréole de démons ou de salauds particulièrement puissants et osés. […] nous déballons notre butin : c'est un énorme masque à forme vaguement animale, malheureusement détérioré, mais entièrement recouvert d'une croûte de sang coagulé, qui lui confère la majesté que le sang confère à toutes choses”, raconte
Leiris.
Bien évidemment, la parution du journal de bord de l'expédition, sous le nom suggéré par
Malraux :
L'Afrique fantôme, est fort mal vu par Griaule, qui n'a pas, on le comprend, envie de se faire traiter de voleur.
Il faut lire au moins l'introduction dans laquelle
Michel Leiris, avec un phrasé proustien, met de plus en question son action même et ses illusions de Blanc voulant pénétrer dans l'âme noire, et la notion même d'ethnologie :
« Il n'y a pas d'ethnographie ni d'exotisme qui tiennent devant la gravité des questions posées, sur le plan social, par l'aménagement du monde moderne et que, si le contact entre hommes nés sous des climats très différents n'est pas un mythe, c'est dans l'exacte mesure où il peut se réaliser par le travail en commun contre ceux qui, dans la société capitaliste de notre XX siècle, sont les représentants de l'ancien esclavagisme. (Et toc, prends ça, Griaule)