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EAN : 9782020107136
118 pages
Seuil (01/05/1989)
5/5   2 notes
Résumé :
Ce compte rendu d'un livre jamais écrit par un auteur qui n'a jamais existé sur le meurtre des Juifs européens par les nazis est suivi d'une autobiographie où l'écrivain polonais retrace son itinéraire intellectuel.
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Recueil de deux textes traduits à la fin des années 80 et parus au Seuil. Dans le second texte, Réflexions sur ma vie, qui s'étend sur une trentaine de pages, Stanislas Lem se livre à un exercice autobiographique où il revient d'abord sur quelques événements marquants de son enfance et de son adolescence en Pologne (rappelons l'année de naissance de l'auteur : 1921), moments susceptibles d'illustrer l'apparente oscillation entre hasard et ordre (ou coïncidence et prédestination) du cours de la vie : « Faut-il considérer uniquement comme une série de hasards les multiples facteurs qui sont à l'origine de ma venue au monde, qui m'ont permis de survivre après avoir côtoyé la mort à plusieurs reprises et de devenir un écrivain (…) ? Ou bien tout cela était-il en quelque sorte prédéterminé, non comme la Moïra chère aux Anciens ni comme une destinée inscrite sur mon front dès la naissance, mais plutôt comme une forme embryonnaire présente en moi dès le début, dans mon héritage génétique, une sorte de prédestination au sens où peuvent l'entendre un agnostique et un empiriste ? » (p. 81).
Lem tranchera ainsi : « Peut-on dire que ce qui apparaît comme une sorte de prémonition est le résultat d'une série de hasards, une pure coïncidence ? Personnellement, j'en suis convaincu. Je ne crois pas à la fatalité ni à la prédestination. Plutôt qu'à l'harmonie préétablie, mes expérience personnelles me feraient croire à une sorte de « disharmonie préétablie » s'achevant par le chaos et la folie » (p. 86).
Dans ce texte écrit en 1983, Stanislam Lem se livre ensuite à une critique sans complaisance de sa propre production littéraire tout en s'attachant - au regard de son parcours - à tenter d'expliquer les raisons qui l'ont poussé à écrire de la science-fiction. À la « lumière » de la guerre, de l'occupation allemande et de « la terrible précarité de la vie humaine au moment du génocide », il avance notamment l'hypothèse suivante : « L'époque moderne a pulvérisé, fait exploser toutes les conventions narratives qui régissaient autrefois la littérature. (…) J'ignore si ce fut cette espèce d'inadéquation narrative qui me poussa à écrire de la science-fiction, mais je suppose - quoiqu'il s'agisse là d'une hypothèse assez audacieuse - que la science-fiction m'a attiré parce qu'elle parle des humains en tant qu'espèce (ou plutôt de toutes les espèces de créatures intelligentes, y compris de l'être humain) » (p. 95). Ce passage permet de mieux appréhender les audaces spéculatives du premier texte de ce recueil, Provocation, si l'on évoque également l'ascendance juive de Lem et de sa famille, ascendance dont il ignorait d'ailleurs tout étant enfant : « Ce fut donc à strictement parler la législation nazie qui m'apprit que j'avais du sang juif dans les veines » (p. 84). Munie de faux papiers, la famille put rester en dehors du ghetto de Lvov et survécut « tant bien que mal à l'épreuve » (ce qui ne fut pas le cas des amis du jeune Lem, qui « tous ou presque finirent dans les fours crématoires de Belzec à la fin de l'année 1942 », p. 93).
Le premier texte du recueil, Provocation, est le compte rendu d'un ouvrage imaginaire écrit par un auteur n'ayant jamais existé (ce qui est indiqué au lecteur de l'édition française en 4e de couverture). Aucune information n'étant donnée sur le narrateur/auteur de ce compte rendu, la confusion - en fonction des circonstances de lecture - peut être totale (ce sur quoi revient Stanislas Lem dans le second texte, Réflexions sur ma vie, évoquant les « historiens professionnels qui ont pris cette fiction pour la critique d'un ouvrage authentique », quelques-uns ayant « même essayé de se procurer le « livre »... »). L'ouvrage en question est présenté comme une « histoire du génocide » écrite par un docteur en philosophie, historien et anthropologue allemand, Horst Aspernic, dans le but de « provoquer une véritable révolution dans l'anthropologie du mal ». Il a pour titre le Génocide et est composé de deux parties : « I - La solution finale comme rédemption ; II - La mort, corps étranger (Göttingen, 1980) ». (Stanislas Lem a ainsi écrit un certain nombre de critiques imaginaires (voir Bibliothèque du XXIe siècle, Seuil, 1989) - mais on peut également penser à toute la littérature solaristique dans laquelle Kris Kelvin se réfugie lors de ses retraites à la bibliothèque de la station spatiale, littérature qui constitue une part importante du roman Solaris.)
Sans entrer dans le détail de l'argumentation (substance même du récit), qui vise à troubler - voire angoisser - le lecteur (et qui y parvient - en tout cas pour moi - grâce, en partie, au dispositif narratif : la distance minimale instaurée entre le narrateur et le propos dont il rend compte (à l'aide d'incises du type « aux dires de notre auteur », de périphrases comme « l'auteur de Génocide », d'extraits de l'ouvrage cités entre guillemets...) octroyant à ce propos une certaine objectivité tout en donnant l'impression - c'est l'effet de la distance dite « minimale » : le narrateur est ici parlé, mais par qui, ou par quoi ? - d'une sorte de playback narratif à la « Silencio » (David Lynch)), sans entrer dans le détail de l'argumentation donc, on peut en indiquer quelques éléments : à la différence des génocides perpétrés dans l'antiquité puis dans le monde dit chrétien, le génocide moderne (XXe siècle) aurait pour particularité de passer son mobile sous silence et, en ce qui concerne l'Allemagne nazie, de n'apporter aucun avantage notable, voire de représenter « une perte matérielle et culturelle indéniable » (p. 13). D'où les premières questions qui orientent la réflexion d'Aspernic : qu'est-ce qui « justifie » le génocide des juifs d'Europe aux yeux des nazis ? Comment l'expliquer alors que d'autres « solutions » étaient possibles ? (Encore une fois, je n'entre pas dans le détail de l'argumentation, notamment économique, assez sordide mais, jeu des renvois, je repense à l'instant à La question humaine, le film de Nicolas Klotz tiré du récit de François Emmanuel, qui pourrait entrer en résonance avec le livre de Stanislas Lem.)
Les questions soulevées par Aspernic vont l'entraîner à interroger le « phénomène nazi » en tant que tel* ; puis à formuler, à la fin de sa première partie, une hypothèse sur le « mobile » du génocide des juifs d'Europe ; à élargir enfin son questionnement au terrorisme et, suivant « ce petit jeu nihiliste inauguré par la paranoïa du nazisme », à la place de la mort dans la culture au XXe siècle.
(* je conseille ici Qu'est-ce que le nazisme ? de l'historien Ian Kershaw, lecture exigeante et cependant abordable pour les non-historiens, dont je suis.)
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Vidéo de Stanislas Lem
Extrait du livre audio « le Congrès de futurologie » de Stanislas Lem, traduit par Dominique Sila, Anna Labedzka, lu par Frédéric Souterelle. Parution numérique le 24 avril 2024.
https://www.audiolib.fr/livre/le-congres-de-futurologie-9791035415150/
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