Elle avait même, sous le couvert de la plaisanterie, employé le mot narcissique. L’adjectif l’avait heurté. Il se considérait comme un homme qui accomplissait un travail ingrat, tout le contraire d’un bellâtre s’admirant dans une mare. Geneviève avait précisé sa pensée : son rôle de protecteur, endossé d’abord envers sa mère, puis envers la société, n’était pas désintéressé, mais plutôt le reflet d’un besoin d’amour et de considération. Ce rôle lui pesait, l’alourdissait. S’il voulait être heureux, libre d’aimer, il devait se libérer de cette ombre.
Pour lutter contre le sommeil et se donner du courage, il se représentait la mobilisation de son organisme. Son cerveau et ses reins avaient depuis longtemps sonné le branle-bas de combat. Ses vaisseaux périphériques se contractaient pour concentrer le sang vers les organes centraux. Son hypophyse sécrétait des flots d’hormone antidiurétique, ses surrénales, de l’épinéphrine et du cortisol. Ses reins concentraient l’urine pour maintenir la circulation et la tension artérielle. Son foie relâchait du sucre à partir de ses réserves de glycogène. Malgré tout, il brûlait déjà ses protéines, comme un locataire qui jette le mobilier au feu pour se chauffer.
Surprenant se laissait guider par ses intuitions et cherchait chez tout suspect la faille, le défaut dans l’armure qui lui permettrait, en plus de résoudre son affaire, d’approfondir sa connaissance de l’âme humaine et, accessoirement, de combattre ses propres démons. Par ailleurs, après plus de deux ans de collaboration, Surprenant avait appris à apprécier son collègue. À défaut d’être imaginatif, Santerre était honnête. Au contact de Surprenant, l’Orignal commençait même, de façon quasi émouvante, à émailler son discours d’observations qui pouvaient ressembler à de l’humour.
La mort de Jonathan n’était peut-être pas un accident mais un meurtre prémédité. Le corps ne portait pas de signes de sévices sexuels, mais le séjour dans l’eau avait limité la portée de l’autopsie. Il lui avait demandé à deux ou trois reprises de faire un remue-méninges : se laisser aller à des associations libres, penser à des voisins, à des entraîneurs, à des professeurs, voire à de la parenté. Est-ce que quelqu’un, dans son entourage, lui paraissait louche ?
Quand on hésite, il se crée une forme de vide, de sensation désagréable, qu’on nie ou qu’on fuit. J’ai malgré tout continué à hésiter, jusqu’au moment où j’ai conclu qu’il ne servait à rien de remuer les cendres.
Le mort du chemin des Arsène
À regarder pour un avant-goût du tout dernier polar de Jean Lemieux, Le mort du chemin des Arsène, publié aux éditions de la courte échelle.