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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Family Tree Volume 1: Sapling (épisodes 1 à 4) qu'il faut avoir lu avant. Celui-ci comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2020, écrits par Jeff Lemire, dessinés par Phil Hester, encrés par Eric Gapstur et mis en couleurs par Ryan Cody, avec un lettrage réalisé par Steve Wands.

Loretta Hayes repense à cette fameuse journée de 1997 quand elle était à la caisse en train de passer les articles de monsieur Stone et que ce dernier la rabrouait pour être sûr qu'elle mette bien la viande dans un sac à part, et surtout pas avec les légumes, pas comme la semaine dernière où il avait retrouvé le poulet avec les brocolis. Elle constate à quel point elle n'avait alors qu'à se préoccuper de petits détails ennuyants. Elle repense aussi à la journée de 1995 où elle était rentrée chez elle, avec sa fille Meg souhaitant lui montrer quelque chose là maintenant tout de suite. C'est ce moment-là que son mari Darcy avait choisi pour lui dire qu'il devait repartir au boulot, et qu'elle devait s'occuper des enfants toute seule. Meg était montée à l'étage et avait rejoint son grand frère Joshua dans sa chambre pour qu'il se racontent des histoires avec leurs jouets. Au temps présent, Loretta se trouve sur la banquette arrière d'une voiture avec sa fille Meg évanouie dans ses bras. Sur le siège passager se trouve son fils Joshua. La voiture est conduite par la docteure qui leur demande d'éviter de se disputer : elle doit se concentrer parce que ça fait longtemps qu'elle n'a pas conduit. À l'arrière, Meg reprend connaissance : sa mère lui dit que tout va bien se passer et qu'ils vont trouver de l'aide. Sa fille lui répond qu'il n'y a pas d'aide, mais que son père dit qu'elle va aller bien. Sa mère prend un air triste, supposant que sa fille est troublée par ce qui lui arrive. Meg ajoute qu'elle était avec son père Darcy, à l'intérieur d'un arbre-maison. Elle ajoute que son père sait que sa femme est fâchée avec lui, mais qu'il devait partir. Elle reperd connaissance.

Joshua demande à la docteure comment son grand-père Judd a pu la trouver, si elle est une sorcière, ou un docteur comme docteur Strange. Elle ne comprend pas la référence et assure qu'elle est un vrai médecin. C'est au tour de Loretta de demander le silence car Meg vient de se rendormir. Joshua demande si c'est une bonne chose, s'il ne faut pas au contraire faire en sorte qu'elle reste éveillée. Sa mère répond qu'il confond avec les traumatismes crâniens. Joshua dit que ce n'est pas sa faute, sa mère le rassure car elle n'a jamais pensé ça. Son fils l'interrompt et pointe du doigt les pieds de sa soeur : des racines y ont poussé. La docteure ne pensait pas que ce stade se produirait aussi vite. Elle arrête la voiture sur le bas-côté, indiquant qu'il faut en sortir Meg au plus vite. Joshua porte sa soeur et ils descendent le talus pour aller vers les arbres. Il dépose sa soeur à terre. Loretta demande à la docteure si elle peut l'aider. Cette dernière répond que les choses sont allées trop loin pour ça, que c'est le commencement, le commencement du grand retour.

Le lecteur retrouve les personnages, sans difficulté pour se souvenir de qui ils sont et de quel est l'enjeu du récit. Des individus se transforment en arbre, l'épidémie n'est pas encore certaine, mais elle a été annoncée comme inéluctable, et une mère essaye de sauver sa fille. Il y a aussi un groupe de fous furieux dénommés les arboristes qui essayent de supprimer les individus transformés en arbre pour éviter que l'épidémie ne se propage, et peut-être pour d'autres raisons moins avouables. le récit reprend au moment où il s'était arrêté dans le tome précédent : en pleine course-poursuite. Loretta Hayes et les autres ont réussi à fuir, mais l'état de sa fille Meggan empire, et la maladie semble avoir déjà gagné, en la transformant en arbre. Les fuyards sont contraints de s'arrêter et il est à craindre qu'ils ne soient alors rattrapés. L'artiste n'a rien changé dans sa manière de dessiner : des traits de contour irréguliers, dont l'épaisseur varie de très fin à très épais, avec des aplats de noir aux formes biscornues. Cela donne une description parfois un peu simplifiée où l'impression produite compte plus que le niveau de détail. Les traits des personnages semblent parfois taillés au burin, pour un effet brut de décoffrage, chaque individu semblant marqué et usé par la dureté de la vie, des épreuves qu'il a pu traverser (par exemple pour le grand père Judd Hayes) ou par la méchanceté de son caractère (pour les arboristes). Ryan Cody respecte les traits de Hester, ne les adoucissant pas, ne les lissant pas. Cette approche a également pour effet de mettre sur un même plan visuel les éléments normaux et banals et les éléments relevant du fantastique comme cette transformation en arbre, les 2 facettes coexistant sans solution de continuité.

Malgré cette apparence très crue des dessins, le dessinateur et l'encreur insèrent des détails dans chaque scène : les produits sur les étagères du supermarché, les jouets dans la chambre de Meggan, les arbres de la forêt que longe la highway, les autres clients dans le bar où Darcy Hayes retrouve son père Judd, les déchets dans l'impasse en bas de l'appartement où Judd est séquestré, le bâtiment de la station-service, etc. Cette même apparence permet également de donner une apparence torturée à l'arbre que devient Meggan, apportant une sensibilité horrifique qui n'est pas de l'horreur corporelle, mais bien la souffrance qu'elle donne l'impression d'endurer dans cette transformation contre nature. La course-poursuite arrive à son terme à la fin du dernier épisode, et le lecteur se dit que ce tome se lisait très vite, avec finalement peu de contenu, à l'instar du tome précédent. En plus, celui-ci ne contient à nouveau que 4 épisodes, par comparaison aux 6 habituels dans les recueils constitués à base de comics mensuels.

En jetant un coup d'oeil après coup à ce qu'il a lu avant de reposer ce tome dans sa bibliothèque ou dans une pile, le lecteur se rappelle qu'il y avait un peu plus que cette course-poursuite s'achevant dans un affrontement lui aussi cru et bien raconté. Ça commence dès la première page avec ce retour en arrière au 14 mas 1997 avec ce client revêche mécontent de la qualité de service de Loretta en tant que caissière. Puis la scène bascule à nouveau en arrière, sans prévenir, pour évoquer les circonstances du départ de Darcy du foyer familial. Puis en début d'épisode 6, ce père de famille retrouve son propre père dans un bar, et lui avoue avoir abandonné sa famille, et avoir contracté la maladie de l'arbre. Ce n'est ni une surprise, ni une découverte pour le lecteur car ces informations étaient déjà présentes dans le premier tome. Il y voit une technique narrative éprouvée : raconter les événements dans un désordre chronologique afin d'apporter un rythme différent et plus intéressant au récit, et faire en sorte que les événements se répondent entre eux, tout en ménageant du suspense. Dans ces moments-là, le lecteur remarque que les dessins peu apprêtés transcrivent bien les émotions naturelles des personnages, générant un bon niveau d'empathie chez le lecteur.

Le lecteur se souvient également du passage toujours étrange dans une sorte de dimension spirituelle, quand Meggan ayant perdu connaissance dans la voiture, discute avec une femme âgée. Là aussi les caractéristiques des dessins permettent de faire passer ce plan astral, sans exiger plus de suspension d'incrédulité consentie du lecteur. En revanche, ce dernier sent bien que ce passage n'apporte rien de plus que ce qui avait déjà été montré dans le premier tome. Il est plus surpris par les deux dernières pages de l'épisode 5, avec un saut dans le futur de quelques années, fil narratif qui se poursuit dans l'épisode 7. Non seulement le scénariste a clairement indiqué que ces scènes se déroulent 5 ans dans le futur, mais en plus la luminosité est plus claire, plus ensoleillée, créant un fort contraste avec la grisaille du temps présent. le lecteur comprend bien qu'il s'agit de l'état du monde après l'épidémie. Cependant ces deux séquences ne comprennent pas beaucoup d'informations, et il est encore trop tôt pour se sentir complètement accroché par ce fil narratif.

Ce deuxième tome fait avancer l'histoire, la course-poursuite parvenant à son dénouement, avec une narration visuelle sèche et rugueuse, adaptée à la nature du récit. Mais le lecteur ne se sent pas entièrement rassasié. Pour commencer, 4 épisodes, c'est court. Ensuite la lecture est vraiment rapide. Il faut réussir à prendre du recul pour se rendre compte que les auteurs en ont raconté plus qu'il n'y paraît. Même si la distribution de personnages est relativement limitée (Loretta, Meg, Joshua, la docteure, Judd, Darcy, la ménagère à la tête des arboristes), le lecteur en apprend plus sur leurs relations, sur leur vie commune. Ensuite, même si la course-poursuite constitue le fil narratif principal, il y en a d'autres et ils présentent un intérêt, à commencer par ceux du passé. Durant ceux-là, Jeff Lemire fait ce qu'il réussit à chaque fois : développer les liens familiaux, les tensions familiales également, les conséquences des choix et des actes des parents sur les enfants. Enfin, il agite sous le nez du lecteur deux scènes dans le futur qui semblent, pour le moment, confirmer que les arboristes n'ont pas le beau rôle, mais qui dispensent finalement très peu d'informations. Entre un deuxième tome insuffisant, et des promesses pour la suite.
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