Il est banal d'affirmer que la question de
Jérusalem est un des obstacles majeurs aux négociations de paix, que nul n'est prêt à renoncer à la ville sainte pour capitale, et que le partage de la ville, retour à la situation d'avant 1967 serait impossible .
Pourtant, l'auteur l'affirme,
Jérusalem n'a pas toujours été le champ de bataille où s'affrontent Juifs et Palestiniens. Une autre histoire, oubliée, s'est déroulée à l'orée du XXème siècle:"
Jérusalem 1900 - la ville sainte à l'âge des possibles". Au tournant du siècle, une municipalité réunissait musulmans, chrétiens et juifs sous l'empire ottoman la cité, pour gérer les adductions d'eau, la voirie, la santé publique, pour moderniser l'urbanisme d'une ville en expansion qui voyait sa population quitter les murailles de Soliman et s'étendre dans les quartiers de la ville nouvelle. La population, toutes confessions confondues, se massait à l'inauguration de la gare, ou d'une fontaine publique, ou de la Tour de l'Horloge. Il y eut même une révolution en 1908 avec le rétablissement de la constitution ottomane, "on s'appelle frère, on s'embrasse, on jure fidélité à la devise jeune-turque "Liberté, égalité, justice, fraternité".
jérusalemJérusalem n'était donc nullement "une province reculée sans loi ni administration. La vie s'y déroulait, dans le carcan de la tradition et au rythme du chameau" comme l'a écrit
Tom Segev, distingué historien israélien.
Pourquoi cette histoire a-t-elle été occultée? C'est le propos de l'ouvrage de
Vincent Lemire qui administre une magistrale leçon d'histoire.
Il commence par commenter les cartes de
Jérusalem communément présentées avec une ville divisée en quatre quartiers correspondant chacun à une communauté: Musulmans, Chrétiens, Arméniens et Juifs. Dans le premier chapitre "Le dessous des cartes" il démontre que ces cartes ne correspondent aucunement au peuplement réel de la ville. Elles seraient plutôt des "cartes touristiques" destinées au pèlerins cherchant les lieux saints dans la vieille ville. Les autochtones utilisaient une toponymie tout à fait différente de celle que présente ces cartes aux 4 quartiers. L'analyse des recensements montre au contraire une grande mixité dans chacun de ces quartiers. Il compare cette utilisation des cartes à celle des plans que les offices de tourisme distribuent aux touristes Chinois ou Japonais à Paris. le manque de sérieux correspond-il à un présupposé idéologique privilégiant la séparation des communautés?
Le 2ème chapitre montre comment s'est construite la ville-musée à destination des pèlerins au cours du19ème siècle. Étrange invention d'une tombe du jardin - Saint Sépulcre-bis par les Protestants, privés de garde dans le vrai. Archéologie approximative : dans les fouilles du prétoire ou de la via Dolorosa, des monnaies du 2ème siècle après JC trouvées sous les dalles ne troublant pas la foi des croyants.
Ce chapitre reprend les écrits des écrivains-voyageurs. Il s'ouvre sur une citation de
Pierre Loti qui "tourne le dos à la ville moderne" qu'il a découverte du chemin de fer. le réflexe folklorisant chez les pèlerins, les touristes et les écrivains n'a rien d'étonnant. Ils viennent chercher les Lieux saints qu'ils connaissent ou croient connaître. Déjà
Chateaubriand en 1811 a ce regard empreint de préjugés, vision morbide quand il décrit ce boucher arabe :" à l'air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés, vous croiriez qu'il vient plutôt de tuer son semblable que d'immoler un agneau", cette scène renvoie à l'idée d'une cité-déicide.
Reconstruire l'histoire de
Jérusalem à la lecture des écrivains romantiques est certes plus facile que de consulter les archives écrites en ottoman - graphie et même langue qui a disparu depuis Kémal Atatürk. La perception de l'histoire de
Jérusalem doit beaucoup à ces préjugés. L'historien qui s'attache aux sources fiables fait des découvertes très différentes. Même quand il s'agit des lieux saints d'hybridation entre les différentes confessions est courante. L'enchevêtrement entre les traditions religieuses culmine quand il s'agit de la Tombe de David au sommet du Mont Sion, où les Franciscains sont expulsés en 1624 ; leur église est remplacée pour une mosquée entretenant le souvenir de Nebi Daoud, le "prophète juif". Étrange homophonie entre le nom du Roi Salomon et de Suleyman l'ottoman qui conquit la ville!
Il est aussi important de situer l'histoire de la ville dans le contexte de l'empire ottoman, qui n'était peut être pas aussi décadent qu'on a bien voulu l'affirmer "l'homme malade" . La Palestine était loin d'être "une terre sans peuple" et sans administration. "Orientalisme occidental, sionisme et nationalisme arabe se sont paradoxalement donné la main pour enterrer l'histoire de la Palestine et de la
Jérusalem ottomane sous une "légende noire" qu'il est aujourd'hui urgent de revisiter.
L'auteur livre une galerie de portraits d'administrateurs compétents, polyglottes, modernes qui contraste avec les préjugés. Il détaille l'action municipale. Quoi de plus symbolique que cette horloge de 25m construite hors les murs en face de la Mairie neuve qui devait donner l'heure universelle alors qu'autrefois le muezzin, les cloches ou le chofar réglaient les prières des fidèles des confessions diverses!
Un livre passionnant, peut être un pas vers une histoire partagée, et une autre vision politique?
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