Millet envoie un pan de lande grand comme un champ de bataille. Figurez-vous de la terre, rien que de la terre, groupée en mottes quasiment sculptées le long d’un talus, et, dans un bout de sillon inachevé, la silhouette d’une charrue. Brune au premier plan et rosée plus loin, la lande s’argente aux crêtes de l’aigre clarté du ciel. Je ne connais pas de paysage plus empoignant que ce morceau de glèbe poussé aux brumes de Novembre et pétri massivement dans une facture où l’on croit voir se marteler des coups de sabots. Humide et gras, le champ se repose comme une femme après ses couches. Tout en haut, un arbre ébouriffe ses branches maigres, et des perdreaux reçoivent en fuyant le plomb du chasseur.
Je dis aux artistes : Soyez de votre siècle.
Il vous appartient d’être les historiens de votre temps, de le raconter tel que vous le voyez, de l’exprimer tel que vous le sentez, sous toutes ses faces, sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations, à travers ses vicissitudes et ses grandeurs.
Je ne sais rien de plus grand, de plus émouvant, de plus digne de nous et de l’avenir que le récit vivant, palpitant, saignant, avec tous les pleurs, tous les rires, tous les enthousiasmes et toutes les folies, de la vie telle que nous la vivons d’âme et de corps, de mœurs et d’habitudes, pleine de frissons, de colères, de douleurs, d’aspirations, de haines et d’amours.
Courbet apparaît à l'heure trouble où, les genèses étant encore latentes, on touchait à l'avenir par les aspirations et au passé par l'imitation. Des cerveaux bouillonnaient, isolément, à travers des ardeurs de recherches; isolément, à travers des ardeurs de recherche; une fermentation sourde signalait le travail des gestations, et quelque chose se préparait qui était l'idéal nouveau.
Vidéo de Camille Lemonnier