Généalogie de la morale familiale

Le pouvoir constituant du langage et des schèmes de perception et de
pensée qu’il fournit se donne, en effet, particulièrement bien à voir dans les
métaphores familiales des structures politiques. Celles-ci sont devenues des
figures de rhétorique qui, par les combinaisons logiques qu’elles
comportent, établissent comme « naturelles » des homologies ramenant des
différences à des ressemblances et la diversité à l’unité. En faisant
correspondre entre eux des objets relevant d’univers distincts, le mode de
pensée analogique suggère ainsi, mais de manière implicite, des principes
de cohérence et de cohésion par les assemblages qu’il opère. Ces procédés
linguistiques d’assimilation, fondés sur des ressemblances qui sont à la
portée de la pensée commune, participent de l’entreprise d’intégration, à la
fois logique et morale, à laquelle procède tout ordre social. Par les
connexions et les liaisons qu’ils opèrent, ils contribuent à unifier et à
universaliser le sens de ces associations et, par là, le mode même de
l’association et le consensus qu’il suppose. Les métaphores sont ainsi de
véritables modes de pensée institués dans et par le langage, dans et par les
représentations que ce dernier véhicule et dont il porte indéfectiblement la
marque : notamment elles organisent et hiérarchisent, ainsi, tous les
éléments de la vie sociale

Les métaphores familiales des structures politiques telles qu’elles sont
encore employées aujourd’hui trouvent l’essentiel de leur fondement dans
les stratégies des chefs de famille aristocratique qui cherchaient au Moyen
Âge à légitimer et à imposer leur position, notamment dans leur propre
famille et de proche en proche sur l’ensemble de la population de leur
ressort