Dans ce « Petit traité » en deux parties,
Frédéric Lenoir propose d'abord une histoire du sentiment religieux de sa naissance dans l'humanité jusqu'au 1er millénaire avant notre ère. Il s'attaque ensuite à une présentation, religion par religion, des principaux courants spirituels et de leurs pratiques en Eurasie (il n'y a rien sur l'Afrique, les Amériques et l'Océanie).
Je commence par une précision. Bien que la 4e de couverture présente
Frédéric Lenoir comme « philosophe et historien », rappelons qu'il n'est ni l'un ni l'autre. Cette précision est utile pour comprendre certaines des approximations, pour ne pas dire erreurs manifestes, de son ouvrage. Par contre Lenoir a un doctorat en sociologie, sa thèse portait sur les pratiques du bouddhisme en Occident. On peut lui reconnaitre un intérêt ancien pour les religions, et une énorme culture générale liée à ses différentes activités passées.
La première partie de cet ouvrage est « la plus originale » d'après l'auteur. C'est aussi la plus ambitieuse. La vérité, et l'auteur le reconnait volontiers, c'est que nous avons fort peu d'informations exploitables sur les croyances des chasseurs-cueilleurs du paléolithique, ou même celles des premiers agriculteurs néolithiques. Et pourtant, cela n'empêche pas Lenoir de construire un récit plein de certitudes… et peu convaincant.
Je peux décrire trois types de biais dans son propos.
1/ Au lieu de présenter un état des lieux honnête de la recherche historique (c'est-à-dire qui tient compte des désaccords entre chercheurs et des nombreuses zones d'ombres encore à découvrir), Lenoir choisit son camp, parfois en présentant la thèse d'un seul chercheur même si celui-ci est isolé dans sa position. le chapitre sur « la déesse et le taureau » illustre exactement ce phénomène : Lenoir cite de nombreuses fois
Jacques Cauvin et présente sa thèse… en « oubliant » (volontairement ?) de préciser que celle-ci est très contestée voire réfutée par plusieurs autres chercheurs. En vrai, nous ne sommes même pas sur que les statuettes retrouvées soient des objets de culte… alors en faire une déesse unique adulée sur un vaste territoire et pendant plusieurs millénaires…
2/ le deuxième biais relève des idées fausses. Par exemple page 56 il affirme qu'une ville a forcément besoin d'une organisation hiérarchique, et qu'il est donc logique que les religions se hiérarchisent avec la naissance des premières villes. Or l'archéologie a au contraire montré qu'il se passe plusieurs siècles entre l'apparition des villes et la naissance des inégalités. Une société peut devenir plus complexe tout en restant assez horizontale. Lenoir construit sa théorie sur une base fausse.
3/ le troisième biais est un excès de confiance : Lenoir affirme des choses invérifiables. Par exemple il affirme que les hommes du paléolithique ne donnaient pas de nom à leurs
dieux, mais les appelaient simplement
dieu de la foudre ou
dieu de la pluie. A-t-il le pouvoir de voyager dans le temps ? Comment connait-il ça de peuples dont on ne connait ni écriture, ni même les langues ?
Heureusement, cette première partie fragile et peu convaincante ne représente qu'un tiers du livre. La deuxième partie est mieux. Ici, l'auteur abandonne le récit historique pour une approche plus thématique. Un peu à la façon d'une encyclopédie, il va décrire chacune des religions (ou des courants de pensée, puisque sont aussi inclus les « sagesses grecques » antiques) une par une. Là où c'est intéressant, c'est qu'il trace quand même les emprunts de l'une à l'autre, les points communs et les oppositions. Chaque présentation traite à la fois de l'histoire de cette religion, de ses croyances, ses pratiques et sa situation au 21e siècle.
Cette grosse partie, plus factuelle, est sans doute riche des nombreuses collaborations de Lenoir à des encyclopédies. J'ai appris beaucoup de chose, notamment sur le bouddhisme qui reste l'expertise de base de l'auteur. Et notons aussi que Lenoir écrit bien. Ce « petit traité » est en fait un gros livre, mais facile à lire.
Un livre que je recommanderais pour sa deuxième partie. Ce n'est pas la peine de lire la première et la conclusion.