Cette trentième enquête du commissaire vénitien Guido Brunetti s'inscrit dans la continuité des derniers épisodes, tout en amenant un peu d'inattendu venant de
Donna Leon.
La romancière américaine reste sur ses habitudes en proposant un livre progressant lentement, où le policier / père de famille s'attarde sur ce qui apparaît être un délit de fuite commis par deux jeunes hommes, qui ont à peu près l'âge de son aîné, Raffi. Ils avaient embarqué deux Américaines dans un puissant bateau pour un tour nocturne de la Sérénissime, avant de partir vers la lagune, quand la vedette lancée à pleine vitesse a heurté une « bricola » (un pieu qui délimite les chenaux de navigation). le choc a projeté le pilote et les passagers contre la structure du bateau. Marcello, le gars qui tenait la barre, a des côtes cassées ; une des Américaines a une fracture, l'autre est dans le coma suite à un traumatisme crânien. Marcello et Duso, son ami, déposent en catimini les deux blessées sur le quai des urgences de l'Ospedale Civile. le problème c'est que Marcello, terrifié par son oncle, propriétaire du bateau, a pris tout son temps pour rallier l'hôpital, de façon à ne pas être contrôlé par la police. Au-delà de l'incident, Brunetti et sa collègue Claudia, vont comprendre petit à petit que les activités de l'oncle de Marcello, officiellement transporteur maritime depuis la Giudecca, sont des plus suspectes.
Comme toujours avec Leon, le lecteur aura droit aux doutes de Brunetti sur l'utilité de son métier, à son regard sur ces jeunes pris dans des évènements qui les dépassent, et à une vision désabusée des injustices et de la violence sociale. La forme n'évolue pas non plus : Brunetti est plus un confesseur, qui apprend des autres des parcelles de vérité, qu'un limier utilisant des méthodes d'enquête modernes.
Après autant de tomes, le lecteur a l'impression de reprendre la vie Brunetti là où l'avait laissé. Guido a juste changé de lecture d'auteur antique. Ses plaisirs culinaires évoluent. Il commence à saturer des tramezzini, ces sandwichs qu'il doit avaler dans le café du coin lorsqu'il est pressé.
Les derniers épisodes mettent plus en avant le duo Griffoni – Brunetti, le second s'apercevant, navré, dans le courant de cette histoire qu'il ne peut s'empêcher d'imaginer sa collègue originaire de Naples, comme tout ce qu'on raconte sur les Napolitains, à savoir jouant de leurs relations familiales et assez grossiers dans leur intimité. Ce que Claudia Griffoni n'est pas. Mais elle a parfaitement senti ce préjugé enfoui dans les pensées de Brunetti.
Griffoni étant associée à l'enquête, le lecteur ne fait qu'apercevoir la signorina Elettra, secrétaire à la questure, toujours douée pour hacker les bases de données, Vianello, le policier écolo qui accompagne habituellement Brunetti, ou même Patta, le vice-questeur, qui a manifestement autre chose à faire dans ce tome que d'embêter Brunetti. de même, l'indispensable Paola se contente de remonter le moral de son mari, qui multiplie ses réflexions sur Venise, une ville où il se reconnaît de moins en moins.
La petite surprise provient d'un final inattendu :
Brunetti participe à une intervention musclée, parfaitement rendue par Leon, qui conduit à l'arrestation des auteurs (cas très rare dans cette longue série) .
Deux petites remarques. L'autrice laisse entendre à un moment que le propriétaire de l'appartement de Brunetti ne déclencherait pas le chauffage par souci d'économie. Or le lecteur attentif a vu Brunetti, qui est bien propriétaire de son appartement, avoir quelques problèmes à ce sujet dans un des épisodes lointains. Un défaut de cohérence. Un détail…
Autre point, lié à la traduction,
Donna Leon parle de
l'ethnie Edo et de Benin city, donc du Nigeria, ce qui correspond à une réalité italienne : la criminalité organisée nigériane s'est bien implantée dans la péninsule, en bonne harmonie avec les mafias locales ; à chacun ses spécialités. Or la traductrice parle de Nigériens et surtout de nigériennes. Deux pays, deux langues officielles distinctes, un adjectif en anglais …