AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Michel Orcel (Éditeur scientifique)Mario Fusco (Préfacier, etc.)
EAN : 9782080712424
342 pages
Flammarion (13/05/2005)
4.17/5   67 notes
Résumé :
Vers 1816, au fin fond d'une province pontificale d'Italie du Nord, un jeune homme mélancolique, pétri de lectures érudites, s'apprête sans espoir à l'« oeuvre de sa vie ». Ce jeune homme, c'est Giacomo Leopardi. Il écrit des poèmes renouant avec la plus haute tradition italienne, celle qui remonte à Pétrarque et au Tasse. En 1831 paraît la première édition des Canti. De la véhémence des premières canzones (À Angelo Mai, Brutus) aux méditations nocturnes des idylles... >Voir plus
Que lire après ChantsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
4,17

sur 67 notes
5
6 avis
4
1 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
0 avis
Les Canti (Chants) de Giacomo Leopardi est une oeuvre incontournable, fondamentale dans l'histoire de la poésie.

Issu de la noblesse italienne, écrivain, philosophe, grand érudit formé au matérialisme et au classicisme, Giacomo Leopardi reste encore aujourd'hui un penseur inclassable. Son oeuvre interroge le présent à l'aune du passé et la part d'avenir qu'il porte déjà en lui, la notion de temps pour mieux questionner ensuite l'être dans sa dimension la plus intime, la plus universelle aussi.

La première impression, en lisant les Chants, c'est la musicalité, le rythme qu'offre la langue italienne. Leopardi est avant tout une poésie de la voix et de ses résonances, de l'écoute aussi vécue comme une expérience originelle du son, avec ses variations profondes et légères. Les Chants sont pour la plupart de longs poèmes dans lesquels s'ancre une capacité à étendre la phrase, à maintenir une même mesure, comme un chant qui trouve en lui-même sa propre régénération.

Leopardi, au travers de nombreux thèmes apparaît comme un être devenu un étranger sur terre, un passant désenchanté, qui est à la fois distant et attentif au monde.

Le joug de la vie familiale et sociale, le poids de la religion, l'avènement de la modernité, Leopardi porte tout cela en lui. Il se confronte à une réalité du monde qu'il réprouve mais qu'il sait au fond de lui être aussi la sienne, une réalité qui le constitue. Cette dualité intérieure transparaît dans toute sa poésie comme la marque d'une vitalité désespérée, d'une expérience profonde de l'ennui existentiel.

Publiés à partir de 1824, les Chants possèdent en eux un souffle, une beauté lyrique saisissante (je pense ici aux poèmes " le dernier chant de sapphô ", " le rêve ", " À Silvia ", " le Genêt ou la fleur du désert " ou encore " À soi-même " (A se stesso) :

" Tu vas maintenant trouver le repos
Pour toujours, mon coeur las. Et l'ultime illusion
De me croire éternel est morte. Je sens
Que se son éteints, ainsi que l'espoir,
Les désirs d'illusions qui me furent si chères.
Repose à jamais. Tu battis
Si fort. Rien ne mérite
Tes élans, et la terre n'est pas digne
De soupirs. La vie
N'est qu'amertume, ennui. Rien d'autre. le monde
boue.
Calme-toi désormais. Désespère
Pour la dernière fois. Notre espèce n'a reçu
Du destin que le don de la mort. Méprise-toi.
Méprise la nature, l'affreux
Pouvoir qui, en secret, ordonne de chaque chose
Sa destruction, et l'infinie, universelle vanité. "

Giacomo Leopardi est un pessimiste de nature, de sensibilité, plus que de raisonnement. L'ennui et l'ironie sont chez lui comme une tentative presque ultime de reconstituer un sens à l'existence, de retrouver un pays perdu (celui de l'enfance) et de parer l'échéance qui attend toute personne.

Poésie sombre qui pour pouvoir exister concède une place particulière à la lumière, l'écriture de Leopardi s'opère à cette condition, avec sa part de musicalité, comme une mélodie qui semble ne pas vouloir cesser.


Pour découvrir les Chants de Leopardi, j'ai choisi la très belle traduction qu'en a fait René de Ceccatty publiée aux Editions Payot & Rivages, une édition bilingue qui permet de confondre les textes et d'en saisir toute la tessiture et la forme.
Commenter  J’apprécie          230
Toujours très agréable de « butiner » ce recueil. Réflexion sur l'humain, le sens de la vie, le retour à la nature, à la contemplation. Entre Rousseau et Schopenhauer, une pensée et une vision du monde du XIXe siècle, mais toujours actuelle. Une poésie que certains pourraient qualifier de naïve, trop introspective, pas assez tournée vers l'Humain. Mais, Leopardi s'est toujours senti rejeté de la société, et se tourne donc vers la nature, comme les autres poètes romantiques de son époque. Il y trouve l'exaltation et la force nécessaire à son épanouissement . Sans oublier son patriotisme pour cette Italie qui peine encore à s'unifier. « Les Chants » sont pour moi une bouffée d'air pur.
Commenter  J’apprécie          220
Giacomo Leopardi est l'un des grands poètes italiens, enfant surdoué de la noblesse transalpine du début du XIXe siècle. Ses poèmes, en prose et en vers, reflètent avec vigueur le profond désespoir de cet homme tourmenté à la fois par le Sort qui lui attribua un physique plutôt ingrat et une santé plus que fragile, ainsi que la bassesse et la médiocrité dont se contente l'humanité afin de croire à une certaine félicité de sa condition.
Ses origines aristocrates le poussent à la nostalgie des grandeurs passées ainsi qu'à la peur des multiples transformations sociale, politique, économique et technique de son époque. Il témoigne, en effet, de ce que l'on n'appelait pas encore la mondialisation avec l'ouverture de l'Europe sur le vaste Monde, la réduction des distances et l'augmentation des échanges.
La tonalité de ses poèmes est vivement désespérée. Leopardi interpelle directement le Sort, le Ciel, la Nature et la Lune pour exposer ses plaintes, ses douleurs et les grandes déceptions qui semblent avoir tissé le fil de sa vie. Pourtant ce lourd pessimisme s'apparente à de la clairvoyance. A la façon de Nietzsche, Leopardi ne se jette pas benoîtement dans la béatitude générale qui caractérise ses contemporains. Il n'oublie pas l'essentiel de l'existence : l'amour (magnifié par quelques poèmes d'une grande beauté) et la mort (présente en permanence dans le discours du poète.) Enfin, comme beaucoup de pessimistes écoeurés par la suffisance et la superficialité des Hommes, Leopardi chante les bonheurs de la solitude et de la contemplation, s'émerveillant des paysages de l'Italie, du chant enchanteur des oiseaux et de l'immensité vertigineuse du firmament.
Commenter  J’apprécie          121
Les Canti de Leopardi ne sont pas le cri désespéré d'un moi qui souffre ; c'est le chant pathétique de l'Homme voué, par sa destinée perverse et contre-nature, à devenir de plus en plus malheureux à mesure que ses lumières croissent. Plus sa conscience s'éveille, plus sa douleur augmente : c'est une poésie sombre et touchante, sans noirceur excessive comme on peut en rencontrer chez les pessimistes qui le suivront (Schopenhauer et Nietzsche en première ligne), mais sans secours et sans recours non plus.
Dans une langue sans fard aux accents mesurés, justes et frappants, Leopardi fait montre ici d'une profondeur de style rare et merveilleuse.
Commenter  J’apprécie          70
Les Canti de Leopardi ne sont pas le cri désespéré d'un moi qui souffre ; c'est le chant pathétique de l'Homme voué, par sa destinée perverse et contre-nature, à devenir de plus en plus malheureux à mesure que ses lumières croissent. Plus sa conscience s'éveille, plus sa douleur augmente : c'est une poésie sombre et touchante, sans noirceur excessive comme on peut en rencontrer chez les pessimistes qui le suivront (Schopenhauer et Nietzsche en première ligne), mais sans secours et sans recours non plus.
Dans une langue sans fard aux accents mesurés, justes et frappants, Leopardi fait montre ici d'une profondeur de style rare et émouvante.
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
CHANT NOCTURNE D'UN BERGER ERRANT DE L'ASIE

Que fais-tu, Lune, au ciel ? dis-le-moi, que fais-tu,
Lune emplie de silence ?
Tu te lèves le soir et vas
Contemplant les déserts, puis te perds.
N'es-tu pas lasse encore
De courir les chemins éternels ?
N'es-tu pas assouvie, peux-tu rêver toujours
De revoir ces vallées ?
Elles ressemblent à ta vie,
Les années du berger.
Il se lève aux premières blancheurs,
Pousse au loin le troupeau par les champs,
Et voit troupeaux, sources, prairies,
Puis las il se repose vers le soir ;
Il n'est rien qu'il espère jamais.
Dis-moi, Lune, à quoi sert
Au berger sa propre vie ?
Et votre vie à vous ? Dis-moi : où tendent
Mon errance éphémère,
Ton parcours immortel ?
 
     Vieillard fragile et blanc,
Vêtu à peine, les pieds nus,
Le dos chargé d'un lourd fardeau,
Par les monts, les vallées,
Dans les rochers coupants, le sable, les buissons,
Sous le vent, la tempête, lorsque s'enflamme
L'heure et puis qu'elle se glace,
Il court, halète et court,
Passe torrents, marais,
Tombe, et se relève, et plus en plus se presse,
Sans pose, sans repos,
Ensanglanté, meurtri, jusqu'à venir
Là où sa route
Et sa longue fatigue le menaient :
Abîme horrible, immense,
Où, tombant, il perd mémoire du Tout.
Lune sans tache, telle
Est la vie du mortel.
 
     L'homme naît à grand-mal ;
Pour lui, naître, c'est risquer de mourir.
Ce qu'il éprouve d'abord,
C'est la peine et le tourment; et dès son premier jour,
Et sa mère et son père
Se prennent à le consoler de sa naissance.
Et puis comme il grandit,
L'un et l'autre le soutiennent, et toujours,
Par des gestes et des mots,
S'efforcent de lui donner du cœur,
De le réconforter d'être homme.
Plus douce charge,
Les parents n'en ont pas envers leurs fils.
Mais pourquoi donner au jour,
Pourquoi tenir en vie
Celui qu'il faut consoler d'elle ?
Si la vie est malheur,
Pourquoi en porter la douleur ?
Intacte Lune, telle
Est la vie des mortels.
Mais tu n'es pas mortelle,
Et sans doute mes mots ne t'importent.
 
     Et toi, solette, éternelle passante,
Si pensive, peut-être comprends-tu
Ce qu'est ce vivre
Terrestre, notre passion, notre soupir, ce qu'est
Notre mourir, cette ultime
Pâleur de l'apparence,
Et de périr à la terre et de quitter
Les familières, les aimantes présences.
Toi, certes, tu entends
Le sens des choses et vois le fruit
De l'aurore, du soir,
De l'aller infini et silencieux du temps.
Toi, c'est sûr, tu sais à quel amour
Rit le printemps,
A qui plaît la chaleur, ce que poursuit
L'hiver avec ses glaces.
Tu connais mille choses, tu en vois mille
Qui sont cachées au modeste berger.
Souvent, quand je te vois
Rester muette ainsi sur la plaine déserte
Qui dans son cours lointain touche au ciel,
Ou bien, avec mes bêtes,
Me suivre voyageant pas à pas,
Et quand au ciel je vois que brûlent les étoiles,
Je dis, pensant en moi :
Mais pourquoi tant de flammes ?
Que fait l'air infini, l'infini
Ciel profond ? que veut dire l'immense
Solitude? et moi, qui suis-je ?
Ainsi je parle en moi - et de cette demeure
Superbe et sans mesure,
Et du peuple sans nombre,
Et de tant de labeurs, de mouvements
Des choses célestes, et des choses terrestres,
Qui roulent sans repos
Pour retourner toujours d'où elles sont venues,
Aucun but, aucun fruit
Je ne puis deviner ; mais toi, c'est sûr,
Jeune fille immortelle, tu connais le Tout.
Moi, je connais et je sens
Que des cercles éternels,
Que de mon être fragile,
D'autres, peut-être, recevront quelque bien
Ou plaisir. Pour moi la vie est mal.
 
     O mon troupeau qui reposes, ô bienheureux
Qui ne sais pas, je crois, ta misère,
Quelle envie je te porte !
Non seulement d'aller
Presque libre de peine,
Car privations, angoisses et maux,
Tu les oublies aussitôt,
Mais surtout de n'éprouver jamais l'ennui.
Quand tu reposes à l'ombre, sur les herbes,
Tu es paisible et content ;
Et tu consumes ainsi
Sans dégoût de longs jours de l'année.
Mais moi, quand je m'étends à l'ombre, sur les herbes,
Un ennui vient m'encombrer
L'esprit, comme une pointe me brûle,
Si bien que, reposant, je ne puis davantage
Trouver demeure ou paix.
Pourtant de rien je n'ai désir,
Ni jusqu'ici de raison de pleurer.
Ce que tu aimes, le peu dont tu jouis,
Je ne le sais ; mais tu es bienheureux.
Moi, je ne jouis guère,
O mon troupeau, mais ce n'est pas ma seule plainte.
Si tu savais parler, je te dirais:
Dis-moi pourquoi, gisant
Au repos, sans contraintes,
Tout animal s'apaise,
Quand moi, si je m'étends au calme, l'ennui me prend ?
 
 
     Si j'avais l'aile peut-être
Pour voler au-dessus des nuages,
Et compter une à une les étoiles,
Ou pour errer comme l'orage de cime en cime,
Je serais plus heureux, mon doux troupeau,
Plus heureux, blanche Lune.
Ou peut-être, en contemplant
Le sort des autres, se fourvoie-t-elle, ma pensée :
Peut-être en toute forme, dans tout être,
Dans le terrier ou le berceau,
Jour funèbre est pour qui naît le jour natal.
Commenter  J’apprécie          130
Silvia, rimembri ancora
quel tempo della tua vita mortale,
quando beltà splendea
negli occhi tuoi ridenti e fuggitivi,
e tu, lieta e pensosa, il limitare
di gioventù salivi?

Sonavan le quiete
stanze, e le vie d'intorno,
al tuo perpetuo canto,
allor che all'opre femminili intenta
sedevi, assai contenta
di quel vago avvenir che in mente avevi.
Era il maggio odoroso: e tu solevi
così menare il giorno.

Io gli studi leggiadri
talor lasciando e le sudate carte,
ove il tempo mio primo
e di me si spendea la miglior parte,
d’in su i veroni del paterno ostello
porgea gli orecchi al suon della tua voce,
ed alla man veloce
che percorrea la faticosa tela.
Mirava il ciel sereno,
le vie dorate e gli orti,
e quinci il mar da lungi, e quindi il monte.
Lingua mortal non dice
quel ch’io sentiva in seno.

Che pensieri soavi,
che speranze, che cori, o Silvia mia!
Quale allor ci apparia
la vita umana e il fato!
Quando sovviemmi di cotanta speme,
un affetto mi preme
acerbo e sconsolato,
e tornami a doler di mia sventura.
O natura, o natura,
perché non rendi poi
quel che prometti allor? perché di tanto
inganni i figli tuoi?

Tu pria che l’erbe inaridisse il verno,
da chiuso morbo combattuta e vinta,
perivi, o tenerella. E non vedevi
il fior degli anni tuoi;
non ti molceva il core
la dolce lode or delle negre chiome,
or degli sguardi innamorati e schivi;
né teco le compagne ai dì festivi
ragionavan d’amore.

Anche perìa fra poco
la speranza mia dolce: agli anni miei
anche negaro i fati
la giovinezza. Ahi come,
come passata sei,
cara compagna dell’età mia nova,
mia lacrimata speme!
Questo è il mondo? questi
i diletti, l’amor, l’opre, gli eventi,
onde cotanto ragionammo insieme?
questa la sorte delle umane genti?
All’apparir del vero
tu, misera, cadesti: e con la mano
la fredda morte ed una tomba ignuda
mostravi di lontano.

A SILVIA


Silvia *, te souvient-il encore

Du temps de cette vie mortelle,

Quand la beauté brillait

Dans tes yeux fugitifs et riants,

Et que, pensive et gaie, tu gravissais

Le seuil de la jeunesse?

Sonnaient les calmes

Voûtes *, et les rues alentour,

A ta chanson sans fin *,

Alors qu'assise à ton œuvre de femme

Tu t'appliquais, heureuse

De ce vague avenir que tu rêvais en toi.

C'était Mai plein d'odeurs, et tu aimais

Passer ainsi le jour.

Parfois abandonnant

Les biens-aimées études, les pages fatiguées *,

Où mon tout premier âge

Et le meilleur de moi se dissipaient,

Du haut des balcons du palais paternel

Je tendais mon oreille au son de ta voix

Et de ta main rapide

Qui parcourait l'âpre toile *.

Je contemplais le ciel serein,

Les rues dorées et les vergers,


Là-bas la mer, au loin, et là les monts.

Langue mortelle ne dit pas

Ce qu'au sein j'éprouvais.


Quelles pensées de douceur,

Quels espoirs et quels cœurs *, ma Silvia!

Tels alors nous paraissaient

La vie humaine et le destin!

Quand je revois une telle espérance,

Une passion m'oppresse,

Acerbe et désolée,

Et j'en reviens à souffrir de ma détresse.

O nature, nature,

Pourquoi ne tiens-tu pas

Ce que tu promettais alors? pourquoi

Te moques-tu de tes enfants?



Avant que l'hiver même eût desséché les feuilles,

Toi, frappée, vaincue d'un mal obscur,

Tu périssais, fillette. Et tu n'as point connu

La fleur de tes années,

Ton cœur ne s'est ému

Sous la tendre louange de tes cheveux de jais,

De tes yeux amoureux * et craintifs,

Et près de toi tes amies, aux jours de fête,

D'amour n'ont pas parlé.


Bientôt mourait aussi

Ma suave espérance : à mes années

Les destins refusèrent aussi

La jeunesse. Ah, comme,

Comme tu t'es enfuie,

Chère compagne de mon jeune âge,

Mon espérance pleine de larmes * !

C'est donc cela, le monde? cela, l'amour,

Et les plaisirs, les aventures, les travaux

Dont nous avions tant devisé ensemble?

C'est là le sort du peuple des mortels?

A peine parut le vrai *

Que tu tombas, fragile ; et de la main

La froide mort près d'un tombeau désert

Tu me montrais au loin.


















Commenter  J’apprécie          40
L'INFINI

Toujours j'aimai cette hauteur déserte
Et cette haie qui du plus lointain horizon
Cache au regard une telle étendue.
Mais demeurant et contemplant j'invente
Des espaces interminables au-delà, de surhumains
Silences et une si profonde
Tranquillité que pour un peu se troublerait
Le cœur. Et percevant
Le vent qui passe dans ces feuilles - ce silence
Infini, je le vais comparant
À cette voix, et me souviens de l'éternel,
Des saisons qui sont mortes et de celle
Qui vit encor, de sa rumeur. Ainsi
Dans tant d'immensité ma pensée sombre,
Et m'abîmer m'est doux en cette mer.
Commenter  J’apprécie          260
XXXVI
EPIGRAMME
     
Quand je vins tout enfant
A l'école des Muses
Apprendre mon métier, l'une me prit la main
Et guida ma visite
Dans toute l'officine
Au long de la journée
Tour à tour me montra
Les instruments de l'art
Et les divers usages
Que de chacun d'entre eux
L'on fait dans le travail
De la prose et des vers,
J'admirai, puis m'enquis :
« Mais, Muse, où est la lime ? » Et la déesse dit :
« La lime est usagée ; désormais l'on s'en passe. »
Et moi : « N'importe-t-il
De la remettre à neuf, quand elle est émoussée ? »
Et j'entendis : « Bien sûr - si le temps ne manquait. »
     
- - -
SCHERZO
     
Quando fanciullo io venni
A pormi con le Muse in disciplina,
l’una di quelle mi pigliò per mano ;
E poi tutto quel giorno
La mi condusse intorno
A veder l’officina.
Mostrommi a parte a parte
Gli strumenti dell’arte,
E i servigi diversi
A che ciascun di loro
S’adopra nel lavoro
Delle prose e de’ versi.
Io mirava, e chiedea :
Musa, la lima ov’è? Disse la Dea :
La lima è consumata ; or facciam senza.
Ed io : ma di rifarla
Non vi cal, soggiungea, quand’ella è stanca ?
Rispose : hassi a rifar, ma il tempo manca.
     
(Traduction de Michel Orcel – éd. GF Flammarion, pp. 260-261).
Commenter  J’apprécie          121
Premier amour

Ah, eh bien puis-je rappeler le jour, quand pour la première fois
Le conflit féroce de l'amour je me suis senti, et j'ai dit:
Si cela est l'amour, combien il est difficile à supporter!

Les yeux toujours fixés sur le sol,
je ne vis que son innocence,
Triomphant, qui prit possession de ce cœur.

Ah! Mon amour, que tu m'as mal gouverné!
Pourquoi une affection si sincère et si pure
apporterait-elle un tel désir, une telle souffrance?

Pourquoi pas serein, plein et libre de toute ruse,
mais chargé de tristesse et de lamentations douloureuses, une
si grande joie descendrait-elle dans mon cœur?

Oh, dis-moi, cœur tendre, qui souffre tant,
pourquoi avec cette pensée une telle angoisse devrait être douce,
comparée à laquelle, toutes les autres pensées étaient nulles?

Cette pensée, qui était toujours présente dans la journée,
que dans la nuit plus vive encore apparaissait,
quand toutes choses rondes dans un doux sommeil semblaient se reposer:

Toi, agité, à la fois de joie et de misère,
tes palpitations constantes étaient fatiguées si
ma poitrine, comme haletant dans mon lit je me suis allongé.

Et quand épuisé par le chagrin et la lassitude,
Dans le sommeil mes yeux je fermais, ah, aucun soulagement
Cela donnait, si brisé et si fiévreux!

Quelle brillance du fond des ténèbres, alors,
La belle image s'est levée, et mes yeux fermés,
Sous leurs paupières, leur regard se nourrissait!

O quelles délicieuses impulsions, diffusées,
Mon cadre fatigué d'une douce émotion remplie!
Quelles myriades de pensées, instables et confuses,

flottaient dans mon esprit! Comme à travers les feuilles
De quelque vieux bosquet, le vent d'ouest, errant,
Un long et mystérieux murmure laisse derrière lui.

Et comme moi, silencieux, je cède à leur influence,
qu'est - ce que tu as dit, cœur, quand elle est partie, qui
t'avait causé tous tes battements et toutes tes souffrances?

A peine avais-je ressenti à l'intérieur, la chaleur
De la première flamme de l'amour, qu'avec elle s'envola
La douce brise, qui l'éveilla dans la vie.

Je suis resté sans sommeil, jusqu'à l'aube du jour;
Les coursiers, qui devaient me laisser désolé,
Leurs sabots battaient à la porte de mon père.

Et moi, dans un suspense muet, pauvre imbécile timide,
Avec un œil que les ténèbres en vain transperceraient,
Et une oreille avide, allongée, écoutant,

Cette voix pour entendre, si, pour la dernière fois, je pourrais
attraper les accents de ces belles lèvres ;
La voix seule; tout le reste à jamais perdu!

Combien de tons vulgaires mon oreille douteuse
frapperait, d'un profond dégoût m'inspirant,
Avec le doute tourmenté, retenant durement mon souffle!

Et quand, enfin, cette voix dans mon cœur est
descendue, passant douce, et quand le bruit
des chevaux et des roues s'était éteint;

Dans la désolation totale, alors, ma tête
j'ai enterré dans mon oreiller, j'ai fermé les yeux,
Et pressé ma main contre mon cœur, et soupira.

Puis, apathiquement, mes genoux tremblants à travers
La chambre silencieuse traînant, je m'écriai:
«Rien sur terre ne peut m'intéresser plus!

Le souvenir amer caressant
dans ma poitrine, à chaque voix mon cœur,
à chaque visage, insensible est resté.

Longtemps je restai noyé dans une douleur désespérée;
Comme quand les cieux au loin, leurs averses
incessantes se déversent sur les champs alentour.

Je n'avais pas non plus, Amour, connu ta puissance cruelle,
Un garçon de dix-huit étés volé, jusqu'à
ce jour-là, quand j'ai appris ta leçon amère;

Quand j'ai chaque plaisir tenu en mépris, ni me
soucier des étoiles brillantes pour voir, ou des prairies vertes,
Ou senti le charme de la lumière du matin saint;

L'amour de la gloire, aussi, n'a plus trouvé
Un écho dans ma poitrine irresponsable,
Qu'une fois, l'amour de la beauté a partagé avec lui.

J'ai tout à fait négligé mes études préférées;
Et ces choses vaines
me paraissaient, comparées à celles-ci, je pensais que tous les autres plaisirs étaient vains.

Ah! comment aurais-je pu changer si complètement?
Comment une passion pourrait-elle détruire toutes les autres?
En effet, quels mortels impuissants sommes-nous tous!

Mon cœur mon seul réconfort était, et avec
ce cœur, en conférence perpétuelle,
Une veille constante sur ma douleur à garder.

Mon œil cherchait toujours le sol, ou en lui-même
Absorbé, se rétractait pour ne pas rencontrer le regard
D'un visage charmant ou désagréable;

L'image inoxydable craignant de déranger,
si fidèlement reflétée dans ma poitrine;
Comme les vents perturbent le miroir du lac.

Et ce regret, que je n'ai pas pu jouir d'un
tel bonheur, qui pèse sur l'esprit,
et se transforme en plaisir empoisonné qui est passé, a

encore son épine dans ma loge de poitrine,
comme je l'ai rappelé le passé; mais la honte, en effet,
n'a pas laissé sa cruelle aiguillon dans ce cœur.

Au ciel, à vous, âmes douces, je le jure,
Aucun désir lâche ne s'est emparé de ma pensée;
Mais avec une flamme pure et sacrée, j'ai brûlé.

Cette flamme vit toujours, et cette affection pure;
Toujours dans ma pensée respire cette belle image, d'
où, sauf céleste, je n'ai pas d'autre joie,

n'ai jamais connu d'autre' ; mon seul réconfort, maintenant!
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Giacomo Leopardi (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Giacomo Leopardi
« […] Jour après jour, Saba - de son vrai nom Umberto Poli (1883-1957) - compose le “livre d'heures“ d'un poète en situation de frontière, il scrute cette âme et ce coeurs singuliers qui, par leur tendresse autant que leur perversité, par la profondeur de leur angoisse, estiment pouvoir parler une langue exemplaire. […] […] Au secret du coeur, dans une nuit pétrie d'angoisse mais consolée par la valeur que le poète attribue à son tourment, cette poésie est une étreinte : à fleur de peau, de voix, une fois encore sentir la présence de l'autre, porteur d'une joie qu'on n'espérait plus. […] Jamais Saba n'avait été aussi proche de son modèle de toujours, Leopardi (1798-1837) ; jamais poèmes n'avaient avoué semblable dette à l'égard de l'Infini. le Triestin rejoint l'auteur des Canti dans une sorte d'intime immensité. […] […] Comme le souligne Elsa Morante (1912-1985), Saba est plutôt l'un des rares poètes qui, au prix d'une tension infinie, ait élevé la complexité du destin moderne à hauteur d'un chant limpide. Mais limpidité n'est pas édulcoration, et permet au lecteur de percevoir deux immensités : le dédale poétique, l'infinie compassion. » (Bernard Simeone, L'étreinte.)
« […] La première édition du Canzoniere, qui regroupe tous ses poèmes, est fort mal accueillie par la critique en 1921. […] Le Canzoniere est un des premiers livres que publie Einaudi après la guerre […] L'important prix Vareggio de poésie, obtenu en 1946, la haute reconnaissance du prix Etna-Taormina ou du prix de l'Accademia dei Lincei, ne peuvent toutefois tirer le poète d'une profonde solitude, à la fois voulue et subie : il songe au suicide, s'adonne à la drogue. En 1953, il commence la rédaction d'Ernesto, son unique roman, qui ne paraîtra, inachevé, qu'en 1975. […] »
0:00 - Titre 0:06 - Trieste 1:29 - le faubourg 5:27 - Lieu cher 5:57 - Une nuit 6:32 - Variations sur la rose 7:15 - Épigraphe 7:30 - Générique
Contenu suggéré : Giacomo Leopardi : https://youtu.be/osdD2h8C0uw Marco Martella : https://youtu.be/R9PPjIgdF2c Iginio Ugo Tarchetti : https://youtu.be/hnV93QZ6O1s Guido Ceronetti : https://youtu.be/mW1avxXaSKI Alberto Moravia : https://youtu.be/MgIVofYEad4 Pier Paolo Pasolini : https://youtu.be/-sWZYlXVZ-U Cesare Pavese : https://youtu.be/uapKHptadiw Dino Buzzati : https://youtu.be/ApugRpPDpeQ Sibilla Aleramo : https://youtu.be/Y24Vb0zEg7I Julius Evola : https://youtu.be/coQoIwvu7Pw Giovanni Papini : https://youtu.be/tvirKnRd7zU Alessandro Baricco : https://youtu.be/¤££¤74Giuseppe Ungaretti64¤££¤80 Giuseppe Ungaretti : https://youtu.be/_k1bTPRkZrk LES FILS DE LA LOUVE : https://youtu.be/ar3uUF-iuK0 INTRODUCTION À LA POÉSIE : https://www.youtube.com/playlist?list=PLQQhGn9_3w8rtiqkMjM0D1L-33¤££¤76LES FILS DE LA LOUVE77¤££¤ AUTEURS DU MONDE (P-T) : https://www.youtube.com/playlist?list=PLQQhGn9_3w8pPO4gzs6¤££¤39LES FILS DE LA LOUVE75¤££¤8 PÈLERINS DANS LA NUIT SOMBRE : https://youtu.be/yfv8JJcgOVM
Référence bibliographique : Umberto Saba, du Canzoniere, choix traduit par Philippe et Bernard Simeone, Paris, Orphée/La Différence, 1992.
Image d'illustration : https://itinerari.comune.trieste.it/en/the-trieste-of-umberto-saba/
Bande sonore originale : Maarten Schellekens - Hesitation Hesitation by Maarten Schellekens is licensed under a Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License.
Site : https://freemusicarchive.org/music/maarten-schellekens/soft-piano-and-guitar/hesitation/
#UmbertoSaba #Canzoniere #PoésieItalienne
+ Lire la suite
autres livres classés : poésieVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (196) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1210 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}