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Critique de encoredunoir


« Ce livre part d'une idée très simple : quand le système judiciaire ne parvient pas à affronter vigoureusement les morts et les blessures violentes, le meurtre devient endémique. »
C'est donc de cette idée qu'est né Côté ghetto, sorte de prolongement d'un travail fait par l'auteur, journaliste pour le Los Angeles Times, à travers un blog, The Homicide Report, qu'elle a tenu de 2006 à 2008 avec l'objectif de donner un nom, une photo, une histoire, à chacune des victimes de meurtre du comté de Los Angeles quels que soient son origine et son statut social, et en particulier aux plus anonymes des anonymes, les habitants des ghettos, notamment de South Central.
C'est là qu'en mai 2007 Bryant Tennelle, un jeune noir de 18 ans a été abattu d'une balle dans la tête alors qu'il marchait dans 80ème rue ouest. Bryant était a priori un jeune sans histoires qui aimait réparer des vélos et qui vendait, certes sans autorisation, des brownies dans son lycée. Mais, comme le montre Jill Leovy, être seulement un jeune homme noir peut suffire pour se faire assassiner à Watts, généralement par un autre jeune homme noir. Bryant Tennelle aurait pu être une des nombreuses victimes invisibles de cette année 2007 qui avec 934 homicides au compteur dans le comté de Los Angeles restait dans la moyenne et assez loin des « grosses années », les années 1990, et de leurs pics impressionnants (2589 meurtres en 1992). Mais deux éléments ont fait du meurtre de Bryant Tennelle un cas à part : d'abord le fait que Bryant était le fils d'un inspecteur du LAPD habitant le quartier, ensuite parce que l'affaire a échu à John Skaggs, inspecteur particulièrement opiniâtre.
C'est donc l'enquête sur le meurtre de Bryant Tennelle qui forme la colonne vertébrale de Côté ghetto. Elle permet à Jill Leovy d'éclairer à la fois la manière dont vit South Central, celles dont y meurt, les tensions qui y sont à l'oeuvre, mais aussi le fonctionnement hiératique de la police de Los Angeles s'agissant de ces centaines d'homicides et la façon dont se répandent rumeurs et informations dans ce monde à part. Elle vient aussi interrompre parfois la sinistre litanie des assassinats de ces années 2007-2010 (date de la condamnation des meurtriers de Bryant Tennelle) que Jill Leovy scande régulièrement.
Cette immersion dans le quartier de South Central et dans le travail des policiers chargés d'enquêter sur ces homicides permet de dresser un tableau sans fard d'une Amérique incapable de protéger efficacement ces citoyens les plus faibles et qui, ce faisant, selon la théorie de Jill Leovy appuyée entre autre sur celle de Max Weber, finit par abandonner le « monopole étatique de la violence », c'est-à-dire le fait que seul l'État est légitime à exercer la violence dans des cas précis et dans le seul but de protéger ses citoyens, laissant ainsi la place à un exercice personnel de cette violence qui engendre dans ces quartiers de Los Angeles une véritable épidémie de meurtres.
Si Jill Leovy se laisse quelque peu aller – et sans doute légitimement de par sa proximité avec les protagonistes – à un certain sentimentalisme qui tend parfois à gommer en partie les défauts à la fois des enquêteurs et de certains habitants du quartier pour en faire des sortes d'icônes un peu trop lisses, il n'en demeure pas moins qu'elle réussit ainsi à donner une véritable chair à chacune des personnes à laquelle elle s'attache, ne serait-ce que le temps de quelques lignes tout en mettant à nue les rouages de ce système détraqué. Ce faisant, à la suite d'ouvrages comme Baltimore, de David Simon ou Homicide Special, de Miles Corwin, que les éditions Sonatine ont précédemment édités, Leovy apporte sa pierre à la compréhension du crime et des inégalités solidement ancrés dans l'Amérique contemporaine. Et si Côté ghetto ne se lit pas à proprement parler comme un roman, il n'en demeure pas moins passionnant et, surtout, édifiant.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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