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EAN : 9782253013952
215 pages
Le Livre de Poche (30/11/-1)
4.25/5   8 notes
Résumé :
C'était le temps des Georges Milton, des Joséphine Baker, des Max Dearly, le temps idéal pour s'installer à Belleville. Quand on est arménien, quand on vient d'Istanbul avec une seule valise, quand on a économisé le prix du voyage pour connaître enfin le Paris des cartes postales, quand on prend la semeuse du timbre pour une jolie femme dont on ne s'explique pas le geste, quand on vient à Paris éclaircir ce mystère, Belleville est prêt à vous accueillir. Aram Tok... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Clément Lépidis - L'arménien - 1973 (prix de l'Académie française, prix de la Société des gens de lettres) : "L'arménien" est un joli roman presque autobiographique d'un écrivain d'origine arménienne né de parents immigrés en France dans les années trente. C'est le quartier Belleville de l'accordéon et des petits cafés, de l'occupation aussi, des arrestations et de la résistance qui nous est raconté à travers de nombreuses anecdotes pleine de bonne humeur mais aussi souvent de tristesse. Un petit monde peuplé de personnages pittoresques embrassant toutes les races et toutes les religions évoluent sous nos yeux essayant chaque jour de réinventer le plaisir de vivre ensemble. Aram Tokatlérian est arménien et le personnage principal de cette histoire. Échappé du pays qui l'a vu naître suite aux épouvantables massacres perpétués par les turcs, il va devenir un pion essentiel de cette communauté. D'abords en fabricant des chaussures pour un petit artisan, mais surtout en essayant quand il le peut d'atténuer la misère et la détresse qui l'environnent. Il connaîtra ainsi les joies de l'amitié qui se donne comme une offrande, la peur viscérale lors des combats et des bombardements et surtout les déceptions liées à un amour infini qui n'aura jamais de réciprocité. Ici on vit de l'intérieur les épisodes joyeux ou douloureux de l'histoire de Paris au vingtième siècle. La révolte des petites gens avec le front populaire et l'immense espoir d'un monde enfin plus juste mais aussi la rafle du Vel d'hiv qui vaut à cet ouvrage ses pages les plus révoltantes mais aussi les plus émouvantes. Car Clément Lépidis ne cache rien de la brutalité de la police française zélatrice éhontée de l'Allemagne nazi, ni du courage de certains habitants révoltés par ces arrestations, encore moins de la lâcheté de certains autres réjouis par le sort réservé aux israélites étrangers. La nostalgie pour ce monde perdu pointe quand même à chaque page car la vie est toujours belle quand on est jeune et en bonne santé et même si ce livre est émaillées d'épisodes tragiques, le lire c'est s'assurer de beaux moments d'émotion que seul la littérature peut nous fournir... une belle humanité
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Le décès de Charles Aznavour m'a remémoré un livre que j'avais en attente de lecture dans ma bibliothèque et que mon compagnon avait beaucoup aimé. Alors, en souvenir de Charles, j'ai ressorti l'Arménien de Clément Lépidis.

Clément Lépidis, de son vrai nom Kléanthis Tsélébidis, est un français, né à Paris en 1920, d'une famille ayant dû fuir l'Anatolie au moment du massacre de la population grecque orthodoxe. Il a passé son enfance et son adolescence à Belleville au milieu de tous ces déracinés qu'ils soient, juifs, arméniens, arabes, grecques, français. J'ai découvert cet auteur à la suite d'une balade dans Belleville avec un ami passionné, bénévole au sein de l'association Greeters.Paris.

C'est un livre bouleversant, et à la fois, extrêmement jubilatoire. L'auteur nous touche, nous insuffle ce sentiment de fraternité tant l'atmosphère de ce Paris populaire ou se côtoient arméniens, juifs, français, grecques est détaillée avec finesse, flanquée de ce petit rien de nostalgique qui nous étreint.

C'est aussi extrêmement émouvant tant la plume de Clément Lépidis possède le don de nous faire ressentir la difficulté de l'exil. « Quand il évaluait du doigt la qualité d'une peausserie, ses reflets argentés ou la chaleur de son velours ne lui parlaient pas comme au pays ; Malgré sa volonté d'oublier ce que furent les années d'autrefois, les souvenirs imprimés dans sa chair d'arménien réduisaient la distance entre Paris et Istanbul. L'air se parfumait différemment, la senteur d'une fleur ou d'un site oublié lui revenait soudainement et il se retrouvait ailleurs que dans les rues de Belleville » Page 79.

Lépidis connait bien son quartier mais aussi ses habitants, il les aime et cela se ressent tout au long de la lecture. Il a Belleville dans la peau. Il sait très bien dépeindre la difficulté de la cohabitation des cultures, leur différence les unes par rapport aux autres mais il sait aussi nous parler d'amitié, de fraternité. Cet amoureux de Belleville, comme tout bon parigot se sent atteint dans sa chair lorsque son quartier se modernise, lorsque les salles de cinéma sont détruites, ou bien le bal musette du coin de la rue.

Pour mieux nous conter Belleville et son immigration, Lépidis nous parle de l'Arménien, Avram Tokatlerian qui quitte Istanbul pour venir tenter sa chance à Paris, « ce pays de France où le soleil brille d'un même éclat pour tout le monde ». Il est attendu chez Yetwark Kilindjian en qualité d'ouvrier monteur en chaussures. Sur le quai à Istanbul avant son départ en bateau, Milonas qui l'a incité à s'embarquer pour Paris, lui dira :

- Quand tu seras en Europe, envoie-moi toutes les cartes postales que tu trouveras mais surtout renseigne-toi sur ce que la femme des timbres français transporte dans son sac…

Et c'est par le biais de l'histoire d'Aram que l'auteur nous restitue la vie de ce quartier, les bonheurs, les déceptions. Nous faisons la connaissance d'Eugène Gopic, plombier-zingueur, et de sa soeur Charlotte, petite main dans une usine de caoutchouc, de Charles Odjounian dit Poitrine d'Acier, de l'arméno-éthiopien, Garbiz Budurian, copte et ancien secrétaire du Négus, de Yelen le polonais, de Simon le juif allemand, de Rebourg qui part rejoindre les Brigades Internationales et reviendra un bras en moins pour ne parler que des principaux qui se retrouvent à discuter au bistrot du père Sabaut. Il y a les parties de poker et de tavlour, les salles d'où s'échappent des bouffées d'accordéon, des matchs de boxe, les chansons de Tino Rossi, « envoûtant sortilège d'un Paris avec lequel on faisait l'amour rien qu'à danser dans les bras d'une fille » et la rue de Lappe !

Mais Belleville n'est pas en reste pour le Front populaire et ses grèves. de même Belleville n'échappe pas à la période de l'Occupation et les pages consacrées à La rafle du Vel d'Hiv dont la description est minutieusement restituée, sont particulièrement douloureuses. Belleville comme ses habitants n'est pas épargnée par la guerre qu'elle subit jusqu'à la Libération de Paris.

C'est toute l'histoire d'Avram et de Belleville qui se déroule sous nos yeux, d'un Paris populaire qui n'existe plus. C'est nostalgique, vivant, stimulant, triste, jouissif, mais tellement humain !

Clément Lépidis a commencé à écrire sur le tard à quarante quatre ans. Auparavant, il s'est exercé au métier de la chaussure, à celui de représentant, photographe, c'est certainement toute cette expérience qui lui permet d'être au plus près de la réalité de la vie des habitants de ce quartier. L'Arménien fut couronné par l'Académie Française et par la Société des Gens de Lettres.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Aram décrivit à sa manière son expérience de la fureur et de la violence du genre humain. De ses ravages. A l'aide de mots hachés, déformés, souvent impropres mais toujours émouvants, il raconta sa jeunesse, le génocide de son peuple. Les quinze cent mille morts. Le sort des rescapés. Comme eux, il était venu de l'étranger pour mener en France une vie nouvelle, mais trop de gens, de Français notamment, ignoraient le drame du peuple arménien. Ourfa ! Diarkébir ! Trébizonde ! Rize ! Sansoun ! Tous les ports de la mer Noire, carrefours des caravanes se dirigeant à l'intérieur de la Turquie et de la Perse. Villes aux rues grouillantes d'une population cosmopolite arrivée des quatre coins de l'Orient, toutes transformées en rivières de sang. Des sonneries de clairon avaient donné le signal des massacres et les Muftis lancé l'appel du ministre. Talaat invitant la population à soutenir l'armée dans sa tâche d'extermination, sans égard pour les femmes, les enfants, les vieillards et les infirmes.Quelque tragiques que puissent être les moyens employés, il fallait mettre fin à l'existence du peuple arménien. Sur les rives de l'Euphrate et de l'Araxe, policiers, gendarmes et soldats poursuivaient les convois de déportés en haillons. Les coups de feu claquaient dans les rues et dans les couvents de Saint-Garabed, la nuit viola tout ce qu'elle rencontra. Sivas, son village, fut le théâtre de scènes épouvantables.........
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N''étant pas encore en possession de la carte de séjour qui l'eût autorisé à exercer ouvertement son métier, Aram connaissait par coeur le chemin de Belleville à la Préfecture de police. Toujours les mêmes scènes. Des matinées d'attente se prolongeant une partie de l'après-midi, des affronts subis, des interrogatoires menés sur un ton méprisant. Armé de patience, Aram ne laissait rien transparaître de son drame. Au contraire, comme beaucoup d'autres étrangers dans son cas, il forçait la politesse envers les fonctionnaires chargés de son dossier, répondant le plus respectueusement du monde aux questions qui lui étaient posées, surveillant et dosant le ton de sa voix pour n'être pas pris en faute. En faute de quoi ? Il n'aurait su le dire. Le jour où on lui réclama un acte de naissance, Aram ne put que hausser les épaules. Au village tout avait brûlé : les maisons, les champs, les églises. Les cavaliers de l'armée turque avaient tout saccagé sur leur passage. A qui et où, dans ces conditions, réclamer le papier en question ? Aram était né au bord d'un volcan, une lave de haine avait recouvert des régions paisibles où des familles cultivant le maïs et le tabac ne songeaient qu'à vivre en paix.
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Aram raconta la scène à Yetwart qui lui reprocha ses visites à Simon, bref de fréquenter trop assidûment les juifs. Aram n'admettait pas ce fossé entre les deux communautés dont les destinées lui semblaient identiques. La semaine dernière dans le métro, certainement parce qu'il n''était pas dans le dernier wagon réservé aux non-aryens, il avait surpris une réflexion à son encontre : "Encore un youpin qui ne porte pas l'étoile", avait dit une espèce d'abruti.
Après la crainte, la peur. Lui fallait-il se cacher à son tour ? Disparaître aux yeux de certains Français ? Pourquoi pas une étoile spécialement conçue et réservée à l'usage des Arméniens, portant cette inscription : "NON JUIF MALGRE LES APPARENCES." Lorsque la guerre prend une dimension sournoise, diabolique, classant les individus par la couleur de leur peau, l'épaisseur de leurs lèvres ou l'aspect de leurs cheveux, de quelle arme disposer pour se défendre si l'on est d'avance une victime ?
Aram n'osa plus s'aventurer dans Paris de peur d'être pris dans une rafle. Il s'accrochait à son quartier comme du lierre sur un mur et son attitude irritait Charlotte qui eût aimer aller de temps en temps à la campagne.
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En ce temps là, chaque quartier de la capitale avait sa vocation : les girls à Montmartre, les peintres à Montparnasse, les diamantaires à Cadet et les morts au Père-Lachaise ; mais la chaussure, c'est à Belleville qu'on la trouvait.
………..
C'est dans ce Belleville de théâtre que l'arménien Aram Tokatlérian posa le pied pour la première fois. C'était un petit homme aux cheveux noirs, au teint sucre brûlé, au nez cassé à angle vif, l'œil percé d'un éclat de charbon ardent. Il portait une grosse valise entourée de courroies et un lourd paquet d'où dépassaient les franges d'un tapis.

Il arrivait d'Istanbul, la ville des six cents mosquées, des dix mille coupoles semblables à des assiettes creuses retournées. Quand le vent souffle, il imprime aux vagues du Bosphore un mouvement à la fois lent et brutal qui fait vaciller les barques de pêche en prolongeant son murmure jusqu'à la souche des colonnades du Palais Submergé de Yérabatan. Le monde avait fixé une pieuse auréole au-dessus de ce saint territoire, sans croire, pour autant, à l'impossible cohabitation de dieux multiples, en un lieu où les massacres avaient laissé des empreintes bien visibles. Chaque semaine des hommes contraints d'émigrer quittaient le pays.

Pages 12/13
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Eugène page 75

Hier encore, des militants d'Action Française avaient rossé des métèques à Montmartre.

Métèque! Aram crut ressentir le frottement d'un vêtement contre le sien, voir un homme coiffé d'un béret, un insigne à la boutonnière surgir brusquement dans la taverne. Il allait enfin savoir, grâce à Eugène, la signification de ce mot entendu pour la première fois le soir de la braderie. Devant trois paires d'yeux braqués sur lui, le plombier-zingueur parut sincèrement gêné. Métèque ? L'expression lui avait échappé. En vérité, ce n'est pas ce qu'il avait voulu dire. Après une gorgée de blanc sec afin de trouver l'inspiration, il força la lippe sur son mégot éteint.
- Métèque ? Quoi, c'est un mot pour désigner un crouilla, un rital, un espingouin, un mec qu'à les cheveux crépus et le teint basané.
- Mais alors, un arménien aussi?

Un vrai guêpier cette question. Et Eugène, croyant triompher à son tour, interrogea l'ami Aram, droit dans les yeux.
- Là bas, en Turquie, comment appelais-tu les turcs qui massacrèrent ta famille?

- Des turcs répondirent les trois hommes à l'unisson.
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Clement LEPIDIS évoque Belleville
Clément LEPIDIS se souvient du Belleville de sa jeunesse, un Belleville qui selon lui est mort.
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