J'ai été poussé vers ce livre par la réception du message suivant : « D'un côté, la réalité lyonnaise est trop écrasante. Mais d'un autre côté, alors que je me faisais cette réflexion, je poursuivais la lecture avec un intérêt que je ne dois pas cacher. C'est un récit haletant que j'ai lu ».
Moi aussi, je l'ai trouvé tel, quoique je sois bien en peine maintenant de dire pourquoi.
Si le lecteur se sent parfois pris dans une exploration urbaine (urbex) un peu délirante et décalée (le Lyon des années 1980), c'est que la ville, davantage qu'un décor ou un cadre (« Lyon, terre classique des conspirations ») est le personnage principal. Ville étrange, pleine de lieux secrets. Ville en proie à son espace, elle est l'objet -et peut-être le sujet- de toutes ces conspirations qui s'entremêlent. On dirait qu'elle travaille à sa perte : les "explosionnaires" mystérieux qui, chaque nuit, font sauter une maison sans jamais rien revendiquer, en sont-ils une métaphore ?
Résumons.
Une jeune femme qui se fait appeler "Lazlo" arrive à Lyon à la suite d'un échec amoureux aux allures de cataclysme. En équilibre instable entre la réalité et le rêve (souvent un cauchemar), elle rencontre la "conjuration des horloges" qui proclame : "ce que nous voulons ? rien". "Rien, c'est encore trop" pense Lazlo. Néanmoins, elle se laisse happer avec soulagement par une clandestinité exacerbée qui la retranche du monde. Mais il y a un "Théodore" qui la suit partout - et souvent la précède - dont elle s'éprend peu à peu sans que sa malédiction lui permette de l'aimer. Ici. Car il y a un "ailleurs" dont Théodore à la clef : une société secrète prépare un "coup d'espace" (comme il y a des coups d'Etat). Il vise à substituer à la ville actuelle ce qu'elle aurait pu être si, jadis, elle avait laissé leur place aux fleuves. Identique et différente à la fois. Là, dans cet autre monde à l'existence temporaire et fragile, Lazlo semble libre. Ce n'est qu'une illusion et le "coup d'espace" échoue : assez puissant pour affaiblir la réalité de la ville actuelle, il ne parvient pas à imposer la ville alternative. le téléscopage des deux entraîne leur destruction commune.
Ce résumé qu'il me fallait bien faire ne rend pas plus compte de l'impression générale que la lecture ou l'exécution de la partition de l'alto ne traduit l'effet d'un quatuor à cordes : la ville, les "explosionnaires", les "conspirateurs généraux" que sont peut-être les frères Schmidt, les péripéties souvent comiques de l'action clandestine, le va-et-vient des rêves et cauchemars, les eaux, Béatrice l'illuminée, Henri le chef, tous ces thèmes se développent, se juxtaposent et se combinent, dans un style, parfois maniéré, toujours maîtrisé.
Comme on sifflote un bout de phrase musicale entêtant, j'ai une faiblesse pour la scène du décret de la convention (
la ville de Lyon sera détruite) et pour l'image de "Lyon les Eaux".