“- Barinia, le jeune étranger est arrivé.
- Où l’as-tu mis ?
- Oh ! il est resté dans la loge.
- Je t’avais dit de le conduire dans le petit salon de Natacha : tu ne m’as donc pas compris, Ermolaï ?
- Excusez-moi, barinia, mais le jeune étranger, lorsque j’ai voulu le fouiller, m’a envoyé un solide coup de pied dans le ventre.
- Lui as-tu dit que tout le monde était fouillé avant d’entrer dans la propriété, que c’était l’ordre, et que ma mère elle-même s’y soumettait ?
- Je lui ai dit tout cela, barinia, et je lui ai parlé de la mère de Madame.
- Qu’est-ce qu’il t’a répondu ?
- Qu’il n’était pas la mère de Madame. Il était comme enragé.
- Eh bien, fais-le entrer sans le fouiller.
- Le pristaff ne sera pas content.
- Je commande.
Ermolaï s’inclina et descendit dans le jardin. La barinia quitta la véranda où elle venait d’avoir cette conversation avec le vieil intendant du Général Trébassof, son mari, et rentra dans la salle à manger de sa datcha des îles où le joyeux Conseiller d’Empire Ivan Pétrovitch racontait aux convives amusés sa dernière farce de chez Cubat. Il y avait là bruyante compagnie et le moins gai n’était pas le Général qui allongeait sur un fauteuil une jambe dont il n’avait pas encore la libre disposition depuis l’avant-dernier attentat si fatal à son vieux cocher et à ses deux chevaux pie. La bonne farce du toujours aimable Ivan Pétrovitch (un remuant petit vieillard au crâne nu comme un œuf) datait de la veille. (...)”
Un verre de champagne de plus et il trinquerait ce soir avec nous ! À votre bonne santé, Matrena Pétrovna ! Du champagne, Féodor Féodorovitch ! Vive la France, monsieur !... Natacha, mon enfant, tu devrais nous chanter quelque chose. Boris t’accompagnerait sur la guzla. Et ton père serait content.
Tous les regards se tournèrent vers Natacha qui s’était levée.
Rouletabille fut frappé de la beauté sereine de la jeune fille. Oui, ce fut tout d’abord la parfaite sérénité de ce visage qui l’étonna, le calme suprême, l’harmonie tranquille de ces nobles traits. Natacha pouvait avoir vingt ans. De lourds cheveux bruns encadraient son front de marbre et venaient s’enrouler aux oreilles qu’ils cachaient. Son profil était très pur ; sa bouche n’était point petite et découvrait, sous des lèvres un peu fortes et sanglantes, des dents de jeune louve. Elle était d’une taille moyenne. En marchant, elle avait la majesté aimable et frêle des vierges qui ne parviennent point à courber les fleurs sous leurs pas, chez les primitifs. Mais toute sa vraie grâce semblait s’être réfugiée dans ses yeux qui étaient d’un bleu sombre et profond. L’impression que l’on recevait en voyant Natacha était fort complexe. Et l’on n’eût pu dire en vérité si le calme dont elle se plaisait à parer le moindre geste de sa beauté était le résultat d’un effort de sa volonté ou de la plus réelle insouciance.
Son regard s'alourdit une minute encore d'une bien sombre pensée : l'image de la dame en noir se dressa devant lui... puis il secoua la tête, bourra sa pipe, l'alluma, essuya une larme qui lui était venue sans doute d'un peu de fumée dans l’œil et cessa de s'apitoyer sur lui-même...
Et cette remarque bizarre :
"Ne nous emballons pas. Ce soir, je n'ai pas encore parlé à Matrena Pétrovna du petit trou d'épingle. Ce petit trou d'épingle a été le plus grand soulagement de ma vie."
Gaston Leroux : Le Fantôme de l’Opéra (1964 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 3 octobre 1964. “Le Fantôme de l'Opéra” est un film radiophonique de Jean-François Hauduroy adapté, en 1964, du roman éponyme de Gaston Leroux écrit en 1910. Ce fantôme, qui hante les sous-sols de l'Opéra Garnier, n'en est pas vraiment un. Il nous effraie et nous terrifie car c'est un personnage de chair et de sang. Erik, le “fantôme” de l’Opéra, personnage tout à fait extraordinaire, dont le rôle est tenu ici par un acteur non moins extraordinaire, Alain Cuny, avec également Danièle Ajoret, René Farabet et Jean-Roger Caussimon dans le rôle du Persan.
Résumé :
Des événements étranges ont lieu à l'Opéra : le grand lustre s'effondre pendant une représentation, un machiniste est retrouvé pendu. La direction doit se rendre à l'évidence : un fantôme ou un homme machiavélique nommé Erik hante le théâtre. Certains affirment avoir vu le visage déformé de cet être qui ne semblerait pas être humain. Peu après, les directeurs de l'Opéra se voient réclamer 20 000 francs par mois de la part d'un certain « Fantôme de l'Opéra » qui exige aussi que la loge numéro 5 lui soit réservée.
Au même moment, une jeune chanteuse orpheline nommée Christine Daaé, recueillie par la femme de son professeur de chant, est appelée à remplacer une diva malade, la Carlotta. Elle incarne une Marguerite éblouissante dans “Faust” de Gounod. Or, elle est effrayée. Au vicomte Raoul de Chagny, qui est secrètement amoureux d'elle, elle confesse une incroyable histoire. La nuit, une voix mélodieuse l'appelle : elle entend son nom et cela lui suffit pour inspirer son chant. En outre, l'ange de la musique visite fréquemment sa loge. Elle affirme avoir entrevu l'être qui l'accompagne dans son art. Mais Raoul et Christine ne tardent pas à découvrir que cette voix est celle du fameux fantôme nommé Erik, un être au visage hideux. Ancien prestidigitateur, il s'est réfugié dans son royaume souterrain, sous l'Opéra, pour y composer une œuvre lyrique. Passionnément épris de la jeune Christine, il l'enlève et l'emprisonne dans son repaire des sombres profondeurs.
Raoul de Chagny, aidé d'un mystérieux Persan, se lance à la recherche de la jeune femme. Il doit alors affronter une série de pièges diaboliques conçus par le fantôme, grand maître des illusions. Mais la persévérance du jeune Raoul et le courage de Christine, prête à sacrifier sa vie pour sauver le jeune homme, dont elle aussi est éprise, poussent Erik, le fantôme de l'Opéra, au repentir.
Interprétation : Danièle Ajoret (de la Comédie Française, Christine Daaé), Alain Cuny (Erik), René Farabet (Georges / Raoul de Chagny), Jean-Roger Caussimon (Le Persan), Christian Lude (Firmin Richard, le nouveau directeur), Hubert Deschamps (Armand Monchardin, le nouveau directeur), Jeanne Frédérique (Madame Giry).
Avec le concours de René-Jacques Chauffard, Raymond Pélissier, Raymond Jourdan, Micheline Bona, Dominique Jayr, Pierre Decazes et René Renot.
Bruitages : Robert Maufras
Réalisation : Claude Roland-Manuel
Sources : France Culture et Wikipédia
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