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Critique de Unity


Quand on fait connaissance avec les Artistes Fous et qu'on aime les projets éditoriaux indépendants qui n'ont pas peur de revendiquer une image délurée, à faire fuir les « gens bien » tout en disant des choses intelligentes (desfois), l'adhésion est rapide. Pour leur dernière anthologie, c'est assez naturellement que le collectif a essayé de rassembler des textes marqués par la douce vésanie. Les 18 histoires proposées vont-elles nous faire renoncer aux trois-quarts de nos neurones ? Non, car la sélection n'est finalement pas si hystérique que la tête hallucinée en couverture nous le laisse croire. Chaque auteur s'est approprié le mot « folie ». Nous n'échappons pas aux récits attendus de schizophrénie, bien sûr, mais elle peut aussi être plus implicite, s'exprimer par un renversement des valeurs, une société où tout va de travers ou une nouvelle assez délirante pour nous faire perdre nos repères. du thriller psychologique, à la SF ou au fantastique, le lecteur part à la rencontre de personnages qui ont quelques problèmes avec le réel, leur identité, ou une quelconque créature venue du fond de l'espace. Les auteurs y ont mis tant d'imagination qu'on pourra peut-être regretter l'absence de « folies » plus cliniques, de portraits psychologiques détaillés, capables de voir au-delà du simple dédoublement de personnalité. Ce n'est cependant qu'un petit bémol, très vite oublié, puisque le contenu reste d'une grande qualité.

La variété des styles, des univers est appréciable. le sujet laissait un espace assez libre pour la sensibilité de chaque auteur et force est de constater que tous ne voient pas la folie de la même manière. Un texte angoissant, terrifiant, peut ainsi laisser place à une poésie teintée de mélancolie. Je n'ai pas le souvenir d'avoir trouvé une nouvelle plus pénible à lire qu'une autre malgré les différences de formats (certaines histoires font quatre pages, d'autres ont plutôt la taille d'une novella). Les textes sont maîtrisés, et les structures aussi la plupart du temps.

Pour la suite de cette chronique, j'ai néanmoins dû faire une sélection honnête pour vous parler des 9 textes (la moitié donc) qui ont le plus retenu mon attention. Je ne ferai pas de classement même s'il y a de réels coups de coeur. A vous de les deviner. Je précise bien sûr qu'il y a une large part de subjectivité dans ce choix, la diversité d'auteurs faisant que certaines références toucherons plus que d'autre. Au moins, il y a de quoi satisfaire un large spectre de goûts !

Nuit Blanche, Sylvie Chaussée-Hostein
Il était très bien pensé d'ouvrir le recueil avec cette nouvelle. Même après la lecture des 17 autres textes, elle reste la plus marquante. Les ressors scénaristiques sont suffisamment bien gérés pour nous tenir en haleine jusqu'à la fin, donner de fausses pistes, faire trembler à la fois à cause d'une tension grandissante et du décor glacial d'une tempête de neige qui va piéger les personnages sur le col d'une montagne. La fin a su me surprendre et, même si nous manquons peut-être d'éléments pour l'accepter tout à fait, la licence de la folie, le prétexte de la tempête, rendent tout assez vraisemblable.

Cauchemars, Maniak
Le texte était court, il sera malheureusement difficile d'en parler sans trop le révéler, mais j'ai apprécié l'exercice auquel l'auteur s'est prêté. L'idée était tordue (il faut bien le dire !), elle demandait un effort de neutralité narrative pour fonctionner jusqu'au bout et ne pas nécessiter d'explications détaillées sur l'univers inconnu dans lequel le lecteur arrive brusquement aux dernières lignes. L'écriture très visuelle, servie par des phrases courtes, marche très bien.

Marie-Calice, Missionnaire de l'extrême, Nelly Chadour
Inspirée par les débats qui enflamment les grenouilles de bénitier chaque année quand arrive le Hell Fest, Nelly Chadour nous plonge dans les pensées paranoïaques d'une fanatique catholique bien décidée à sauver quelques pécheurs parmi les sauvages adeptes du Métal. C'est un joli pied de nez aux détracteurs du festival. La tonalité est légère, drôle, et même si j'ai été un peu moins convaincue par la conclusion, je me dois de conseiller la lecture de cette nouvelle à tous les habitués du Hell Fest.

La nuit où le sommeil s'en est allé, Cyril Amourette
Il y a, pour commencer, une plume très élégante. J'ai beaucoup aimé l'idée d'un carnet tenu au jour le jour dans un monde où le sommeil s'en est allé qui m'a à la fois rappelée les premiers chapitres de Sandman et la manière qu'a J. G. Ballard de faire basculer les repères de toute une civilisation à partir d'un dérèglement dans l'univers. (Il me semble d'ailleurs avoir lu après coup que Cyril Amourette était un amateur de l'auteur.) J'ai apprécié imaginer ce que serait une existence d'où le sommeil est banni et la destruction incroyablement rapide de la société que cela implique. Finalement, un scénario apocalyptique très simple, qui ne demande même pas de grandes catastrophes naturelles pour donner froid dans le dos.

C15 Herr Mad Doktor
Déjà remarqué dans l'anthologie Créatures, Herr Mad Doktor continue de très bien s'illustrer avec une écriture intelligente et un art de la nouvelle maîtrisée. En s'aventurant dans une histoire d'anticipation sociale qui révèle une sorte de folie collective, l'auteur crée un univers à part entière, qui invite une réflexion plus philosophique. La fin est assez habile pour échapper au côté donneur de leçon en offrant, au contraire, une chute aussi logique qu'inquiétante. Certainement l'interprétation du thème que j'ai préférée.

Le maître des belougas, Sylvie Conseil
Dans un asile, deux patients se rencontrent. L'un prétend voir un autre monde, l'autre, obsédé par le blanc, rêve d'un bélouga de compagnie. Un texte qui développe un bel univers onirique, en abordant la folie sous un regard presque tendre.

La Maman de Martin, Morgane Caussarieu
Martin est un enfant adopté. Sa grosse tête effraie sa mère et ses céphalées lui font vivre un véritable cauchemar. Pourtant, il aime sa mère, sans mesure. J'ai été assez contente de retrouver l'écriture de Morgane dans une histoire qui, pour ne pas faire exception, est aussi violente que dérangeante. Une relation complexe lie Martin et sa mère, faite de rejet et d'amour disproportionné. L'enfant nourrit des pensées très simples d'un bout à l'autre de l'histoire. Tandis que la tension monte, le style n'évolue pas, ce qui appuie le malaise du lecteur.

Les soupirs du voyeur, Corvis
Voilà une nouvelle qui traite d'un bout à l'autre de sexe, des pratiques les plus sages aux plus criminelles, sans jamais perdre une certaine élégance de langue. C'est cru, malsain, parfois choquant, jamais repoussant. J'ai beaucoup aimé le point de départ, qui ne manquait pas d'humour. La confidence d'un homme impuissant qui ne peut vivre ses désirs qu'à travers les actes d'un autre conduit à une plongée progressive dans l'horreur. L'auteur en appelle aux côtés les plus voyeuristes du lecteur, car la chute dans la perversion a toujours cette fascinante attraction.

Le Décalage, Ludovic Klein
Quelle meilleure manière de terminer un recueil sur la folie que par le témoignage fictif d'un jeune homme qui essaye de renouer avec son quotidien après des années en hôpital psychiatrique ? La première partie donne beaucoup de vérités tranchantes. Mais j'ai moins aimé la seconde moitié qui m'a donné le sentiment que l'auteur se perdait un peu en cours de route pour trouver une fin. Dommage, un monologue un peu plus creusé sur la distance qu'éprouve le narrateur vis-à-vis de ce monde « après l'hôpital » aurait suffit.

L'autre plus de ce recueil est dans sa réalisation. La couverture est très belle dans ses tons rouges et bleus foncés, et chaque texte est illustré par un artiste différent, sur des pages couleurs et glacées. Toujours un plaisir pour les yeux.
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