MishimaJennifer Lesieur
Gallimard - Folio Biographies
Yukio Mishima (1925-1970), de son vrai nom Kimitake Hiraoka, est une figure emblématique de la Littérature du XXème siècle. Son oeuvre trouve sa place dans des univers proches de
Georges Bataille et du marquis de
Sade, pourtant à mille lieues de sa culture originelle.
En 1949, il fait une entrée fracassante à 24 ans dans le monde des Lettres nippones avec la publication de son premier roman
Confession d'un masque, livre culte qui marque déjà sa singularité.
Pour les européens ou les occidentaux en général,
Mishima reste un auteur sulfureux, celui des Amours interdites notamment, mais il a aussi marqué l'imagination de bon nombre d'intellectuels nihilistes (et pas qu'eux) en se suicidant à la façon des samouraïs, en commettant le dernier seppuku du XXème siècle qu'il avait déjà mis en scène dans ses pièces de théâtre, ses photos d'art, ses films ou ses nombreux écrits (dont beaucoup ne sont pas encore traduits en français!).
Vu d'Occident, notre mémoire collective ne garde que l'aspect romantique de ce suicide qui a pourtant profondément choqué la société japonaise. C'est l'occasion pour la jeune biographe
Jennifer Lesieur de revenir sur la vie de
Yukio Mishima, en s'attardant sur les moments clés qui ont marqué la vie de l'écrivain dans un Japon qu'il croyait condamné à la vacuité, victime d'une occidentalisation forcée.
A sa naissance sa grand-mère Natsuko l'arrache littéralement des bras de sa mère. Il vit éloigné du monde, sous son emprise, loin des autres enfants, jusqu'à l'âge de douze ans. Ce rapt amoureux le marque à tout jamais. Elle élève son petit-fils à la façon d'un seigneur d'un autre temps.
La découverte du tableau de Guido Reni, le martyre de saint Sébastien, crée en lui un véritable choc : fantasmes, mort, jouissance, souffrance se mêlent dès lors dans ses pensées d'enfant précoce ; on retrouve quelques années plus tard ses obsessions érotiques et pornographiques mêlant Éros et Thanatos dans ses différentes oeuvres.
Mishima est un « personnage » narcissique, ayant une haute estime de soi ; il est sans cesse en représentation et aime jouer de sa popularité.
Le fantasme d'un Japon ancestral qui n'existe plus, fait de samouraïs, de combat pour l'honneur et d'idéalisation de l'Empereur originel, le coupe peu à peu de la réalité de son pays qui se modernise à grande vitesse.
La dernière partie de l'essai de
Jennifer Lesieur est de loin la plus captivante, elle met l'accent sur la période charnière qui met en place l'acte final, son holocauste.
L'écrivain laisse le monde des Lettres (en partie seulement, car il finit avant de se suicider le cinquième tome de la mer de la fertilité) pour former le Tatenokai (« Société du Bouclier »), sorte de milice regroupant des étudiants issus de la droite nationaliste pour défendre l'Empereur, davantage d'un point de vue conceptuel que la personne de Hirohito.
Mishima nage en plein délire, croit avec une naïveté déconcertante en une certaine idée de son pays qui n'existe plus depuis des décennies mais qu'il souhaite ressusciter.
La scène du seppuku est racontée dans le détail, depuis sa préparation, près d'un an auparavant jusqu'à sa mise en scène ou sa mise à exécution le 25 novembre 1970.
Il tente un coup d'État voué par avance à l'échec pour restaurer un nouvel ordre en prenant en otage le général Mashita (« Restaurons Nippon dans son état véritable et mourons! », hurle-t-il à la foule incrédule).
Mishima veut haranguer les soldats qui se massent autour du bâtiment, mais son discours minutieusement répété ne trouve pas d'écho. Humilié, il s'enferme dans le bureau du général pour se donner la mort.
Son suicide se transforme en un véritable carnage gore. Son favori, Morita, doit lui trancher la tête, mais il s'y prend à deux reprises sans y parvenir, il le blesse à l'épaule et à la mâchoire, laissant
Mishima agoniser, les entrailles ouvertes, se vidant de son sang. C'est finalement un autre membre du Tatenokai qui lui tranche la tête comme le veut la tradition des samouraïs.
Avec le recul, bien que les dernières années de sa vie aient été marquées par une idéologie nationaliste farfelue, on ne peut qu'éprouver une infinie compassion pour
Mishima, qui en fin de compte est mort ainsi qu'il l'a toujours souhaité. le fantasme de son suicide l'a hanté depuis sa plus tendre (!) enfance et a alimenté toute son oeuvre ; il est devenu néanmoins une finalité qui avec le temps a perdu un peu de son sens.
La biographie de
Jennifer Lesieur est dans l'ensemble bien construite et référencée.
Le parallèle entre son oeuvre et sa pratique du bodybuilding, une certaine vision de la beauté très classique, est fort bien interprété. L'intérêt du livre reste cependant inégal, la vie famille avec sa femme Yoko est trop peu développée et on ne sait que très peu de choses sur son rôle de père. Beaucoup de zones d'ombres subsistent notamment sur
les amours interdites qui ont marqué sa vie.
Les passionnés de cet immense auteur japonais, car c'est avant tout la pertinence littéraire de son travail d'écrivain qu'il faut retenir, trouveront leur compte dans cette biographie inédite. Pour ceux qui veulent découvrir
Mishima, la lecture de cet essai peut être une bonne introduction pour mieux appréhender son univers.
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