L'amour du faux

N°60 – Mai 1991.
L'AMOUR DU FAUX (La vérité sur l'affaire Legros)- Réal Lessard – HACHETTE.

J'avais, si je puis dire, fait la connaissance de Fernand Legros, grâce à Roger Peyrefitte dans « Tableau de chasse ou la vie extraordinaire de Fernand Legros », où ce fameux écrivain alliait talent et humour à un art consommé de narrateur. Fernand Legros, « un Casanova moderne du monde des milliardaires » y était croqué sous sa plume comme un fastueux et changeant personnage où le souci constant de faire fortune grâce à des fausses toiles le disputait à l'envie non mois grande de mystifier son public.

On sait que le monde de l'art attire la foule des milliardaires, plus soucieux de faire des placements que d'affermir leur culture. Tout le talent de Fernand Legros fut donc de faire que ce « placement » fût bon pour lui et mauvais pour son client, tout en affirmant, certificat à l'appui, qu'il ne pouvait s'agir là que d'une authentique oeuvre d'art, d'ailleurs signée de la main même du Maître...

Le livre de Roger Peyrefitte m'avait passionné. Celui de Réal Lessard, qui se lit comme un roman, ne fut pas en reste bien que ce dernier émette les plus extrêmes réserves sur les révélations non vérifiées du premier. le ciel doit bien servir les arnaqueurs puisque le hasard mit sur la route de Legros celui qui aurait pu devenir un grand peintre sous son propre nom mais qui devint presque malgré lui un faussaire (quoiqu'on ait du mal à admettre que Lessard ne se soit pas aperçu plus tôt de la supercherie puisqu'il se dénonce dans ce livre comme le véritable faussaire qu'on croyait être un autre!)

Ainsi l'artiste souffre-t-il d'un problème d'identité et le piège se referme... comme à chaque fois ! le créateur, ravalé au rang d'imitateur, de génie certes, mais faussaire quand même, retombait sous le charme de Legros, de ses mignonneries, de ses tartarinades, pour servir encore une fois ses vues. Ainsi le talent de peintre de l'un n'eut-il d'égal que le talent d'escroc de l'autre puisque si le premier se contentait de peindre « à la manière de », le second commercialisait la fausse toile, certifiée entre-temps comme un tableau de Maître parfaitement authentique ! Bien des Impressionnistes et post-impressionnistes y passèrent avec la bénédiction des experts patentés qui, au passage, ne manquent pas d'être égratignés. le peintre qui ne demandait qu'à faire une carrière d'artiste avec sa propre peinture, devenu contrefacteur presque malgré lui, se retrouva-t-il enfermé dans une spirale infernale face à une escroquerie si bien menée. le piège était machiavélique mais fonctionnait !

Il y avait plus. Après bien des péripéties rocambolesques, des absences prolongées, des relations houleuses, le faussaire recommençait à peindre pour l'escroc, redécouvrait à chaque fois le plaisir de faire vivre une toile, c'est à dire de créer ! Les liens qui les unissaient prenaient leurs racines dans l'amitié, dans la tendresse peut-être mais aussi dans la peur de la révélation du secret autant que dans la violence et l'attirance mutuelle, tant il est vrai que malgré les colères, les ruptures, les mensonges et les accalmies, chacun était attiré par l'autre comme un aimant attire le métal. Cette manière de gémellité, seule la mort pouvait en avoir raison et après la disparition de Legros, sans doute fallait-il rétablir la vérité.

Au bout de ce compte impressionnant de faux, peints dans l'ombre, il y eut la peinture de Lessard réalisée en pleine lumière, la sienne, enfin !



©Hervé GAUTIER – Mai1991 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Joseph (dit "Réal") Lessard est un talentueux peintre québecois, doublé d'un mythomane. Faussaire attitré de l'escroc Fernand Legros, il raconte trois decennies de sa vie consacrées à le servir puis à le combattre. Victime permanente et pleurnicharde, à l'en croire, Lessard n'est responsable de rien. Ses aventures de filouterie autour du monde, la vie fastueuse des palaces et dans la jet set, tout est décrit en détail et laisse un goût amer au lecteur : Joseph nous prend pour des buses.